http://www.karimbitar.org/lambauerExtrait d'un article de Barbara Lambauer sur Otto Abetz (2003) :
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Après une (très) brève période d’adaptation au nouveau régime, il décide de se mettre au service de celui-ci, qui apprécie spontanément les entrées dont il jouit dans le monde parisien. L’objectif de cet élan de rapprochement franco-allemand d’après 1933 est de contrer l’influence des adversaires du régime en France. Les cercles d’intellectuels constituent alors un relais très important. Dès avril 1933, Drieu La Rochelle et Alfred Fabre-Luce participent à une nouvelle réunion à Paris ; ils s’attirent aussitôt les vives critiques de Victor Basch, président de la Ligue des droits de l’homme, qui s’insurge contre la présence de jeunes Français de gauche : « Comment ne leur a-t-il pas répugné de mettre leur main dans celle des militants qui se sont proclamés zélateurs enthousiastes du Führer, qui, peut-être, ont participé eux-mêmes aux crimes de ses bandes, qui, en tout cas, n’ont pas protesté contre eux et s’y sont, par conséquent, associés en esprit ? » (L’Eveil des Peuples, 14 mai 1933).
POUR LE COMPTE DE RIBBENTROP
De fait, à partir de 1934, sous le signe d’échanges en apparence libres, plaidant pour une ouverture et tolérance mutuelles (qui, en réalité, seront toujours à sens unique), Abetz, mis en congé au lycée de Karlsruhe pour travailler à plein temps pour le compte de Joachim von Ribbentrop et sa Dienststelle Ribbentrop, réussit effectivement à rallier un certain nombre d’intellectuels notoires à son œuvre d’entente. À la fin de 1935, ses efforts débouchent sur la fondation d’un « Comité France-Allemagne » qui, grâce à une liste de membres prestigieuse, voire symbolique (pour n’en citer que son président provisoire, le commandant L’Hopital, ancien officier d’ordonnance du maréchal Foch, ou ses vice-présidents Ernest Fourneau, de l’Académie de Médecine, Gustave Bonvoisin, directeur général du Comité central des allocations familiales, et le journaliste diplomatique Fernand de Brinon) réussit à atteindre un cercle assez large et très hétérogène de la vie publique française, tout en permettant de camoufler ses inspirateurs directs du côté allemand.
Dans sa publication, Les Cahiers franco-allemands, les contributions émanent d’hommes politiques comme Léon Baréty, vice-président de l’Assemblée nationale, ou Gaston Henry-Haye, sénateur et maire de Versailles (futur ambassadeur de Vichy à Washington), d’intellectuels comme Jules Romains, Henry Bordeaux, Jean Giraudoux, Jean Giono, Alphonse de Châteaubriant, Henri Lichtenberger, Louis Bertrand ou Bernard Faÿ — liste qui est loin d’être exhaustive. Dans les années qui suivent, l’envoyé de Ribbentrop sait élargir et approfondir ses liens avec les écrivains français, qu’il s’agisse des personnes déjà citées, ou de nouveaux contacts, tel le Cercle Rive Gauche autour d’Annie Jamet, où nous trouvons l’équipe de Je Suis Partout (Robert Brasillach, Georges Blond et leur ami bruxellois Pierre Daye, qui se rendent à plusieurs reprises à Berlin et aux congrès de Nuremberg).
Ces contacts sont cruciaux pour le réseau des connaissances dont pourra bénéficier Abetz lors de son installation parisienne de juin 1940 et pour la collaboration culturelle qu’il saura insuffler jusqu’en 1944. Pour mieux appréhender son action vis-à-vis des intellectuels français, et pour mieux comprendre sa force de séduction exercée sur les écrivains français, citons des extraits d’une étude anonyme sur « les formes de la propagande allemande » en France, datant de septembre 1938, qui se trouve dans les papiers d’Edouard Daladier aux archives du Quai d’Orsay. Évoquant la pratique des traductions d’œuvres françaises en langue allemande et le fait que les bibliothèques allemandes sont ensuite tenues de les acquérir, elle précise que « le résultat financier pour les écrivains choisis par la propagande nationale-socialiste [est] de plus agréable, le prix des livres en Allemagne étant dix fois plus cher qu’en France. […] On s’adress[e] non seulement à des écrivains dont la formation politique laiss[e] espérer un ralliement au nazisme [ :] M. Jean Giono […] qui est un communiste convaincu et qui joue un rôle important dans ce mouvement, est l’écrivain français le plus lu en Allemagne. Sa position politique est inconnue au public allemand auquel il est présenté comme le représentant français du mouvement « Blubo » [« Blut und Boden »]. […] Chaque personne de notoriété publique reçoit ainsi ses éloges par la presse allemande dès qu’il prend position en faveur de la propagande allemande ».
