Autant il n'y a jamais eu de séisme Le Pen en 2002 mais une infime vaguelette, autant il y a bien cette fois-ci un séisme Bayrou, dont nos observateurs tardent à prendre la mesure. Le Béarnais détient bel et bien la clé du second tour.
Sarkozy le sait mieux que personne. Quel animal politique ! Et quel piètre homme d'Etat, on en frémit d'avance. S'il a révélé une qualité, c'est bien la lucidité sur la force de ses adversaires. Il a écrit dès l'été dernier que SR serait redoutable et que l'élection se jouerait dans un mouchoir, il en a conclu qu'il devait absolument faire la course en tête pour installer l'idée de sa victoire, il l'a fait en se faisant un carburant des voix de Le Pen quitte à droitiser à mort son discours, il l'a fait de plus belle devant la menace de Bayrou et aujourd'hui cela lui donne une auréole de "tombeur de Le Pen", propre à fidéliser son électorat. Mais rien que lui ! Comme en témoigne le fait qu'aucun des leaders de droite qu'il devance n'appelle, à l'heure qu'il est, à voter pour lui, contrairement à ce qui se passe à gauche (au passage, je remarque une énormité dans les commentaires : on prétend qu'Arlette Laguiller ne s'était jamais désistée en faveur d'un autre candidat sauf en 1974, or cette année-là pas plus que les autres elle n'avait appelé à voter à gauche... et l'écart Giscard-Mitterrand était plus faible que le nombre de ses voix).
En fait, Sarkozy a subi, avec les 19% de Bayrou, une claque historique. Et ledit Bayrou a déjà, quoiqu'il s'en défende, indiqué où allait sa préférence. En appelant, mercredi prochain, à voter Sarko, il déclencherait un éclat de rire national et perdrait tout son acquis, dût-il y gagner Matignon (comme Chirac en ce même an de grâce 1974, après avoir lâché Chaban). Il se voit en présidentiable, il joue déjà pour 2012 et Sarko, un peu plus jeune que lui, serait indéboulonnable au bout d'un premier mandat, du moins a-t-il quelques raisons de le penser (et d'être certain qu'il ne resterait pas 5 ans à Matignon). Donc Bayrou, le candidat "anti-système", s'il n'a pas intérêt à rallier avec armes et bagages le parti socialiste, ne peut que souhaiter la victoire de Ségolène, qu'il prépare d'ailleurs depuis un bail avec son compère Rocard (on peut supposer que, s'il a espéré être élu, il a toujours su que ce serait difficile, et maintenu à son arc une corde Ségolène de rechange).
Bref, je converge avec les Bangkokois : la victoire, certes courte, de Ségolène Royal est probable. C'est sa politique qui fait, plus que jamais, question, suivant qu'elle incorporera plus ou moins de bayrouisme. Car les patrons de l'UMP et de l'UDF ont ceci en commun qu'ils ont annoncé clairement des coupes terribles dans les dépenses de l'Etat, le premier en ne remplaçant pas un fonctionnaire retraité sur trois (à terme, un lycée public sur trois va ainsi disparaître : je ne suis pas sûr que tous mes collègues enseignants le mesurent), le second en s'engageant à réduire la dette publique (cela peut être une bonne chose, sauf si on ne dit pas comment... ce qui risque fort de revenir à supprimer un fonctionnaire sur trois).
Un bon point pour Ségolène, à la fois de mon point de vue et de celui de ses chances de victoire : certes elle a approuvé le piètre texte européen de 2005, mais elle veut en soumettre une version corrigée au référendum, ce qui est la moindre des choses, tandis que Sarkozy voudrait passer par la voie parlementaire, ce qui donne la mesure du mépris du peuple qui anime celui qui larmoyait hier soir sur les humbles et les handicapés. Bayrou lui aussi veut repasser par le référendum : il y a là une convergence électoralement ravageuse si elle est bien mise en valeur, et ce ne serait que justice, tellement l'élection d'un candidat "ouiste" sera déjà, en soi, une chose quelque peu immorale, après une victoire du "non" à 55% qu'on a préféré oublier bien vite et qui n'a déclenché ni changement ni autocritique, que ce soit au PS, à l'UMP ou à l'UDF.
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