On revient sur des choses intéressantes (à mon avis)
Citation:
Vous n'arrivez pas à vous déprendre de cette notion de "signal". Donc, pour vous donner un coup de main, je dirai qu'il s'agit d'une absence de signal : la défaite n'est pas consommée, les troupes ne sont justement pas encerclées.
Votre thèse, si je comprends bien, c'est qu'Hitler adopte volontairement une attitude qui lui coûte sur le plan militaire afin de donner certaines idées à ses adversaires. C'est ça que j'appelle un signal. On peut l'appeler un message, un signifié ou autre chose: ça m'est égal et je suis prêt à adopter la formulation qui vous conviendra.
Pour vous, Hitler adopte une certaine posture militaire, dont il espère que les alliés vont la remarquer et en tirer certaines conclusions. Sommes-nous d'accord là-dessus ?
Si oui, mes questions - elles n'ont pas changé
- sont les suivantes:
1/ Pourquoi Hitler compte-t-il que les alliés vont remarquer un changement ?
2/ Qu'est-ce qui lui fait penser que ce geste est le plus approprié pour amener les alliés à ses vues ?
Citation:
Hitler arrête l'offensive. C'est bien lui qui l'arrête, en allant beaucoup plus loin (si l'on peut dire s'agissant d'un ordre de halte) que les ordres de ralentissement ou de regroupement précédents (dans lesquels je vois pour ma part, que Hitler les inspire ou les laisse faire, une façon de s'assurer qu'il a le frein en main et qu'il fonctionne) : il ne s'agit plus d'attendre ceci ou cela mais bien d'une ligne à ne pas dépasser, celle de l'Aa, à une vingtaine de kilomètres du dernier port possible pour l'évacuation.
Le haltbefehl dure 48 heures. Le premier ordre d'arrêt émis par Hitler a duré aussi longtemps, avec lui aussi une ligne précise à ne pas dépasser (sauf qu'elle l'a été par les "reconnaissances" de Guderian). Après le 24 mai, Guderian cherche aussi à forcer le passage de l'Aa, il y a combat comme je l'ai déjà décrit, mais les Allemands sont repoussés.
Je ne comprends donc pas en quoi Hitler va "beaucoup plus loin" qu'auparavant. Si par ailleurs il a déjà donné ou inspiré au moins deux coups de frein (les 17 et 21 mai), pourquoi espère-t-il que le dernier en date sera plus remarqué que l'ont été les autres ?
Citation:
J'ai consulté le journal de marche de Rundstedt : il ne mentionne pas la moindre velléité d'un tel ordre avant la visite de Hitler et, même s'il dit que Hitler donne cet ordre en disant qu'il approuve une idée de Rundstedt, cela est loin de remplacer, pour prouver une initiative du commandant du Hgr A, une mention antérieure disant qu'il aurait sollicité à cet effet une instruction, ou une visite, du Führer. Bref, cela signifie qu'il n'a pas eu l'idée, mais qu'il a accepté d'en endosser, dans une certaine mesure, la co-paternité.
Je n'ai pas ce journal de marche. Pourriez-vous le citer svp ?
Qu'Hitler ait repris un ordre d'arrêt voulu par Hitler, je ne l'ai pas lu que chez Frieser mais chez pratiquement tout le monde. Ma mémoire, ou tous ces auteurs, peuvent très bien se tromper évidemment, mais ça fait quand même beaucoup de fumée pour qu'il n'y ait pas de feu. A moins que vous ne vouliez dire que Rundstedt avait prévu un ordre d'arrêt mais que la ligne d'arrêt énoncée vient de Hitler ?
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Donc, si Hitler arrête l'offensive, après avoir maintes fois déclaré qu'il avait peur pour son flanc sud et s'être fait dire au téléphone par Göring la veille devant de nombreux témoins aux deux bouts du fil qu'il fallait "laisser le travail à Dunkerque à l'aviation, arme nazie", le devoir de l'historien n'est pas de prendre ces discours de menteurs nazis professionnels au premier degré, mais bien d'essayer de comprendre la logique de leurs actes.
Les menteurs nazis ne mentent pas toujours, et notamment entre eux. Des millions de gens sont morts pour ne pas avoir pris leurs discours raciaux suffisamment au premier degré.
Maintenant, comme je l'ai déjà écrit, les actes tels que décrits par ces menteurs de nazis sont déjà logiques: Hitler estime que l'encerclement est consommé, il ne veut pas risquer que ça rate, il va donc finir la poche avec le groupe d'armées B et la Luftwaffe. Il y a des raisons parfaitement logiques et valables dans tout ça.
