Il convient donc de mesurer l'extrême violence de ce tout premier vichysme, dès les premiers jours. Elle est elle-même une réponse aux actes de ses adversaires anglo-gaullistes, qui ne pratiquent guère eux non plus l'indulgence. Le tout en écho à la violence originelle en cette affaire, qui émane du nazisme.
A la violence symbolique de De Gaulle et de Churchill, qui tous deux disent dès le début (ou disons dès la signature de l'armistice, le 22 juin, car les jours précédents ils ont été abondamment censurés par le clan halifaxien ainsi que je l'ai montré dans mes études sur l'appel du 18 juin) que Pétain est déhonoré, succède vite un chapelet de violences physiques : agressions de Mers el-Kébir en juillet (cf. ci-contre la discussion sur cet acte de guerre .
http://www.delpla.org/forum/viewforum.php?f=28&sid=191218fb0d1b18cfc06f432f3f8c90dd, d'AEF en août, de Dakar en septembre, du Gabon en novembre. Mais Vichy n'est pas en reste. Un premier tribunal ayant condamné de Gaulle à la prison en juillet, un second, celui de Clermont-Ferrand, le promet (et le promeut) au peloton le 2 août et début septembre, lorsque Vichy apprend qu'il est parti pour une destination inconnue qu'on croit être le Maroc (alors qu'il s'agit de Dakar), le ministre des Affaires étrangères Baudouin télégraphie au résident Noguès qu'il faut le considérer comme "hors la loi", c'est-à-dire l'abattre comme un chien. La menace est suivie d'effet à Dakar où des parlementaires gaullistes arborant le drapeau blanc, à savoir le grand dignitaire religieux d'Argenlieu et le petit-fils de Foch, sont mitraillés sans sommation.
Baudouin a beau expliquer après la guerre que ce télégramme était fait pour être montré aux Allemands et qu'il envoyait verbalement des instructions plus indulgentes, en croyant se disculper il s'enferre totalement. Car autant, vu l'abondance de la paperasse dans le quotiden des administrateurs, un texte écrit peut ne pas avoir été lu, ou avoir été oublié, autant des instructions verbales contredisant subrepticement un ordre en bonne et due forme devraient laisser des traces dans les esprits. Or aucun témoignage n'est venu étayer l'excuse de Baudouin. Elle aggrave donc son cas : non, il n'avait pas envoyé d'instructions edulcorantes mais oui, le texte était bien à l'usage des Allemands, et son application également, censée convaincre l'occupant de la "bonne volonté française", ce qui était l'alpha et l'oméga de la politique vichyssoise entre Mers el-Kébir et les lendemains de Montoire. Vichy cherchait désespérément à convaincre l'occupant de sa docilité, pour qu'il consentît à libérer des prisonniers, à assouplir la ligne de démarcation et à envisager un traité de paix clément en réservant toute sa dureté au prochain vaincu, à savoir l'Angleterre... dont la résistance sous les bombardements est alors vécue comme une aubaine : les Allemands vont finalement avoir besoin de nous, donc en fin de compte il n'est pas mauvais que Churchill ait entraîné ses compatriotes dans une folle résistance de quelques semaines !
Une autre aubaine est le passage de l'AEF, au Gabon près, dans le camp gaulliste fin août : elle permet de mendier à Hitler, comme après Mers el-Kébir, un desserrement des clauses de l'armistice, et cette fois-ci la récolte est un peu plus substantielle : Darlan reçoit l'autorisation d'envoyer une escadre assez importante vers l'Afrique noire. C'est elle qui, après de curieuses tribulations, mouillera à Dakar au moment de l'arrivée des anglo-gaullistes, empêchera la prise de la place et permettra à Vichy de donner, ou de croire donner, enfin un peu de confiance à l'Allemagne.
C'est dans ce contexte que Reynaud rejoint Mandel dans une captivité qui, grâce en particulier au capitaine Loireau, n'a pas débouché sur son exécution (ou pas encore). Il est arrêté le 6 septembre en vertu d'une loi édictée l'avant-veille et autorisant le gouvernement à interner "administrativement" n'importe qui. Il s'agit donc d'une aggravation considérable de la violence. Ce qui est en jeu, ce n'est plus le massacre des gaullistes pour trahison au profit de l'Angleterre, mais bel et bien le sacrifice des antinazis des années 30 sur l'autel de la réconciliation avec l'Allemagne et d'une acceptation de son hégémonie, la France n'aspirant plus qu'à devenir la fille aînée de l'Eglise nazie afin de récupérer un peu de ses moyens d'action. Tout l'esprit de Montoire est là