Ceci est un embranchement à partir du fil voisin sur la Normandie.
Michel Boisbouvier devrait nous donner prochainement une citation d'Eisenhower, affirmant que le débarquement aurait échoué si l'acheminement des renforts allemands depuis la Haute-Normandie avait été plus rapide. Je lui réponds :
admettons
1) qu'Eisenhower ait écrit que le débarquement était fichu si x Allemands passaient la Seine;
2) qu'il l'ait écrit de bonne foi et en prenant le temps de vérifier tous les paramètres;
3) que l'histoire, avec tout ce qu'elle sait et qu'il ne savait pas, ait tendance (au termes d'analyses nécessairement longues et nuancées) à lui donner catégoriquement raison, bref qu'on puisse considérer son affirmation comme un fait établi. Et alors ? Nous aurons simplement démontré que le débarquement comportait un risque, qu'il pouvait échouer. Tu en déduis quoi ?
Les conséquences d'un échec du débarquement sont particulièrement dures à supputer. Cela peut aller de "premier round perdu, second en vue" (ici, la quantité du matériel détruit est un facteur primordial) à "seuls les Soviétiques peuvent désormais libérer l'Europe occidentale, c'est trop cher d'un point de vue capitaliste, anglo-saxon, démocratique etc." donc on vire Churchill -enfin !, les bourgeois retrouvent leurs classiques, on cherche une entente avec les élites allemandes en leur demandant de planquer un peu leurs nazis et alors de deux choses l'une : soit un rideau de fer à peu près semblable à celui qui adviendra, soit la croisade antisoviétique qu'on a loupée en 1919, avec la Wehrmacht en fer de lance.
On peut aussi supputer sur la situation française : pleurs et résignation, ou sursaut de conscience et radicalisation de la population, qui se dit que décidément Vichy c'est nul, que la libération ça se mérite et que si on avait mis plus de bâtons, au péril de sa vie, dans les roues des défenseurs gammés de la Normandie, les Alliés auraient eu de meilleures chances de s'y maintenir ?
Or tu tournes le dos à de telles questions, au profit d'un scénario improbable que tu as l'air de considérer comme absolument certain. Hitler ne se sent plus. Il massacre d'un seul coup d'un seul les Juifs encore présents en France. Il me semble
1) que rien ne subsiste ici de ta foi en un rôle "protecteur" de Pétain.
2) qu'une fois de plus tu ne te places pas dans la tête de Hitler (qui, dans sa stratégie de renversement des alliances, a intérêt au contraire à mettre la pédale douce sur le massacre, du moins à l'ouest).
3) que tu te mets sur les bras une démonstration délicate : comment ce qui était difficile avant le 6 juin (trouver les Juifs en France, surtout français, les rassembler, les massacrer) devient-il tout simple après ? Où trouver les personnels, etc ?
L'arme essentielle de l'occupant de la France, depuis juin 40, est le chloroforme. Pétain en est le symbole achevé. Un échec du débarquement a pour conséquence de loin la plus probable une continuation du jeu. Il regonflerait un peu, politiquement, le prudent maréchal (du moins dans certains secteurs de l'opinion, voir plus haut pour la radicalisation probable d'autres), et Hitler aurait de toute évidence intérêt à laisser faire, sous son étroit contrôle, comme toujours.
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