beruge a écrit:
Avez-vous des nouvelles de l'homme qui aurait lu dans
Mein Kampf la Solution finale ?
en hommage à Daniel, cet extrait de mon livre à paraître qui lui donne largement raison sur le point évoqué :
Citation:
L’antisémitisme de Mein Kampf
La folie de Hitler, consubstantielle à son antisémitisme,
peut être mise en évidence par une comparaison avec la position,
concernant les Juifs, de Houston Stewart Chamberlain
(1855-1927), un Anglais naturalisé allemand, idéologue raciste,
époux d’une fille de Richard Wagner et laudateur du jeune Hitler
dans un article de journal après son putsch manqué.
Chamberlain fait du Juif un ennemi en tout et pour tout national :
L’avènement des Juifs dans l’histoire occidentale signifie ainsi sans
contredit l’accession d’un élément particulier, entièrement différent de
tous les peuples européens et en quelque mesure opposé à eux ; d’un
élément qui demeura essentiellement pareil à lui- même tandis que les
nations de l’Europe traversaient les phases de développement les plus
diverses ; qui dans le cours d’une histoire souvent dure et cruelle n’eut
jamais la faiblesse de souscrire à des ouvertures de fraternité mais
– en possession de son idée nationale, de son passé national, de son
avenir national – ressentit et ressent encore aujourd’hui comme une
souillure le contact avec d’autres hommes ; qui enfin, grâce à la sûreté
d’un instinct né de la puissante homogénéité du sentiment national,
réussit toujours à exercer sur les autres une influence profonde, alors
que les Juifs eux- mêmes n’étaient jamais touchés qu’à fleur de peau
par les événements de notre évolution culturelle.
Le livre Les Fondements du XIXe siècle (1899), dont ce passage
est extrait, était probablement connu de Hitler dès avant 1914,
étant donné le culte qu’il vouait à Wagner, dont Chamberlain était
non seulement le gendre, mais le biographe. Cependant, cet antisémitisme
diffère sensiblement de celui qui se forme en 1918-1919
dans l’esprit du caporal. Chamberlain se borne à prétendre que
le parasitisme juif handicape une race dite aryenne, nordique ou
tout simplement blanche, digne de dominer le monde. Les antisémites
pré- hitlériens ignoraient le faux de la police russe intitulé
Protocoles des Sages de Sion, forgé en 1901 pour des raisons
de politique intérieure et exporté surtout après la révolution de
1917 : la thèse d’un complot juif mondial pour la domination de
la planète, qui en forme la trame, est peu connue en Allemagne
jusqu’à la traduction du texte, en décembre 1919. Hitler, qui se
repaîtra toute sa vie de ce mythe, l’amalgame avec ses fantasmes
d’un « poison juif » qui menace de tuer à brève échéance l’espèce
humaine tout entière, et d’une mission donnée par la Providence
à Adolf Hitler d’avertir et de sauver l’humanité de ce péril.
Même dans l’article de 1923 où Chamberlain adoube Hitler,
il le présente comme un héros germanique, prêt à agir enfin
contre l’emprise juive sur le pays alors que les autres parlent
sans agir, mais nullement comme l’intercesseur d’une divinité,
ni le maître d’oeuvre d’une entreprise à la fois mondiale et biologique7.
Chamberlain est certes un fanatique, plus attentif aux
faits qui vont dans le sens de sa thèse qu’à ceux qui la contredisent
; mais il n’en reste pas moins sur un terrain rationnel. Hitler
est ailleurs, il s’affranchit complètement de la réalité – dans
ce domaine du moins : si les grandes lignes de sa vision du
monde relèvent du fantasme, ses décisions reposent souvent sur
des observations justes et des déductions sensées.
Le passage suivant du tome 1 de Mein Kampf offre un point
de comparaison intéressant avec celui de Chamberlain cité ci-dessus,
tant par une certaine communauté d’analyse que par un
vocabulaire et un ton beaucoup moins détachés, emblématiques
d’un passage de la rationalité à la psychose :
Les faits à la charge de la Juiverie s’accumulèrent à mes yeux
quand j’observai son activité dans la presse, en art, en littérature et
au théâtre. Les propos pleins d’onction et les serments ne servirent
plus alors à grand- chose ; ils n’eurent même plus d’effet. Il suffisait
déjà de regarder une colonne de spectacles, d’étudier les noms
des auteurs de ces épouvantables fabrications pour le cinéma et le
théâtre en faveur desquelles les affiches faisaient de la réclame, et
l’on se sentait devenir pour longtemps l’adversaire impitoyable des
Juifs. C’était une peste, une peste morale, pire que la peste noire de
jadis, qui, en ces endroits, infectait le peuple. Et en quelles doses
massives ce poison était- il fabriqué et répandu ! Naturellement, plus
le niveau moral et intellectuel des fabricants de ces oeuvres artis-
tiques est bas, plus inépuisable est leur fécondité, jusqu’à ce qu’un
de ces gaillards arrive à lancer, comme le ferait une machine de
jet, ses ordures au visage de l’humanité 8 .
Dans ces lignes sur le dégoût que les Juifs inspirent à un
obsédé qui les voit partout, la condamnation est générale et
les mesures implicitement souhaitées ne le sont pas moins. Le
divorce avec la raison et la répudiation de tout raisonnement
affleurent dans la phrase : « Les propos pleins d’onction et les
serments ne servirent plus alors à grand- chose ; ils n’eurent
même plus d’effet. » Hitler, sur cette question, ne veut rien
entendre. L’observation des noms sur les affiches ne doit pas
être interprétée comme un fichage individuel, préparatoire à une
sanction liée aux actes de chacun, comme il en va dans un régime
de type stalinien. Il s’agit seulement de repérer les noms juifs
pour constater, ou fantasmer, leur omniprésence, en une vision
raciale, éradicatrice… et totalitaire. Ce terme n’évoque pas en
l’occurrence le projet de caporaliser la population allemande,
mais l’intention de s’en prendre à un groupe humain, dit juif,
dans sa totalité. S’agit- il déjà d’un projet génocidaire ? Peut- être
pas. On peut dire, et beaucoup l’ont fait, que l’auteur de Mein
Kampf se satisferait aussi bien du départ des Juifs vers un autre
pays que vers un monde présumé meilleur. Mais l’historien, qui
n’est pas un juge, pourrait bien ici se montrer plus rigoureux
que les magistrats, dans les deux sens de l’adjectif. Le vocabulaire,
avec sa peste noire aggravée, son poison et, quelques lignes
plus loin, ses bacilles, est de ceux qui appellent des mesures
de destruction. En définitive, le fait d’expulser ou de tuer sur
place, ou encore de déporter pour tuer un peu plus loin et plus
discrètement, sera une pure question d’opportunité.
7. Cf. Grossdeutsche Zeitung, 1er janvier 1924.
8.
Mein Kampf, édition française, NEL 1934, p. 64.