Jean-Marc Berlière et Sylvain Boulouque ont donné au
Monde une critique critiquable de la décision sarkozyenne de faire lire la dernière lettre du jeune résistant communiste. J'ai réagi, sur une "liste" de professeurs, par les deux messages suivants :
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0 ... 306,0.html
L'article de Berlière comporte ses propres excès propagandistes. D'une part,
le pacte germano-soviétique transformé en alliance, et les compromissions de
la direction du PCF dans l'été 40 étendues vers un aval mal défini, comme si
on cherchait à toute force à les étirer jusqu'au 22 juin suivant. D'autre
part, une partialité assez écoeurante et ahurissante aux dépens de Môquet.
Fusillé à 17 ans, il en avait donc 16 au moment de son arrestation. Et il se
voit tout bonnement reprocher de n'avoir pas, avant celle-ci, tiré sur les
Allemands ! En octobre 40 !!
Il faudrait raison garder. Les tracts qu'il distribuait au moment d'être
arrêté n'appelaient pas à bouter l'Allemand, en raison du pacte, c'est vrai
et c'est à dire à nos élèves, en appelant leur réflexion sur... plein de
choses, Munich, l'habileté de Hitler, l'anticommunisme prioritaire de la
City et de Chamblerlain, le goût stalinien pour les virages à 180°, le
sommeil de Roosevelt, le lâchage de la Pologne par Pie XII... Pour autant
ils ne devaient guère leur plaire, ces tracts, aux occupants, sinon
pourquoi interrompre la distribution et coffrer les diffuseurs ?
Mais l'affaire se passe en France et il est symptomatique de ne pas lire,
dans un tel article à propos d'une arrestation survenue le 13 octobre 40, le
mot "Montoire" (la rencontre est du 24) ni l'expression "révolution
nationale" (son esquisse est du 10). Abetz et Hitler ont fait mumuse avec le
PCF, maintenant ils font mumuse avec Vichy, le mènent par le bout du nez
vers un statut des Juifs (publié le 18 octobre), le tiennent en haleine avec
une promesse de rencontre... et donnent enfin leur feu vert pour
une répression anticommuniste féroce.
Enfin personne, même Berlière, ne nie que le PCF résiste après juin 41, ni
que Môquet soit fusillé pour lui appartenir et lui rester fidèle. Donc en
tant que résistant.
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Quand on est militant, on fait ce qu'on veut.
Quand on est historien, on est tenu d'inscrire les faits dans un double
cadre : la chronologie, et la vision d'ensemble d'une situation.
Ainsi : pas de discours historien sur le pacte g-s en faisant l'impasse sur
Munich; pas non plus si on n'évoque pas les négociations concomitantes de
l'URSS avec l'Angleterre et la France.
C'est d'autant moins possible qu'en l'occurrence il y a un tireur de
ficelles, parfaitement commun aux événements munichois et moscoutaires.
C'est Hitler qui fait qu'il y a problème, c'est lui qui fait triompher sa
solution du moment.
Désolé pour ceux qui croient qu'on ne peut s'opposer au discours de Berlière
que par un discours stalinien. Staline est ici un gamin en culottes courtes
tout comme Daladier et Chamberlain.
Comme l'a dit excellemment, en 1956 (en principe à propos d'autre chose,
mais allez savoir avec la poésie), un stalinien repenti :
C'était un temps déraisonnable
On avait mis les morts à table
On faisait des châteaux de sable
On prenait les loups pour des chiens
Tout changeait de pôle et d'épaule
La pièce était-elle ou non drôle
Moi si j'y tenait mal mon rôle
C'était de n'y comprendre rien
L'anticommunisme est une chose, dont on peut dire bien des choses. Aux mains
de Hitler, c'est la pire des choses. Non pas en termes moraux (puisque je
parle en historien) mais bien physiques et matériels : en nombre de morts et
de ruines à la fin. Ne serait-ce que parce qu'à travers les communistes il
vise les Juifs : embrasser le discours c'est pousser à la roue du massacre.
