sauvegardes
http://atf40.forumculture.net/t7217p90- ... tion#58987 François Delpla a écrit:
Dim 15 Déc - 13:45
Je vais bientôt devoir vous faire un rappel aux conditions concrètes de l'époque, ainsi qu'à la charte !
Car à présent c'est vous qui excipez de mon chapitre sur "la véritable histoire", sans le disséquer pour préciser à mon usage et à celui des gens qui nous lisent ce que vous y lisez exactement.
De Gaulle, j'aimerais bien vous voir à sa place, dans la pire tourmente de l'histoire de votre pays, fraîchement débarqué sur un strapontin gouvernemental dont de plus expérimentés cherchent à vous déloger, et dans un premier temps à vous priver de toute commande ! Si on peut discuter et ou tel de ses actes, on ne peut lui dénier le calme dans la tempête et le souci de la cohérence, mais il doit aussi faire preuve d'opportunisme pour ne pas être impuissant, et ne pas se faire éjecter immédiatement. Il est aussi dans un autre paradoxe générateur de grand écart, celui d'un patriote viscéral obligé de s'appuyer sur l'étranger contre les plus influents de ses compatriotes... et il s'en tire à son avantage.
Le réduit breton, c'est au départ l'une des rares initiatives de Reynaud utilisables pour montrer le chemin de la non-capitulation (son ordre à Weygand, le 29 mai, de le mettre à l'étude), et une flèche à utiliser contre les partisans de l'armistice (la désobéissance répréhensible du général).
Mais l'argument qui porte le plus contre ceux (de Benoist-Méchin en Leca) qui lui reprochent de s'être accroché à cette chimère, c'est précisément la note du 8 juin. Le mieux est de la reproduire ici.
Citation:
Annexe 2
Note du général de Gaulle
(8 juin 1940)
(AN, fonds Reynaud, 74 AP/22)
(En italiques : écriture de Paul Reynaud)
7 juin / discussion avec de G. sur le réduit breton.
Note du Général de G.
I. - Dans le cas où la bataille actuellement en cours n’arrêterait pas l’avance allemande, il y a lieu de prévoir que les forces ennemies, après avoir franchi la Basse Seine et occupé Paris, chercheraient à réaliser la désorganisation complète de la résistance nationale, soit en « enroulant » nos forces de l’Est, soit en exploitant rapidement en direction des ports de l’Atlantique. En tout cas, la volonté du Gouvernement est de poursuivre la lutte sur le territoire métropolitain et éventuellement en Afrique du Nord, puis dans le reste de l’Empire, de manière à gagner le temps nécessaire pour que des secours extérieurs nous permettent de reprendre l’initiative.
II. - Il y a donc lieu, dès aujourd’hui, de définir les zones successives du terrain sur lesquelles devrait être accrochée la résistance nationale.
a) - Sans préjudice des bretelles ou positions intermédiaires que le commandement jugerait à-propos d’utiliser pour le regroupement des forces, le première position nationale à envisager et à préparer en arrière du champ de bataille a, pour limite avant, la ligne définie comme suit :
cours du COUESNON, de l’ERNÉE, de la MAYENNE, de la LOIRE en aval de TOURS, du CHER, Canal du BERRY, Cours de la LOIRE en aval de DIGOIN, Canal du CENTRE, cours du DOUBS.
Dans l’hypothèse de la violation et de la conquête de la SUISSE par les forces germano-italiennes, cette position pourrait se raccorder aux Alpes de Savoie, à partir de DIGOIN, par la LOIRE Supérieure, ROANNE, LYON et CHAMBÉRY.
b) - En arrière, seront préparés :
une 2e position de résistance couvrant l’Ouest et le Sud-Ouest de la FRANCE, jalonnée par la CHARENTE, la VIENNE Supérieure, le Massif du PUY-de-DÔME, les Monts de la Madeleine, LYON, le RHÔNE Inférieur et reliée avec la 1re position par une bretelle suivant le cours de la CREUSE.
un réduit de BRETAGNE jalonné par le cours du COUESNON, les avancées de RENNES et le cours de la VILAINE.
un réduit du SUD-OUEST dont le front sera marqué par le Canal du Midi, de BORDEAUX à NARBONNE.
