Il est certain que Vichy avait les moyens de savoir quel serait le sort des Juifs déportés, au second semestre 1942, au regard des informations et des rumeurs qui circulent alors:
http://www.livresdeguerre.net/forum/con ... =46570&v=1Voir également cet article de Francis Deleu:
viewtopic.php?f=87&t=419&p=7737#p7737Il n'en apparaît pas moins qu'au cours des mois précédant les rafles massives de l'été, bien des dirigeants vichystes, à commencer par Xavier Vallat, s'imaginaient encore, ou faisaient mine de s'imaginer, que les Juifs déportés en Pologne y étaient affectés en vue d'édifier un genre de "colonie agricole" prenant la forme d'un immense ghetto. Une vérité qui se dissipera rapidement.
Un exemple se révèle, à ce titre, des plus révélateurs.
Comme l'écrit Gilles Karmasyn sur le site phdn -
http://www.phdn.org/negation/documents/ ... y-19420425 -,
"Louis Sadosky, policier français membre des RG, est arrêté par la Gestapo le 2 avril 1942 et transféré à Berlin. L’arrestation se révèle être une erreur : Sadosky est un collaborateur zélé. Il finit d’ailleurs par être traité comme tel; après l’avoir interrogé sans ménagement, la Gestapo lui fait les honneurs de Berlin avant de le renvoyer en France où il contribuera à la chasse aux Juifs. De retour à Paris, il rédige un rapport à l’attention et à la demande de ses supérieurs. Ce document, découvert aux Archives nationales par l’historien Laurent Joly, raconte les cinq semaines du « voyage » de Louis Sadosky en Allemagne. Le 25 avril, des inspecteurs de la Gestapo lui font visiter Berlin et lui montrent comment sont traités les Juifs encore présents. Leurs propos sur le destin funeste et la part qu’y prend Hitler sont sans ambiguïté. Voici comment Louis Sadosky les rapporte :
Citation:
Il reste encore à Berlin, nous ont confié les inspecteurs, 63 000 juifs allemands, mais, ajoutèrent-ils, chaque jour des convois de juifs sont formés à destination de l’Est, et nous pensons, dirent-ils encore, qu’en 1943, il ne restera plus un seul juif à Berlin. Mais où les conduit-on, demandais-je. Dans le gouvernement général, me répondit-on. Alors, dis-je, le gouvernement allemand n’aurait-il pas l’intention de créer dans le gouvernement général un ghetto universel. Oh, non, me répondit-on, ce n’est pas l’intention du chancelier Hitler, mais au contraire celle de la destruction complète et à jamais de la race. Dans le Gouvernement général, les juifs ne vivent pas longtemps.
Source: Rapport de Louis Sadosky, 20 juillet 1942, cité par Laurent Joly,
Berlin 1942. Le voyage d’un collabo au coeur de la Gestapo, C.N.R.S. Editions, 2009, p. 137-138.
Ainsi, le 20 juillet 1942, au moment où les rafles se déchaînent en zone occupée, un petit fonctionnaire français confirme à ses supérieurs que les Juifs sont exterminés, une telle information lui ayant été révélée comme frappée du sceau de l'évidence par ses collègues nazis de Berlin. Rien n'exclut, dans ce document, que Sadosky ait communiqué cette donnée à sa hiérarchie antérieurement dès le mois d'avril.
Il est difficile de déterminer la portée d'un tel document. Nous ne savons pas si Pétain et Laval ont eu communication de ce rapport. Mais, compte tenu de la divulgation très facile du "grand secret" (
sic) à Sadosky, on est en droit de supposer que d'autres fonctionnaires français ont été pareillement informés par des canaux identiques.
Surtout, la publication très tardive d'un tel rapport incite à penser que les archives dissimulent d'autres pépites, sachant que la problématique de la connaissance qu'avait Vichy, dès 1942, de la "Solution finale", n'a pas fait l'objet d'une étude approfondie, malgré quelques certitudes dégagées - Pétain a notamment avoué en 1944 avoir su ce qu'il en était:
viewtopic.php?f=87&t=419&p=7731&hilit=Gard#p7731Plusieurs historiens concluent, un peu facilement, que Vichy n'a pas cherché à savoir, dans la mesure où aucun document, à les en croire, ne témoignerait d'un quelconque intérêt du régime s'agissant du sort des déportés, à l'inverse des efforts tentés auprès des prisonniers de guerre.
Une telle assertion ne saurait cependant satisfaire. Elle constitue la déduction inaboutie d'une recherche inaboutie - comme le prouve le document déniché par Laurent Joly. Ne pas chercher à savoir, n'est-ce pas, en effet, le signe qu'on savait? Surtout, la thèse du manque de curiosité de Vichy fait bon marché d'une hypothèse qui me paraît, elle aussi, étayée par la découverte de ce document: le grand ménage effectué par les autorités vichystes elles-mêmes au sein des archives, pour camoufler leurs responsabilités. Comme souvent, de tels nettoyages laissent des traces, et bien des pièces accablantes ont été susceptibles d'y échapper, comme le rapport de Sadosky.
Ce document, et ses implications, jettent une nouvelle lumière sur l'accord conclu entre Laval et les
S.S. le 2 septembre 1942, s'agissant de la réponse à apporter dans l'hypothèse où le gouvernement serait interrogé sur le sort des Juifs déportés :
Citation:
Paris, le 4 septembre 1942.
Au cours de l'entretien qui a eu lieu le 2 septembre entre Oberg et Laval, le Président a indiqué que les diplomates étrangers lui ont, à plusieurs reprises, posé la question de savoir pour quelle destination étaient acheminés les transports des Juifs livrés aux Autorités d'occupation. Il répondait qu'en principe, on les emmenait, dans la partie sud de la Pologne. Il demande maintenant de lui indiquer la façon de répondre, afin d'éviter une divergence avec les renseignements donnés par nous. Il a été convenu que le Président Laval communique en réponse à de telles questions que les Juifs transférés de la zone non occupée aux Autorités d'occupation sont transportés pour être employés au travail dans le gouvernement général.
Le fait que Laval prenne la peine de concocter une telle version des faits avec les
S.S. (
"il a été convenu"...) atteste qu'il n'ignorait pas la vérité. Sinon, pourquoi élaborer une telle "convention de langage"? Sinon, pourquoi le document n'indique-t-il pas:
"Les représentants des autorités d'occupation ont tenu à rappeler au Président Laval que les Juifs transférés de la zone non occupée sont transportés pour être employés au travail dans le gouvernement général"?
Ce dernier document établit également que les nazis n'ont pas cherché à l'informer directement de la réalité de la "Solution finale", d'où ce cafouillage sur la version à livrer à la presse et aux diplomates étrangers. Plus intéressant, Laval n'a pas davantage cherché à interroger les
S.S. sur ce point, et tout ce qui le préoccupe en leur présence, c'est d'élaborer un discours commun sur le sujet...