A cet interrogatoire de modèle inquisitorial, probablement relayé dans ton esprit par l'empreinte des méthodes staliniennes, il n'est qu'une réponse digne : s'il se confirme par cette énième dérobade (ou enrobade) boisbouvière que je n'ai nulle part qualifié Churchill d'infaillible, j'ai fait remarquer en effet que sa conversation de la mi-septembre 1930 avec Bismarck, découverte dans les archives allemandes, donnait déjà une vue assez claire sur ce qu'allait être son antinazisme des années 30. Même si son souci est l'esprit de revanche allemand, au sein duquel il discerne encore mal la spécificité du nazisme.
Mais la citation littérale de mon propos détrompera mieux encore le lecteur intoxiqué :
Cette conversation, qu’il rapporte aussitôt par télégramme à son ministère, porte avant tout sur le résultat des élections au Reichstag. Churchill s’en alarme, au nom de la paix. Il estime que Hitler porte une lourde responsabilité dans la dégradation du climat entre l’Allemagne et la France. On trouve déjà dans ce texte une idée qu’il ne cessera de répéter pendant une décennie, que c’est « une bonne chose pour l’Europe que la France ait une armée forte ». Il lui délivre en même temps un brevet de pacifisme : ce n’est pas elle qui « penserait à déclencher une attaque non provoquée contre l’Allemagne ». Mieux encore, il ne croit pas aux protestations de pacifisme de Hitler :
Citation:
Hitler a certes déclaré qu’il n’avait pas l’intention de mener une guerre d’agression. Cependant lui, Churchill, est convaincu que Hitler ou ceux qui le suivent saisiront le premier prétexte pour recourir aux armes .
Les deux hommes évoquent ensuite la clause du traité de Versailles qui devait être, neuf ans plus tard, à l’origine de la guerre : Bismarck ayant dit que le corridor de Dantzig provoque « la colère des Allemands de tous les partis », son interlocuteur objecte qu’« il faut que la Pologne ait un débouché sur la mer », puis interroge Bismarck en détail sur la liberté du trafic allemand à travers le corridor, et la juge satisfaisante.
Churchill n’est pas très au fait du problème du corridor, mais il entreprend de rattraper son retard : signe qu’au cours des années récentes il s’est un peu désintéressé de l’Europe orientale et va désormais lui consacrer plus d’attention. D’autre part, les mots « Hitler ou ceux qui le suivent » montrent qu’il ne perçoit pas le rôle essentiel du Führer dans son propre mouvement : il s’agit pour lui d’une banale extrême droite revancharde, à qui on doit parler haut, et il importe assez peu de savoir qui la commande. Elle n’est d’ailleurs pas censée déployer un grand art de la tromperie, mais déclencher une guerre au moindre « prétexte ».
, Le Rocher, 2012, p. 8.