Le "devoir de l'historien" effectivement s'accomode fort bien d'aller plus loin et de mettre à jour une logique alternative qui se révèlerait une meilleure explication. C'est la raison pour laquelle j'ai posé toutes ces questions sur la logique du comportement de Hitler (cf plus haut et plus bas).
Citation:
Je vous ai déjà reproduit la phrase résumant sa thèse, elle ne vous a pas inspiré, je peux récidiver en citant le titre de cette partie : "Le véritable motif de Hitler : satisfaire ses ambitions de commandement face à la Generalität".
J'ai déjà lu le livre, et j'étais au courant
Je préfèrerais éviter de disserter sur ce que veut dire "le véritable motif", et notamment sur le fait qu'il n'exclut pas d'autres motifs (comme le désir de regrouper les blindés avant de continuer). C'est pour ça que je ne me suis pas étendu dessus: parce que ça n'a rien à voir avec la thèse Delpla, celle dont nous sommes censés débattre...
Citation:
Et là je dis : Frieser est un bon historien militaire du terrain, il voit plus clairement que ses devanciers qu'aucun chef, qu'il s'appelle Hitler ou autrement, en peut plus avoir la moindre peur pour le flanc sud ce jour-là,
Non, il dit qu'aucun chef de
devrait plus avoir la moindre peur pour son flanc ce jour là. Mais les chefs, surtout ces gros pleins de soupe planqués dans leurs châteaux bien au chaud, par opposition aux vrais officiers virils et n'ont pas dormi, qui puent et qui se font tirer dessus au contact du terrain (Frieser n'est pas général), se trompent souvent. Des remarques sur le thème "il faut vraiment être décérébré pour penser ça", on en trouve à tous les chapitres de l'histoire militaire.
Par exemple, les mouvements qu'ordonne Billotte montrent clairement qu'il n'a pas de vision d'ensemble, mais ni Georges ni Gamelin, dont c'est pourtant le rôle, ne viennent corriger le tir malgré des informations relativement concordantes à ce sujet.
Par exemple, moins d'une semaine après le 6 juin les Allemands ont déjà identifié toutes les divisions aguerries dont disposent les alliés en Europe: les paras, les 1st, 9th infantry et 2nd armored US, les 3rd, 51st et 7th Armoured britanniques, les Canadiens, etc. Donc si Frieser faisait un livre sur la Normandie, il écrirait que l'OKW n'avait vraiment plus aucune raison de garder la 15ème armée l'arme au pied et qu'il sautait aux yeux que les alliés n'avaient plus de troupes aguerries à envoyer dans un deuxième débarquement.
Et pourtant, ils l'ont fait.
Tout ça pour dire que l'impatience de Frieser devant les tergiversations allemandes est typique de pas mal d'auteurs d'histoire militaire (on retrouve la même attitude chez certains supporters de foot), mais n'a aucunement valeur de preuve.
Si les chefs militaires sont réputés infaillibles et que leurs erreurs ne s'expliquent que par une volonté délibérée, alors il faut se demander quel complot est derrière la désastreuse variante Breda de Gamelin, quel complot est derrière la décision de Hitler de laisser passer l'occasion de capturer Leningrad, quel complot est derrière sa décision de séparer ses troupes en 42 ce qui fait rater la capture du Caucase et de Stalingrad, etc.
Qu'une attitude sur le terrain soit sous-optimale sur le plan de l'efficacité militaire est une condition nécessaire, mais non suffisante, pour conclure à l'existence d'autres motifs.
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mais il ne comprend rien de rien aux méthodes de commandement du Führer ni à sa subtile prise en main de l'armée depuis le recrutement de Blomberg jusqu'à la drôle de guerre en passant par la nuit des Longs couteaux et février 38.
Le titre du chapitre de Frieser s'inscrit au contraire parfaitement dans la logique de long terme de prise de contrôle des forces armées par Hitler.
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Donc il faut bien une explication et il ne reste, en tout cas je ne vois rien d'autre, que l'avertissement donné via les Suédois : lorsque l'armée allemande aurait atteint Calais (soit finalement le 23, veille, savez-vous, du 24) il faudrait contresigner en vitesse les "conditions généreuses". Avertissement dont on trouve un écho à Paris le 20, transmis par Nordling, cependant que le 23 à Londres Churchill fait rejeter un "plan Dahlerus" de neutralisation du nord de la Norvège, qui n'a laissé aucune autre trace dans les archives qu'une mention rapide dans les minutes du cabinet...
