Le Forum de François Delpla

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MessagePosté: Dim Jan 07, 2007 2:33 pm 
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Bonjour,

Extrait du Dossier Hitler, concernant l'attaque de la Pologne:

Citation:
La difficulté était de libérer l’armée allemande de toute autre tâche pendant ce temps. C’est l’effet de trois facteurs dont on disputera difficilement les droits d’auteur à Hitler : le pacte germano-soviétique du 23 août 1939, l’absence d’une offensive franco-anglaise (fondée sur l’espoir qu’une simple déclaration de guerre au Reich entraîne son effondrement), enfin l’offensive soviétique du 17 septembre sur les arrières polonais, réclamée vigoureusement par l’Allemagne à un Staline peu empressé et fatale au moral de l’ennemi.


Concernant cette première campagne, fondamentale, du conflit, je m'interroge sur la façon dont Hitler évalue sa prise de risque dans sa politique d'agression, et notamment dans le domaine des décisions militaires. Confiance absolue dans sa bonne étoile (la Providence) ? Analyse subtile d'une situation et bonne préparation du terrain ?

Un cas très précis: la concentration massive de la Wehrmacht face à la Pologne. En apparence, il s'agit d'une grosse prise de risque puisqu'elle laisse l'Ouest assez dégarnie. C'est donc que Hitler estima une offensive française très improbable: l'extrait cité ci-dessus met d'ailleurs "l’absence d’une offensive franco-anglaise" à son crédit. Or les propres alliés de la France, à savoir les Polonais eux-mêmes, s'attendaient à cette offensive: après la rupture de leur front, ils essayèrent d'organiser un "réduit roumain" destiné à continuer à immobiliser une partie de la Wehrmacht le temps que l'offensive franco-anglaise produise son effet. Finalement l'évènement démontra que Hitler avait mieux anticiper la réaction franco-britannique que leurs propres alliés polonais.

Comment Hitler pouvait-il avoir à ce point cette assurance ?
- Sur quelle analyse et quelles informations se basait-il ?
- En quoi sa propre action vis-à-vis des démocraties y contribua-t-elle ?
- Dans quelle mesure cette assurance fut-elle partagée par l'état-major (qui resta constamment soucieux, durant la campagne polonaise, de pouvoir transférer au plus vite des forces en cas d'offensive franco-anglaise) ?

Cordialement,
Arnaud Christen


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MessagePosté: Dim Jan 07, 2007 10:29 pm 
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Bonjour et bonne année Arnaud !

J'espère que ce débat sera aussi animé et utile que celui qui est reproduit ici :http://www.delpla.org/article.php3?id_article=113



Citation:
Comment Hitler pouvait-il avoir à ce point cette assurance ?
- Sur quelle analyse et quelles informations se basait-il ?
- En quoi sa propre action vis-à-vis des démocraties y contribua-t-elle ?
- Dans quelle mesure cette assurance fut-elle partagée par l'état-major (qui resta constamment soucieux, durant la campagne polonaise, de pouvoir transférer au plus vite des forces en cas d'offensive franco-anglaise) ?


Je commencerai par la fin : l'état-major est beaucoup plus inquiet que Hitler, il se dépêche d'autant plus de terminer le travail à l'est.

Analyse et informations : Hitler sait bien que les Franco-Britanniques comptaient sur l'alliance soviétique au cas (improbable selon eux) où l'Allemagne oserait défier les trois puissances à la fois. Donc, le fait de mettre expéditivement Staline dans sa poche (une annonce faite le 21 août, dont tout montre qu'elle a surpris les chancelleries occidentales même si elles s'attendaient vaguement à quelque chose de ce genre, mais précisément, moins expéditif) laisse espérer avec une bonne probabilité qu'aucune offensive massive, destinée à faire face au cas de figure d'une Wehrmacht digérant rapidement la Pologne à la faveur de l'abstention soviétique et finalement de concert avec l'URSS, n'est à l'ordre du jour à l'ouest.

