Arnaud Christen a écrit:
Il faut une énorme maîtrise des évènements pour pouvoir comprendre que ni du sein du personnel politique ni du sein du personnel militaire n'émergerait l'impulsion qui permettrait à la France et au Royaume-Uni de chercher à aider activement l'allié pour lequel ils entrent en guerre, d'autant que cette aide consisterait à frapper l'ennemi à un moment où il prête le flanc ! En août 1939, Hitler aurait donc été, de ce point de vue, l'homme le mieux informé d'Europe.
Je ne vous le fais pas dire !
Citation:
Ce que je peine à saisir, ce sont les circuits par lesquels cet homme a pu se procurer et diffuser les informations nécessaires pour réaliser sa partition (depuis sans doute 1933 ?). Je pense que cette question touche au coeur de vos thèses, si l'on considère par exemple le rôle essentiel que vous attribuez au circuit suédois dans votre explication de l'ordre d'arrêt du 24 mai. Comment comprendre, de ce point de vue, la genèse du 1er septembre 1939 ?
Les confirmations ont tendance à pleuvoir ces temps-ci. Voyez par exemple, au sommaire du présent forum, le voyage de 1912 à Liverpool, qui montre à la fois qu'il en savait plus qu'on ne croit sur le monde anglo-saxon (il est fortement tenté de s'embarquer pour les Etats-Unis) et qu'il a dissimulé cet épisode sans la moindre difficulté, aux journalistes de son vivant et aux historiens depuis, en se contentant de polir l'image d'un être fruste aux souliers empesés de glèbe autrichienne.
Voyez aussi, un peu plus bas, la façon dont il manipule Pétain lors de l'accouchement du statut des Juifs, à travers les travaux aussi récents que timides de Joly et de Bruttmann, osant casser la glace de la vision paxtonienne suivant laquelle pendant un an il se désintéresse de la politique intérieure de Vichy.
De ce point de vue je vous donne la primeur d'une intuition qui m'est venue de week-end : 13 décembre = discours de Marburg ! le renvoi de Laval par Pétain, le 13/12/40, est fomenté par lui de la même façon que l'unique discours antinazi prononcé sous le IIIème Reich après l'instauration de la dictature totale au 1er semestre 1933, celui du vice-chancelier von Papen à l'université de Marburg, le 17 juin 1934.
[Sur quelques autres forums, la discussion tournerait ici à l'aigre car on me reprocherait de noyer le poisson. Ici, non seulement nous sommes entre gens de bonne foi qui se lisent et qui s'écoutent mais l'article dont nous discutons est un dossier généraliste sur Hitler, alors chacun comprend que je ne suis pas hors sujet.]
Hitler manipule tout le monde, mais son levier quotidien et principal est la mouvance la plus proche de la sienne, c'est-à-dire la droite non nazie, en Allemagne comme à l'étranger. Il a besoin de temps en temps de la faire sortir du bois, pour voir où elle est, quels sont ses éléments les plus courageux et quel est le degré de leur courage. Ainsi pendant les mois précédant la nuit des Longs couteaux il fait savamment monter chez les nantis la crainte d'une "seconde révolution" menée par dezs bandes SA qui lui échapperaient à lui-même... et Papen finit par donner dans le panneau en prononçant, avec la bénédiction du président von Hindenburg, un ultimatum. Il exige la mise au pas de ces sauvages : voilà la droite impliquée dans le meurtre en général et dans le sien en particulier puisqu'on tue, en sus de quelques chefs et comparses SA, le propre secrétaire de Papen, Eduard Jung, réputé avoir écrit son discours !
Le 13 décembre, l'arrestation de Laval fait suite à six semaines de montée en puissance apparente, au sein du gouvernement de Vichy, de Laval et des forces les plus favorables à une guerre contre l'Angleterre ou, si on préfère, à une collaboration franche et massive. Hitler fait semblant de réclamer avec insistance une expédition contre le Tchad passé à de Gaulle et les prudents du cabinet, comme Peyrouton, finissent par se sentir obligés d'agir, contre Laval et quelques têtes brûlées militaires. Hitler, qui se pépare toutes voiles dehors à une agression vers l'est, n'a nulle envie de complications africaines qui ne pourraient que hâter l'intervention des Etats-Unis -mais intérêt à en faire planer une menace bien dosée. Et il provoque dans les ragns vichystes une heureuse décantation, lui permettant de mieux mesurer ce qu'il peut attendre de chacun -et de mieux compromettre, finalement, ceux qui tout en ayant menacé la liberté et la vie même de Laval, ne rompent pas avec lui (Hitler) et seront obligés de le (Laval) trouver de nouveau fréquentable un an plus tard.
Et maintenant, revenons aux moutons du jour, les Chamberlain, Daladier, Beck et consorts. Hitler est très informé, tout simplement parce que c'est un chef d'Etat compétent... ce qui veut dire, parce que nul ne sait tout et que rien ne change plus vite que les affaires urgentes d'un Etat, quelqu'un qui se forme en permanence, en sachant choisir ses experts. Déprenez-vous, si jamais elle vous prit, de la vision d'un Kershaw qui le traite de dilettante, et vous verrez apparaître quelqu'un dont les conseillers sont souvent plus forts que les ministres : dans le cas qui nous occupe, il faudrait se pencher sur le rôle de Walter Hewel, correspondant de Ribbentrop auprès de Hitler et l'un des grands diplomates de l'époque. Même chose pour Otto Dietrich, chef du service de presse du Führer -sinon que le ministre correspondant, Goebbels, a plus d'envergure que Ribbentrop. Voyez aussi le rôle de Hess, systématiquement minoré par les obervateurs pour cause de vol vers l'Ecosse : c'est donc qu'il était marginal ! Or c'est le chef du parti nazi, dont il soigne particulièrement la branche étrangère, ce qui en fait un bon connaisseur de l'opinion internationale.
Mais par dessus tout, Hitler est bien informé parce que les crises auxquelles il doit faire face il les crée lui-même, tel un laboratoire pharmaceutique qui répandrait un virus inconnu dont il a déjà le vaccin.