LA COLLABORATION CULTURELLE : UN « BILAN POSITIF »
En juin 1940, Otto Abetz n’a donc qu’à ressusciter les contacts interrompus depuis son expulsion de France, à l’été 1939. Certes, tous les liens ne se sont pas préservés ; certaines de ses anciennes connaissances littéraires se trouvent dans le camp opposé. Il n’empêche, la liste des visiteurs de l’ambassade d’Allemagne à Paris dès l’été 1940 est éloquente, et pour n’évoquer qu’eux, citons Bertrand de Jouvenel ou Drieu La Rochelle ; ou encore, Belges réfugiés en France, Henri de Man et les époux Didier. Tous ressentent alors qu’une nouvelle ère commence ; tous ont en commun de vouloir profiter de la rupture qu’entraîne la défaite de leur pays pour participer au renouvellement pour lequel ils ont œuvré depuis plusieurs années.
L’Allemagne se présentant comme vainqueur incontestable de la guerre, il va de soi que cela ne doit se faire qu’en accord avec elle. Des hommes comme Otto Abetz sont là pour le rappeler et agir dans le même sens : parmi les premières démarches de celui qui portera rapidement le titre d’ambassadeur, se trouve la remise sur pied de la vie intellectuelle (qu’il considère comme son domaine propre), notamment de la presse, dont certains propriétaires et directeurs frappent déjà à sa porte. De nouveaux journaux sont fondés, la direction étant souvent confiée à ses hommes de confiance, tels Jean Luchaire, Jean Fontenoy, Henri Jamet * ou Jacques de Lesdain. Des maisons d’édition reprennent leur travail, certaines passant directement aux mains des services de l’ambassade, d’autres restant simplement sous leur contrôle. C’est que l’importance du volet culturel ne doit pas être sous-estimé dans la politique mise en place par l’occupant, soucieux d’éviter les erreurs commises lors des occupations du conflit précédent : il s’agit désormais de créer l’illusion d’une vie « normale », intellectuellement prospère et stimulante, qui fait oublier la présence d’une armée étrangère sur le sol français. Par ailleurs, cette politique doit permettre de gagner la confiance des Français, en tout cas d’éviter leur hostilité, voire de saper l’influence que pourrait exercer le gouvernement français de Vichy. L’importance est aussi d’ordre militaire, puisqu’il s’agit de préserver une situation calme sur le front de l’Ouest.
Pour gagner la sympathie des écrivains et leur soutien à la politique de collaboration, ceux-ci deviennent l’objet d’une attention tout particulière. Associés aux nombreuses manifestations organisées par l’ambassade et ses services (dont l’Institut allemand de Karl Epting), sollicités pour diverses interventions et participations, y compris une campagne de traduction d’ouvrages allemands lancée dès 1940, Otto Abetz s’efforce ostensiblement de flatter les intellectuels prêts à collaborer et à assurer une ambiance stimulante pour la création. De nombreux écrivains sont alors disposés à s’engager en faveur de l’idée d’une collaboration avec l’occupant. À côté des Brasillach, Drieu La Rochelle ou Fabre Luce déjà évoqués, citons encore Alphonse de Châteaubriant, Abel Bonnard et Abel Hermant (tous deux membres de l’Académie française), Jacques Chardonne, sans parler de Jean-Paul Sartre ou de Jean Cocteau, qui, pour le moins, n’ont pas laissé perturber leur créativité par les circonstances politiques, contribuant ainsi à l’enrichissement de la vitrine culturelle de Paris occupé.
Il est un fait que le bilan de la collaboration culturelle est extrêmement positif pour le Reich. Les échanges franco-allemands se trouvent stimulés comme rarement avant et après cette période. Un constat qui est assez curieux, certainement provocateur, mais surtout nécessaire. Il montre que les écrivains en quête de reconnaissance, comme de solutions politiques parfois simples, ne sont pas immunisés contre les « tentations (et flatteries) du fascisme », qui prétend leur confier un rôle de responsabilité vis-à-vis de leurs concitoyens. Au vu des télégrammes de félicitations envoyés par Berlin à son ambassade en juin 1944, exprimant une grande reconnaissance pour le travail accompli, ce rôle a été pris au sérieux de part et d’autre.
Quel crétin encore celui-là, qui préparait de longue main une situation d'hégémonie allemande où il gouvernerait la France après une victoire militaire, faute d'avoir compris que Hitler était un agneau. Mais ce pacifiste à tous crins (Hitler, du moins envers la France) était perpétuellement trahi par son entourage.