III. - L’expérience a montré qu’il était très aléatoire, étant donné les moyens dont dispose l’ennemi et la façon dont il les emploie, d’espérer établir à temps une résistance cohérente sur une zone de terrain déterminée si celle-ci n’était pas organisée et occuper à l’avance par d’autres unités que celles qui ont à se battre en avant. En conséquence :
1°/ - l’organisation du terrain et les positions de résistance définies ci-dessus, et en particulier la préparation des destructions, seront entreprises immédiatement.
2°/ - les Unités nécessaires pour assurer la sécurité de la première position seront mises en place dès maintenant.
Le plan d’ensemble des travaux à exécuter sera arrêté immédiatement par le Sous-Secrétaire d’État à la défense nationale et à la guerre. La désignation des unités à mettre en place sera faite également par lui au moyen de prélèvements sur les Unités en cours de constitution à l’Intérieur.
L’exécution des travaux incombe aux commandants de régions intéressés, disposant non seulement de leurs moyens propres mais de la plus grande quantité possible de main-d’œuvre à fournir par d’autres départements (Intérieur, Travail, Colonies) suivant devis à établir par le sous-secrétaire d’État à la défense et à la guerre.
IV. - En fonction de l’organisation prévue ci-dessus, pour la défense en profondeur du territoire, le personnel (mobilisables, affectés spéciaux, main d’œuvre, etc.) et les moyens industriels de toute sorte contribuant à la défense nationale, en particulier de l’agglomération parisien, seront repliés d’urgence en arrière de la ligne générale RENNES, ANGERS, CLERMONT-FERRAND, LYON. Tous arbitrages nécessaires entre les départements ministériels intéressés incombent au sous-secrétaire d’État à la défense nationale et à la guerre.
V. - Le repli des Administrations et le déplacement éventuel du Gouvernement seront réalisés par échelon, étant entendu qu’à la limite, le siège des pouvoirs publics dans la métropole pourrait être établi dans la région de QUIMPER.
Voilà qui permet de répondre à des questions laissées en suspens plus haut :
-le mot "évacuation" ne figure pas, probablement pour privilégier l'idée qu'il faut s'accrocher au maximum au sol national après des jours de recul sans perspective, mais l'idée est bel et bien présente dans l'idée de "poursuivre la lutte sur le territoire métropolitain et éventuellement en Afrique du Nord, puis dans le reste de l’Empire, de manière à gagner le temps nécessaire pour que des secours extérieurs nous permettent de reprendre l’initiative."
-
Citation:
votre note ne prouve en rien que Reynaud ne puisse en aucun cas être associé à ces "gestes".
normal ! de Gaulle confectionne ce brouillon pour que Reynaud le signe et le transforme en ordre. C'est précisément ce qu'il ne fera pas.
François Delpla a écrit:
MessageSujet: Re: mi-juin 1940 : armistice ou capitulation ? 19 décembre à 11:54
Citation:
dhouliez a écrit:
Delpla a écrit:
dhouliez a écrit:
J'ai dit et répété que le comportement de Reynaud en juin, et les déclarations qu'il a faites après-guerre, en cohérence avec ce comportement, montrent qu'il s'est ressaisi.
et à part cela, vous vous méfiez des mémoires écrits après coup !
1° J'ai dit que je me méfiais des longs dialogues précis réécrits après coup et je précise : par une tierce personne. Vous aviez très bien compris...
c'était un compliment !
Je le retire bien volontiers.
Mais vraiment, vous ne vous méfiez pas des mémoires lorsqu'une personne évoque ses propres actes ou pensées ?
Je vous ai dit toutes les raisons qu'il y avait de préférer, sur l'entretien du 15 juin avec Zaleski, les mémoires de Ciechanowski au silence de Reynaud puis à ses dénégations. Si votre seul argument est que le Polonais rapporte de longs dialogues, c'est vraiment léger.
Il ne s'agit pas de s'installer dans la tête des gens (ne l'aviez-vous pas très bien compris ?), mais, comme devant tout document, de se demander quelles raisons le rédacteur pourrait avoir de mentir (ou de dire la vérité). Dans le cas de Reynaud, ce n'est quand même pas très sorcier : il n'a cru, après la percée de Sedan, ni en la résistance de Churchill et de l'Angleterre sous lui, ni en celle de De Gaulle. Mais il avait été l'introducteur du second dans la vie politique, et avait démissionné plutôt que de signer un armistice sans l'accord du premier : la tentation était forte de rejoindre après coup le camp de ceux qui avaient fait le bon choix; quant à avouer ce qu'il avait réellement pensé à l'époque c'eût été un suicide politique, alors qu'il se croyait encore utile à la France (il est brièvement ministre sous la Quatrième, et candidat à la présidence du conseil jusque vers 1954).
