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MessagePosté: Mar Juil 31, 2018 8:19 pm 
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Keitel accompagnait-il Hitler à Charleville, le 24 mai 1940? François indiquait qu'aucun document ne permettait de trancher.

Cependant, il s'avère que la visite de Hitler à Charleville a été suivie par Heinrich Hoffmann, lequel a pris quelques clichés, accessibles sur ce site en utilisant son logiciel de recherche (mots clefs: Hitler, Charleville). On y croise notamment le général Von Rundstedt, le colonel Jodl, ou encore l'un des aides de camp du dictateur, Julius Schaub. On notera que Jodl quitte le Q.G. de Von Rundstedt au même moment que Hitler.

Une photographie, prise peu avant le départ en avion de Hitler pour retourner à son propre Q.G., le Felsennest, est la plus révélatrice. On y aperçoit, de gauche à droite, Otto Dietrich (chef du service de presse du Reich), Hitler, Von Rundstedt, Martin Bormann, Wilhelm Keitel (au premier plan, en plein milieu, et inratable), Schaub, le colonel Rudolf Schmundt (aide de camp militaire de Hitler), le général Karl Bodenschatz (de la Luftwaffe), l'aide de camp Wilhelm Brückner, l'aide de camp Willy Deyle, et le diplomate Walther Hewel.

Le journal de Hewel correspondant à l'année 1940 n'a pas été retrouvé. Martin Bormann, dans son propre journal (davantage un vague carnet de déplacements qu'un journal), ne fait aucune mention du 24 mai 1940. Il n'est pas inintéressant que Bodenschatz ait été présent à Charleville, l'homme étant un proche adjoint de Göring, et servant d'officier de liaison entre lui et Hitler.

Le fait est qu'une photographie atteste que Keitel se trouvait à Charleville ce jour-là. A-t-il assisté à la réunion entre Hitler et Von Rundstedt? Compte tenu de son statut et de ses relations avec ce dernier, le contraire serait étonnant.

Du coup, je relis d'un autre oeil ses Mémoires, rédigés à Nuremberg, tant la version publiée que l'originale, non coupée par l'éditeur, Walter Görlitz. Keitel y mentionne l'épisode du Haltbefehl en quelques lignes. Selon lui, l'O.K.H. en aurait appelé à Hitler pour décider de la stratégie à suivre: fallait-il autoriser la Panzergruppe Kleist foncer vers l'est, au sud de Dunkerque? L'attention du dictateur aurait été attirée par la nature du terrain, prétendument impropre à la guerre mobile. Mieux aurait valu, selon lui, diriger l'offensive le long de la côte, ce qui impliquait de stopper la course des blindés. Et Keitel de préciser, non sans perfidie: si l'O.K.H. avait été sûr de son affaire, il aurait agi, sans réexaminer la situation avec Hitler.

Keitel s'exprime de mémoire, sans avoir sous les yeux les différentes pièces du dossier. Sa version des faits n'en reste pas moins source d'interrogations. Tout d'abord, il attribue, et sans réserve, la décision du Haltbefehl à Hitler, et ne dit mot de Von Rundstedt, ce qui prend un tout autre relief si l'on suppose qu'il a assisté à la réunion de Charleville. De même, Keitel se réfère manifestement au plan de Halder concocté le matin du 24 mai, qui impliquait de crever le front ennemi par le Groupe d'Armées A au sud de Dunkerque, pour faire jonction avec le Groupe d'Armées B et consommer l'encerclement des forces alliées, sans même avoir à prendre Dunkerque - plan tout aussi manifestement écarté par Hitler le lendemain matin, 25 mai (réunion à laquelle Keitel se réfère, à l'évidence). Preuve que la mémoire du chef de l'O.K.W. n'est pas mauvaise. Enfin, il admet honnêtement que la décision de Hitler s'est révélée erronée.

Mais Keitel

1/ transforme le Haltbefehl en pur et simple arbitrage, vis-à-vis d'un O.K.H. apparemment trop frileux pour "travailler en direction du Führer" et assumer ses propres responsabilités (bref, Hitler aurait plutôt "travaillé en direction de l'O.K.H.", mais pas de Dunkerque);

2/ précise que Hitler préconisait de conduire l'offensive sur Dunkerque par un détour le long de la côte (ce qui n'est pas sans intriguer, car la 1. Panzer-Division était précisément en mesure de le faire, et s'y apprêtait, sans qu'il soit besoin de stopper les Panzer de Kleist et Hoth);

3/ prend visiblement Hitler au sérieux quand ce dernier allègue que les Panzer risquaient de s'enliser dans les plaines inondées (!) du théâtre d'opérations au sud et sud-ouest de Dunkerque;

4/ et mieux encore, ignore visiblement que ledit O.K.H. a tenté, dans la nuit du 24 au 25 mai, de contourner ledit Haltbefehl pour prescrire à Von Rundstedt, en des termes soigneusement choisis, de reprendre l'avance (tentative qui n'est restée qu'à l'état de tentative, Von Rundstedt l'ayant mise en échec).

On ne peut exclure que Keitel noircisse, par mauvaise foi, le tableau pour dépeindre l'O.K.H. Dès lors qu'il admet que le Haltbefehl constitue une erreur, il peut lui être difficile d'aller jusqu'au bout de sa logique, et de concéder que le haut-commandement de l'armée de terre ait pu avoir raison. Ce qui expliquerait pourquoi Keitel dépeint ces généraux comme peu enclins à prendre des risques (il rappelle que tel n'était pas le cas du Führer!), et dont les velléités offensives n'auraient précisément été que des velléités. L'hypothèse expliquerait également pourquoi Keitel passe sous silence la tentative d'insubordination de l'O.K.H. dans la nuit du 24 au 25 mai, laquelle cadre mal avec la pusillanimité qu'il prête à cette instance.

Mais une autre hypothèse peut être soutenue: Keitel est mal, très mal informé. D'abord parce que Hitler, visiblement, ne lui dit pas tout (il ne lui fait part que d'un seul des motifs de l'ordre d'arrêt). De même, la circonstance que lui ait échappé la tentative de l'O.K.H. de vider le Haltbefehl de sa substance, dans la nuit du 24 au 25 mai, semble attester que l'information circule fort mal dans les instances dirigeantes, mais que le Führer reste mieux au fait de la situation que l'O.K.W. lui-même (il me paraît absurde, en effet, que la chose soit passée inaperçue du dictateur).


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MessagePosté: Ven Nov 02, 2018 9:06 am 
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Inscription: Sam Juil 01, 2006 8:20 am
Messages: 6779
Bonjour Nicolas


Loin de mes bases quand j'ai lu cette riche contribution, puis accaparé par les finitions du Hitler et Pétain, je l'ai laissée décanter.

Je persiste à penser que Keitel n'est pas présent à la réunion décisive, puisque Hitler s'adresse à Jodl lorsque, feignant la surprise, il veut savoir si le changement de limite entre les Hgr A et B, soustrayant à Rundstedt tous ses blindés, est connu de l'OKW. Hitler aura donc, pendant ce temps, envoyé Keitel en inspection dans quelque service, puisque tu établis solidement qu'il était bien présent à Charleville.

Le fait que Keitel ne cite absolument pas Rundstedt parmi les géniteurs de l'ordre d'arrêt ne renvoie donc pas au fait que, témoin oculaire, il aurait bien vu que Hitler le lui imposait, mais tout bonnement à l'évidence que c'était le dictateur qui menait la barque, expliquant cet ordre puis ordonnant sa levée.


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