En toute inconscience bien sûr... puisque c'est lui que très généralement on
prend pour le gamin de l'histoire, le brouillon
jusqu'ici chanceux qui va bien finir par trébucher (donc, par exemple, pour
certains la pire faute, et la pire immaturité, serait de favoriser Moscou en
étant "belliciste").
Le débat anti-historique qui prévaut jusqu'à ce jour et envahit même notre
liste consiste à se renvoyer sans fin la balle : c'est vous, c'est votre
camp qui a armé Hitler, sale munichois !! Non mais vous vous êtes vu, sale
coco ?
Seul Churchill a gardé la tête hors du marais, et il a fini par rallier tout
le monde... le temps que le problème se suicide et que les grenouilles
retournent à leurs coassements.
Oui mais c'est pas juste : Churchill était un anticommuniste de la première
heure, tout à fait insoupçonnable de complaisance quand il donnait la
priorité au danger hitlérien. Eh oui, il fallait cela aussi sans doute. Seul
un inclassable pouvait damer le pion au plus inclassable des conquérants.
Et sous sa bannière tout le monde, des cagoulards aux communistes en passant
par les socialistes de la non-intervention et du lâche soulagement, retrouve
l'occasion d'abandonner ses petits calculs et de montrer ce qu'il vaut
vraiment.
Restent les ruses de l'histoire : Môquet finira-t-il en otage de
l'ouverture sarkozyenne après avoir achevé son parcours terrestre en étant
celui de Hitler ? La mystique dégénère plus que jamais en politique !! Mais
c'est là un défi à relever par nous tous, et il est à notre portée.
En voilà un gamin, un vrai, par l'âge, amoureux en attente du premier baiser
d'Odette et enrôlé dans des enjeux qu'il ne peut guère analyser (à nous de
le faire), tout prêt à croire non seulement que Staline a tout bon mais que
les dirigeants passifs de la drôle de guerre, qui avaient arrêté son père,
préparaient l'invasion hitlérienne, jugeant aussi important de faire vivre
le parti que la patrie et sans doute ne distinguant guère les deux.
On peut soupçonner que dans sa lettre, ce qui a retenu l'attention de notre
présidentiable paquet de nerfs (et, en amont, de son Guaino de conseiller),
c'est qu'il n'est question ni de parti ni de patrie, mais uniquement, en
apparence, de la famille. Pas de "camarade", pas de "vive Staline", pas de
drapeau rouge... ni de tricolore (l'un sans l'autre, ce serait trop gros).
En fait, la politique est tellement évidente qu'elle n'est pas dite : le
parti, c'est aussi bien la voie qu'a tracée Papa (Prosper Môquet,
député et emprisonné par Daladier puis Reynaud puis Pétain) que les copains
fusillés avec lui et qui ne sont autres que les communistes les plus
célèbres (donc vraisemblablement les plus admirés) du lot, Tintin
(Jean-Pierre Timbaud) et Michels (mais on prononce "Michel" et les distraits
croient que c'est un frère ou un cousin).
La patrie n'est pas moins lisible. Guy veut que sa mort "serve à quelque
chose" et que son frère soit fier de lui. Souvenirs d'école primaire, du
petit tambour Bara ? On peut au moins esquisser le rapprochement (et
rappeler les noces de 1789 et de 1917 que le PCF célèbre allègrement entre
35 et 39, et qui culminent dans les fêtes du cent-cinquantenaire, le 14
juillet 39). Nous pouvons d'ailleurs utiliser quelques autres textes,
notamment une lettre à Herriot où Guy soulignait que son père était un
ancien
combattant :
http://www.liberation.fr/transversales/ ... 277.FR.php
Oui, décidément, voilà une magnifique entrée, pour causer de tous les choix
qui s'offrent à nos ados, et de tous les pièges, qui n'ont guère changé
tandis que les problèmes devenaient, s'il se peut, plus graves. En plus je
viens d'apprendre que j'aurais des premières pour la première fois depuis
longtemps. Ah c'est sûr, ils vont y avoir droit, à la lettre de Guy, le jour
de la rentrée ! Et dans ce geste l'obéissance tiendra peu de place !!