Une fois de plus, je vous dispense de jugements généraux sur mon travail et mes méthodes. Le sujet, rien que le sujet !
François Delpla a écrit:
20/12 11:36
L'histoire dont nous parlons est en plein renouvellement.
Ainsi, le récent et remarquable livre de Michèle Cointet sur Vichy (Nouvelle histoire de Vichy, Fayard 2012), est l'un des premiers qui présentent correctement le désespoir fondamental et constant de Reynaud après Sedan, mais sans réviser suffisamment le récit consacré antérieur auquel Dhouliez reste sous nos yeux tout acquis. Car si elle intégre l'apport de Margerie, elle ignore Cjechanowski et, plus curieusement, cite Lazareff 1944 tout en ignorant la mission Prouvost.
Dans le récit de l’effondrement militaire et politique, une vérité "officiellement" proclamée "depuis 1945" est dénoncée en termes vagues (p. 22). La vérité vraie qu’on nous aurait cachée, c’est qu’à partir du comité de guerre du 25 mai le gouvernement français recherchait l’autorisation de l’Angleterre pour signer un armistice. L’édition en 2009 des procès-verbaux de ce comité est censée l’avoir révélé. En fait, les positions citées de Pétain et de Lebrun étaient publiques depuis 1941, les Allemands ayant saisi et publié un compte rendu. Mais le plus intéressant est l’attitude tout à fait résignée de Reynaud dès ce moment, même s’il est plus prudent que Pétain en paroles. De ce point de vue, ce livre est à la page quand il cite les mémoires de Roland de Margerie, dévoilant le défaitisme de Reynaud le matin du 26 mai, assorti d’une crainte de troubles révolutionnaires qui n’a rien à envier au général Weygand, ni au Thiers de 1870. Il est plus surprenant de voir citer le livre de Pierre Lazareff De Munich à Vichy (discrètement publié à New-York en 1944) mais ignorer sa page sur le 5 juin, date à laquelle le journaliste apprend de Prouvost que Reynaud vient de l’envoyer en mission secrète à Londres, pour conjurer Churchill de s’engager dans un processus d’armistice impliquant à la fois la France et l’Angleterre.
Michèle Cointet manque ainsi, après l’avoir effleurée, une vérité encore, à vrai dire, bien peu répandue : Reynaud n’est pas un adversaire de l’armistice qui flanche au moment décisif sous l’effet de la fatigue, des objurgations de sa compagne ou de la résolution plus forte de Pétain et de Weygand, mais un partisan de cet armistice (et de la paix générale, les conditions hitlériennes étant présumées "généreuses") si et seulement si les Anglais en font autant, longtemps persuadé qu’ils vont le faire et finalement privé de politique quand il doit constater qu’il n’en est rien.
L’habileté de Hitler est cependant mentionnée (p. 36) mais en passant, à propos de la bénignité relative des conditions d’armistice et sans se demander s’il ne tire pas déjà, à Bordeaux et avant toute négociation d’armistice, beaucoup de fils, par l’intermédiaire de diplomates espagnols ou vaticans. Il a fait courir en tout cas le bruit de ces conditions "généreuses" dès le début de mai par l’intermédiaire de Dahlerus et connaît l’état d’esprit de Pétain par celui de son ambassadeur en Espagne.
Une question n’est pas posée du tout : qu’est-ce qui fait que la France prend ce chemin et que l’Angleterre le refuse ? Et corollairement, qu’est-ce qui fait que le pôle immédiat d’opposition à Pétain et à l’armistice, qui se dessine autour du général de Gaulle dès le 16 juin au soir, rallie dans un premier temps si peu de monde ? L’examen de cette question aurait pu développer utilement la remarque citée plus haut sur l’horizon d’attente des signataires de l’armistice : un effondrement immédiat de la résistance anglaise. Or n’est-ce pas Hitler qui avait créé cette illusion, par l’allure apparemment irrésistible de son offensive, et induit dans l’esprit de l’immense majorité des dirigeants français civils et militaires l’idée que les sacrifices imposés par la continuation de la lutte, qu’il s’efforçait de rendre douloureux (ainsi par le bombardement de Bordeaux, dans la nuit du 19 au 20 juin), étaient désormais inutiles ? Pour baisser les bras, il ne fallait pas d’abord être conditionné de telle ou telle manière par les idéologies des années trente, qu’elles fussent pacifistes, anti-républicaines ou ce qu’on voudra ; il suffisait d’être docile aux illusions distillées par Hitler depuis 1933, et Dieu sait si des centaines de millions d’humains l’étaient, en juin 1940. Inversement, il fallait s’appeler Churchill ou de Gaulle, ou du moins s’affranchir à grand effort de l’immédiat, pour discerner le toupet de l’illusionniste et voir qu’il n’avait pas encore partie gagnée.