Le "je ne vois rien d'autre" comme explication, c'est sincère ou c'est une envolée lyrique pour les besoins de la démonstration ? Parce que ça change considérablement la perspective si c'est vraiment ce que vous pensez.
Le fameux message, je ne l'ai pas lu. Ce que j'en ai compris, c'est ce que vous en avez cité qui jusqu'ici était qu'il fallait signer
avant que la Wehrmacht atteigne Calais. Donc en supposant qu'Hitler ait été convaincu que les alliés avaient reçu son message et l'avaient pris au sérieux, le 24 mai Calais a été atteint et aucune offre de paix n'est parvenue à ses oreilles, c'est donc une fin de non recevoir diplomatique.
Par ailleurs, ça ne répond pas à la question fondamentale: toujours en supposant que les alliés et Hitler avaient les yeux fixés sur les termes de cette fameuse proposition, quel est l'intérêt pour les Allemands de ne pas poursuivre leurs opérations militaires en liquidant la poche ?
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Quant à l'intérêt qu'auraient Paris et Londres à traiter avant que les armées du nord ne soient anéanties ou prisonnières, je doute qu'il vous échappe.
Non, mais que l'intérêt qu'auraient Paris et Londres à discuter de paix avec Hitler soit moins grand si ces armées n'étaient pas perdues ne m'échappe pas non plus.
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Ce qui est en cause, donc, c'est l'espoir plus grand que Hitler aurait d'obtenir la paix avant cette liquidation qu'après, et l'intérêt qu'il y trouverait.
Exactement. C'est la question que je pose depuis le début, comme quoi tout vient à point...
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Mais d'une part, et c'est ce que peu voient, il excelle à se mettre à la place des autres : donc il calcule que son offre est tentante, et il n'a pas tort.
Son offre n'est pas plus tentante avec les armées alliées prisonnières qu'avec les armées alliées en liberté provisoire.
Si la paix est signée, les prisonniers seront libérés de toutes façons. Plus il a de prisonniers, plus il a de chance que les alliés acceptent ses conditions.
C'est cette partie du raisonnement que je ne suis pas du tout.
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D'autre part, comme Freud à ses débuts, il opère sous hypnose : il ne faut surtout pas que les gens se réveillent, se retournent et réfléchissent.
...d'où la nécessité de ne pas leur laisser le temps de réfléchir. Si tel est le cas, pourquoi leur laisse-t-il un répit ? C'est contraire non seulement à son habitude mais à cette comparaison freudienne que vous faites.
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N'avez-vous pas remarqué qu'il procédait souvent par ultimatums après avoir donné l'impression de tergiverser (Sudètes, Pologne, etc.) ?
A chaque fois, l'ultimatum intervient avec un délai extrèmement court. Si le message de Dahlerus est parvenu le 20, le 24 il est déjà trop tard. Il n'y a pas non plus d'ultimatum pour la Yougoslavie, la Grèce, l'URSS et les Etats-Unis. Sans parler des alliés récalcitrants comme l'Italie, la Slovaquie ou la Hongrie.
Je ne vois donc pas que ça prouve quoi que ce soit.
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Enfin Hitler n'a pas seulement en vue les réactions de Paris et de Londres, c'est toute la planète qu'il veut impressionner par une démonstration conjointe de puissance et de modération, et mettre devant le fait accompli d'une paix signifiant que Londres comme Paris renoncent définitivement à leurs amitiés slaves.
C'est moi qui ai souligné dans votre texte. En quoi l'ordre d'arrêt tel qu'il est formulé est-il une démonstration de modération ?
Après tout, ainsi que je l'ai déjà montré, la poche de Dunkerque se prend l'attaque de plein fouet du groupe d'armées B et de la Luftwaffe, tandis que Guderian et Reinhardt font de leur mieux pour améliorer leurs positions, et que Rommel est occupé à encercler Arras. Le seul endroit où les alliés peuvent percevoir un répit c'est dans le secteur de Reinhardt (grosso modo une vingtaine de kilomètres) le 25, puis de Guderian et Reinhard le 26 (date où l'ordre est rapporté).
Il n'y a donc pas de répit, pas de démonstration de modération, et le seul moment où les chefs alliés pourraient penser qu'il y en a un c'est justement au moment où Hitler abandonne ! Comme méthode de communication, c'est un peu nul, non ?