Je retrouve avec émotion ce texte de Pierre Durand (1923-2002), commandant FTP, compagnon de Fabien, déporté, journaliste et chroniqueur historique à l'
Humanité, journal à la fête duquel, alphabet oblige, je me retrouvai quelquefois à ses côtés pour signer des livres. Repris en 2010 sur un site
http://miqueus.space-blogs.com/blog-not ... llies.html , initialement paru dans l'Huma mais devenu inaccessible (le lien de mon propre site
http://www.delpla.org/article.php3?id_article=10 ne fonctionnant plus) :
[10/05/2009 10:31]
L'Haltbefehl, pourquoi Hitler a donné un répit aux alliés...
Les faits sont connus et nul ne discute de leur importance. L’armée allemande, après avoir envahi la Belgique, la Hollande, le Luxembourg, opère en France, le 1er mai 1940, la percée de Sedan et fonce vers l’ouest. L’élite des armées française et britannique s’est portée en Belgique. Les blindés nazis et l’infanterie portée emportent tout sur leur passage. Au nord, le général Von Bock progresse vers Ostende ; au sud, Von Rundstedt marche sur Dunkerque. Les Anglo-Français sont rejetés sur la mer.
Rien ne semble pouvoir les sauver de la capitulation. C’est alors que Hitler, à la grande colère de ses officiers, donne l’ordre d’interrompre l’attaque. C’est le « Haltbefehl » (ordre d’arrêt) du 24 mai.
L’armée anglaise prend aussitôt ses dispositions pour s’embarquer tout en protégeant les accès de Dunkerque avec l’aide des Français. Les 220.000 hommes du corps expéditionnaire britannique peuvent regagner l’Angleterre avec environ 130.000 Français.
Le problème est de savoir pourquoi Hitler a donné ce « Haltbefehl » qui, militairement parlant, ne s’imposait pas. L’intérêt de l’ouvrage de François Delpla réside dans la véritable mise à plat, non seulement sur le plan militaire, mais surtout sur le plan politique, en fonction des buts fondamentaux de Hitler.
L’auteur reconnaît fort honnêtement qu’il appartient au lecteur de juger de la valeur de son argumentation. En tout cas, écrit-il, les présomptions exposées « forment un faisceau que, pour ma part, j’incline à trouver suffisant pour fonder une conviction plus que raisonnable » (page 210).
En cette matière austère, l’historien a réussi par l’éclat de son style à rendre passionnante la description d’une situation aux multiples facettes. La grogne de l’état-major allemand et les intrigues qui agitent celui-ci autour de Hitler, les maoeuvres du führer pour se les concilier ou pour les compromettre, tout cela vit et convainc. Mais le plus important n’est pas là.
Des faits, certes déjà connus, mais décisifs, sont remis en lumière : ce sont - dans la période concernée - les déclarations du Suédois Dahlerus auprès de Goering, celles du Suédois Nordling à Paris (déjà !) et de certains ministres anglais ; ce sont les rapprochements du gouvernement français (Raynaud et Pétain notamment) avec Mussolini et Franco : tout s’imbrique et tout concorde. Hitler a brusquement interrompu une offensive dont le succès eût été total parce qu’il voulait que la guerre s’arrête là en Europe occidentale, que la France, suffisamment échaudée, se range de son côté, que la Grande-Bretagne se débarrasse de Churchill au profit des hommes qui avaient fait Munich. Ainsi serait-il libre pour passer sans tergiverser à la réalisation de son but principal : la conquête des terres de l’est, la destruction du « communisme ».
Mais ces plans à long terme échouent, notamment à cause de Churchill. Au bout de quarante-huit heures, Hitler lève son « Haltbefehl ». Or, dans ce qu’il est convenu d’appeler « le Testament politique de Hitler » (1), recueil de confidences du Führer datées de février 1945, celui-ci déclare notamment : « Churchill n’a pas su apprécier l’esprit sportif dont j’ai fait preuve en évitant de créer l’irréparable entre les Anglais et nous. Nous avons, en effet, évité de les anéantir à Dunkerque. Il aurait fallu pouvoir leur faire comprendre que l’acceptation par eux de l’hégémonie sur le continent, que je venais de réaliser sans douleur, entraînerait pour eux les conséquences les plus favorables. »
« Le Testament politique de Hitler », préface de Trevor-Roper, commentaire de François Poncet (Fayard, 1959). Cité par François Delpla.
PIERRE DURAND