François Delpla a écrit:
MessageSujet: Re: mi-juin 1940 : armistice ou capitulation ? 21/12 19:52
Bonsoir
En revoyant, trop vite encore mais je tenais à être exact à mon propre rendez-vous, non seulement Benoist et Destremau, mais les versions 1 et 3 des mémoires de Reynaud (mai 1947 et de 1963), et celle du livre de Kammerer sur l'armistice de fin 45, enfin le journal de Baudouin et les mémoires de Bouthillier (le premier dit que le second est témoin oculaire), je constate que l'algarade d'après le conseil est finalement admise par tout le monde alors que Reynaud la passe sous silence en 1947 (sans doute parce que le livre, écrit pour l'essentiel en captivité, est publié dans l'urgence pour imposer sa version des choses, en étant insuffisamment relu; dès 1951, dans la version 2 -que je n'ai pas et que cite Destremau-, il ajoute cet épisode).
C'est Weygand qui en a parlé le premier, lors de sa déposition du 31 juillet 1945 au procès Pétain. La rencontre de Reynaud et de Weygand semble fortuite et non demandée par l'un ou l'autre. Reynaud (d'après Bouthillier mais non d'après lui-même) dit : "Vous allez faire capituler l'armée, général". Ensuite, Weygand, de l'avis général, réitère son couplet sur l'honneur des drapeaux et son refus d'obéissance. Après quoi, dit Benoist "la thèse de la capitulation militaire est abandonnée".
Voilà au moins qui dément que cette idée, apparue le 15 après-midi (1), survive le lendemain, sinon par une relance de Weygand devant Lebrun (qui ressemble beaucoup à l'algarade de la veille au soir et dont Benoist-Méchin, par souci de concision et de clarté sans doute, ne parle pas, ce qui explique peut-être ma confusion dans le souvenir que j'avais hier de son livre; "une bourde" à en croire Dhouliez, mais n'importe -il en faudra plus pour m'intimider et m'empêcher de citer de mémoire, et sous réserves).
Un point, maintenant, que nul d'entre nous n'a encore mentionné et qui, sans être décisif, a tout de même son intérêt : Reynaud 1 écrit p. 345, à propos de la dispute du 16 chez Lebrun
Citation:
Je lui ai offert le 15 juin avant le conseil et le 16 juin à midi, en présence du président de la République, de lui donner l'ordre écrit de cesser le feu lorsqu'il jugerait que la résistance serait devenue sans objet sur le sol de la métropole. (italiques de moi)
Je dois redire que, le 16, tout est suspendu à des contacts avec Londres et qu'aussi bien lors du conseil du matin que de celui de l'après-midi,le débat "armistice ou capitulation" ne fait surface d'après aucun témoignage.
Bref, tout va dans le sens d'une discussion aussi brève que théorique. A aucun moment Reynaud ne fait, d'une manière convenablement prouvée, pression sur les militaires pour qu'il capitulent séance tenante. Il reste des étapes avant celle-là, et celle de la proposition Chautemps, adoptée par le conseil le 15 en fin d'après-midi, induisant l'attente d'une réaction anglaise, est tout à fait contraignante.
NB.- Je souhaite que cette contribution à la documentation et à la réflexion communes soit accueillie dans un bon esprit, avec le souci prioritaire de comprendre les événements de 1940 plutôt que d'explorer les méandres de mon âme.
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(1) si on écarte la page de Villelume écrivant trois mois plus tard, dans un journal reconstitué de mémoire, qu'il l'a trouvée le matin dans un texte écrit la veille par Vautrin, sans produire tout ou partie de ce texte qu'il mentionne donc peut-être aussi de mémoire, et qui a beaucoup plus sa place le 15 dans la chaîne des événements.