Thierry Decool a écrit:
Mais ce désintérêt ne signifie pas qu'il ne désire pas l'entrée en guerre de l'Espagne. Il peut éventuellement la vouloir si elle ne lui coûte rien.
Mais elle lui coûterait "bonbon" !
Rappelez-vous que nous sommes à une petite quinzaine des élections américaines. Hitler fait son possible pour faire élire Willkie (entouré de gens qui prônent une entente avec le Reich) ou, à défaut, obtenir qu'il soit battu par la marge la plus courte. Imaginez un instant le tableau si l'Espagne entrait en guerre et fermait Gibraltar ! Ce serait presque comme s'attaquer au canal de Panama, tant la liberté des mers est un but constant de la politique américaine. Pour Roosevelt, qui dénonce prudemment le danger allemand et, en conséquence, soutient prudemment le bellicisme churchillien, ce sont des millions de voix d'un coup !
D'ailleurs, sur le fait que Hitler suit de près le scrutin américain et fait tout pour peser sur lui, je m'avançais jusqu'il y a peu sans documents, par la seule logique : soit il est idiot, soit il ne peut qu'agir ainsi, tant cet enjeu est pour lui capital, or il n'est pas idiot.
Eh bien à présent mon travail sur la captivité de Mandel m'en a appris davantage : j'ai notamment remarqué un passage du journal de captivité de Daladier (Calmann-Lévy 1991 p. 51 et suiv) montrant que l'ancien président du conseil subit une pression d'enfer, de la part de l'ambassade allemande (et bien qu'il soit détenu en zone sud, ce qui aussi en dit long sur la "préservation" de cette zone par l'armistice) pour avouer qu'il a déclaré la guerre sous une pression américaine. Les Allemands font d'abord des pieds et des mains pour obtenir une déclaration de lui dans ce sens, au plus tard, le 20 octobre (trois jours avant Hendaye, faut-il le rappeler ?). Et comme par hasard, dès le lendemain de l'élection, on n'en entend plus parler.
Daladier (totalement amnésique sur l'épisode après la guerre) interprète ainsi la motivation des Allemands : il s'agit pour eux de
mettre violemment en cause Bullitt [ambassadeur américain à Paris de 1938 à 1940], ami personnel de Roosevelt, de les représenter l'un et l'autre comme ayant sournoisement participé à la déclaration de guerre et de vouloir maintenant jeter les Etats-Unis dans le conflit.
Donc, une fois de plus, c'est la logique de
Mein Kampf qui est en question : oui ou non, Hitler veut-il calmer le jeu à l'ouest pour festoyer tranquillement à l'est ? Ce qui trompe, jusqu'à nos jours, c'est que dans toute guerre, pour tenir un front calme, on est obligé de faire sentir qu'éventuellement on peut y punir très fort ceux qui seraient tentés de s'agiter...
... et qu'on répugne à croire que l'assassin de tant de gens ait pu maîtriser à ce point sa stratégie.
On fait de la morale.
Il suffirait de faire de l'histoire.