boisbouvier a écrit:
Sur la reconquête des colonies dissidentes, Kershaw s'inscrit en faux contre ton propos,
Double est le viol de la charte (argument d'autorité + renvoi à un livre au lieu d'exposer l'argument qu'il est censé contenir) !
Mais pour qu'à quelque chose malheur soit bon, je saisis l'occasion de reproduire et de jauger le peu qu'Ian Kershaw dit de mon
Montoire.
Eh bien pour une fois tu es un excellent disciple d'un spécialiste universitaire ! Car, comme Kershaw, tu abordes les rencontres de Montoire et d'Hendaye sans réflexion sérieuse sur ce que Hitler va y chercher, alors que l'attaque contre l'URSS a été décidée courant juillet, comme l'unique moyen de débloquer la situation créée par le refus solitaire et paradoxal de Churchill de reconnaître la victoire allemande après Sedan.
Ainsi Kershaw dit contradictoirement p. 490 de l'édition française, à quelques lignes d'intervalle, qu'il s'agit "d'explorer différents moyens d'amener la Grande-Bretagne à se retirer" et de "conserver l'initiative stratégique" avant l'offensive à l'est.
Je dis pour ma part en toute netteté : à partir de cette décision de juillet, les entreprises (ou simulacres, ou menaces d'entreprises) du Reich en Méditerranée ou en Afrique sont surtout des diversions pour leurrer Staline, excepté en avril-mai 41 où a lieu un faisceau d'actions qui se comprennent également comme un ultime effort pour faire tomber Churchill avant le 22 juin et le déclenchement de "Barbarossa". Le périple ferroviaire
via Montoire et Hendaye a aussi un objectif plus conjoncturel : peser sur l'électorat américain en faveur du candidat Willkie, en présentant Roosevelt comme un loser soutenant des losers, par l'étalage très médiatisé d'un Hitler obtenant des génuflexions de toute l'Europe (NB : Molotov était convoqué à Berlin pour la même période et le fait que Staline ait un peu traîné les pieds, ne l'envoyant que le 12 novembre et après la réélection de Roosevelt, a joué dans le bon sens, même si ce n'était probablement pas conscient).
Sur Hendaye, Kershaw commet une autre incohérence : il s'appuie sur le livre de Schmidt alors que dans une note (273, p. 1338), il donne de bonnes raisons de s'en méfier, convergeant avec celles que j'ai dites un peu plus haut (et tout aussi indépendantes de son appartenance politique !). Puis il présente comme "exorbitantes" les demandes d'aide matérielle de Franco pour son entrée en guerre, alors qu'elles sont raisonnables et réalisables.
Le passage sur Montoire est représentatif de ce que j'appelle la timidité des pionniers, source de la plupart des affirmations discutables dans ce travail aussi immense que précieux : il s'éloigne de la tradition tout en y sacrifiant. Cette fameuse phrase du procès-verbal sur la reconquête de l'AEF que Michel me fait un crime d'avoir exhumée, fût-ce un peu après Philippe Burrin dont il ne néglige pas par ailleurs d'invoquer contre moi l'"autorité", est par Kershaw relevée, ce qui est méritoire par rapport à Paxton ou Lambauer, mais... transformée !
Il commence par inverser la chronologie : Hitler aurait exprimé ses desiderata avant Pétain, ce qui est faux (mais sans doute tributaire du livre de Schmidt). Puis il résume ainsi la partie de sa tirade portant sur l'Afrique :
Citation:
(...) Le vieux chef de la France de Vichy resta évasif et vague. Il promit à Hitler que tout serait fait pour assurer la sécurité des territoires coloniaux français en Afrique (à la suite de la tentative de débarquement de Dakar).
Voilà qui jure avec le texte déjà rappelé ici :
Citation:
Les Anglais pourtant continuaient leurs agressions contre la France, particulièrement contre son domaine colonial. A Dakar, la France avait tenu bon. Il avait envoyé dans les colonies d'Afrique un officier, avec la mission de ramener les renégats sous l'autorité française. Dans ce domaine, puisque le Führer avait fait l'honneur à la France de parler de collaboration, il y avait peut-être un terrain sur lequel elle pouvait être mise en pratique entre les deux pays. Sans vouloir entrer dans les détails, il pouvait assurer, quant à lui, que tout ce qui dépendait de lui serait fait pour assurer l'emprise de la France sur ces territoires coloniaux.
Là où Pétain propose une collaboration militaire (
tout mettre en oeuvre pour rétablir l'autorité de Vichy sur l'AEF, et appeler cela une "collaboration" dont les Anglais offriraient l'occasion), Kershaw ne lit qu'une attitude
défensive, dans la foulée de Dakar (tentative anglo-gaullienne repoussée les 23 et 24 septembre précédents).
Pour autant, Kershaw me dément-il, comme Boisbouvier l'affirme catégoriquement ? Voici tout ce qu'il dit, note 281 p. 1339 :
Citation:
François Delpla, Montoire, etc. et Delpla,Hitler, etc. , porte une appréciation plus positive, du point de vue de Hitler, sur l'issue des discussions, en particulier pour les besoins de la propagande d'une Allemagne soucieuse de démontrer à l'extérieur qu'elle dominait l'Europe sans partage.
On ne peut pas dire ni qu'il me contredise, ni qu'il entre vraiment dans ma démonstration. Pure intox, donc, de la part de Michel, et sans doute à la base une auto-intox.
boisbouvier a écrit:
tout comme moi qui t'ai fait remarquer, combien de fois! que le seul des trois documents qui l'évoque très rapidement n'est pas un enregistrement mais un écrit postérieur...tout comme celui de Du Moulin
Mais, de toute façon, quelle importance ? puisque le 13 décembre fut fait pour empêcher cette reconquête et que c'est bien cela qui compte, il me semble.
Veux-tu dire que les faits ne comptent pas mais seulement les écrits de Delpla ?
J'espère qu'après ce qui précède, la nullité de ces dernières imputations sautera aux yeux les plus distraits.
Tout de même, je n'avais pas remarqué antérieurement (mais était-ce le cas ?) qu'on me reprochait d'avoir dit ou laissé entendre que le procès-verbal de la conversation fût un enregistrement
! Il se trouve que je n'ai jamais parlé que d'un procès-verbal, signé de l'interprète lui-même (donc appuyé, on peut le supposer, sur ses propres notes concernant ce qu'il allait avoir à traduire) et pas plus contestable, ni contesté, que les nombreux autres documents du même genre saisis par les Alliés en 1945. Il avait été simplement négligé, jusqu'aux mises au point de Burrin et de moi-même en 1995-96, et plus ou moins contaminé par le livre parfaitement contradictoire du même Schmidt, publié en 1950 alors que l'archive en question ne l'avait été qu'en 1961, et traduite en français (mal) seulement en 1969.