Citation:
Il est en permanence presente par certains comme plus "pro-nazi" que Petain.
Pro-allemand serait plus juste.
Le fossé entre eux date du début novembre -la documentation actuellement exhumée le fait apparaître le 7- et il est une conséquence des lendemains décevants de Montoire. Vichy unanime (sauf Weygand, plus réservé... et chassé du gouvernement début septembre) poursuivait depuis plusieurs mois la chimère d'une mise en "confiance" des occupants -d'où Montoire et tout ce qui précédait (Dakar, statut des Juifs, révolution nationale...). Or non seulement Montoire ne débouche sur aucun résultat en matière de prisonniers, ligne de démarcation, frais d'occupation etc., mais début novembre l'Allemagne annonce l'expulsion de tous les Mosellans qui refusent de devenir allemands, donnant à penser à un large public qu'à Montoire Pétain a jeté les bases d'un traité bradant l'Alsace-Lorraine. Réactions de Pétain et de Laval diamétralement opposées : le maréchal se rend compte qu'il s'est prêté à une simple poignée de main médiatique et jure -un peu tard- qu'on ne l'y prendra plus, Laval pense qu'il faut mettre les Allemands encore plus en confiance par des concessions unilatérales (ce seront l'or belge, les mines de Bor, etc.).
L'étranger de son côté ne reste pas insensible à cette situation. S'étant attendus à un traité et ne voyant rien venir, Roosevelt comme Churchill entreprennent d'encourager la présumée "résistance" du maréchal -Churchill de son côté essayant comme toujours de pousser les feux plus avant que le Raminagrobis d'outre-Atlantique, et entamant une vive pression sur Weygand (arrivé comme proconsul en Afrique début octobre) pour qu'il reprenne la lutte.
Pour Hitler, l'équation est la suivante. Décidé à frapper vers l'est, il a besoin plus que jamais d'occuper la France à moindres frais et de tenir les Anglais les plus éloignés possible. La neutralité de l'Espagne et celle des colonies françaises sont, de ce point de vue, essentielles. Leur entrée en guerre, que ce soit du côté de l'Axe ou de celui des Anglo-Saxons, serait de toute façon catastrophique, en créant un besoin de soutien allemand à l'opposé de la ligne bleue du Bug. Mais précisément, pour maintenir cette neutralité, il a besoin d'entretenir un certain niveau de bruits de bottes, de faire croire que ces régions l'intéressent et que du moins, si elles ne se tiennent pas tranquilles, il peut encore intervenir de manière foudroyante (tout cela créant également des leurres utiles pour que Staline, jusqu'au 22 juin 41 et même un peu au-delà, ne sache pas exactement sur quel pied danser).
L'intérêt de Hitler est donc d'articuler les rôles de ses valets, protégés et dominés, en Europe de l'Ouest et en Afrique, de façon que chacun se croie utile, patriote, sauvant tel ou tel meuble, le tout sans bouger d'un pouce. Et c'est bien ce qui se met en place, du côté vichyste : une tension sans rupture entre Pétain et son premier ministre plus pro-allemand (la rupture avec Laval étant compensée sur l'heure, de fait, par un acoquinement Pétain-Darlan-Abetz, officialisé le 9 février avec la nomination de Darlan comme vice-président du conseil), une autre tension sans rupture entre Pétain et Weygand, plus anti-allemand (et d'ailleurs quand Darlan a la peau de Weygand le 14 novembre 41, l'Allemagne s'acoquine aussitôt avec Juin, son successeur, qui est à Berlin à Noël dans le bureau même de Göring !).
Eh oui, cher Michel, on n'est pas obligé de revenir à Aron pour s'éloigner de Paxton. Tu nous as d'ailleurs écrit ici même que tu avais lu mon
Montoire. Tu aurais dû mieux en tenir compte en rédigeant ton propre ouvrage. Mais je suis en train moi-même de le dépasser !