Son action vis-à-vis des démocraties : d'une part ce qui précède, d'autre part le fait qu'il fait semblant d'hésiter, de craindre les conséquences de la fermeté anglaise comme de l'abstention mussolinienne (repoussant alors l'attaque du 26 août au 1er septembre -certes cela ne se sait pas précisément mais se devine confusément, hors des frontières), enfin et surtout, je crois, le fait qu'il semble craindre la guerre elle-même, dans ses effets économiques (les ravages du blocus) et politiques (bruits de coup d'Etat militaire si l'armée trouve décidément la politique du gouvernement trop aventuriste).

Il jouit également, dans tous les sens du terme, des effets de politique intérieure du pacte germano-soviétique : rupture ou au moins trouble des fronts antinazis dans tous les pays où il y avait un parti communiste de quelque poids (France et Belgique notamment) mais persistance, tout de même, de l'idée que la guerre ne profiterait qu'au communisme, soit que l'Allemagne en difficulté achève son rapprochement avec Moscou par une fusion (ler thème de sa "bolchevisation" fait florès), soit que son effondrement militaire donne du poids aux forces populaires antinazies.

Tout cela fait que les Alliés occidentaux, dans son esprit, vont certes déclarer la guerre (il les y provoque assez), mais non la faire, au début, sérieusement : ils ne sont nullemnt prêts à une offensive-éclair symétrique de celle qu'il mène en Pologne, et ils ne sont pas persuadés d'y avoir intérêt. "Le temps travaille pour eux" : ce slogan officiel, fait pour justifier leur passivité aux yeux de leur opinion, on peut dire qu'il a été en grande partie dicté par les manigances hitlériennes.


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MessagePosté: Dim Jan 07, 2007 11:19 pm 
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Inscription: Sam Jan 06, 2007 10:25 pm
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Localisation: Haut-Rhin, Alsace
Bonne année à vous aussi, M. Delpla !

Citation:
J'espère que ce débat sera aussi animé et utile que celui qui est reproduit ici :http://www.delpla.org/article.php3?id_article=113


Je garde en effet un très bon souvenir de cet échange enrichissant !

Citation:
il fait semblant d'hésiter, de craindre les conséquences de la fermeté anglaise comme de l'abstention mussolinienne (repoussant alors l'attaque du 26 août au 1er septembre -certes cela ne se sait pas précisément mais se devine confusément, hors des frontières)


L'hésitation du 26 août, consécutive à l'annonce de l'accord anglo-polonais, serait donc aussi fondamentalement un bluff (avec un effet renforcé par la confusion qu'il entraîna lors du rappel des troupes déjà en mouvement et les incidents de frontières... une autre subtilité ?) contribuant à neutraliser les Français et les Britanniques ? Pourriez-vous argumenter davantage sur ce point ?

Citation:
Tout cela fait que les Alliés occidentaux, dans son esprit, vont certes déclarer la guerre (il les y provoque assez), mais non la faire, au début, sérieusement : ils ne sont nullemnt prêts à une offensive-éclair symétrique de celle qu'il mène en Pologne, et ils ne sont pas persuadés d'y avoir intérêt. "Le temps travaille pour eux" : ce slogan officiel, fait pour justifier leur passivité aux yeux de leur opinion, on peut dire qu'il a été en grande partie dicté par les manigances hitlériennes.


Il faut une énorme maîtrise des évènements pour pouvoir comprendre que ni du sein du personnel politique ni du sein du personnel militaire n'émergerait l'impulsion qui permettrait à la France et au Royaume-Uni de chercher à aider activement l'allié pour lequel ils entrent en guerre, d'autant que cette aide consisterait à frapper l'ennemi à un moment où il prête le flanc ! En août 1939, Hitler aurait donc été, de ce point de vue, l'homme le mieux informé d'Europe. Ce que je peine à saisir, ce sont les circuits par lesquels cet homme a pu se procurer et diffuser les informations nécessaires pour réaliser sa partition (depuis sans doute 1933 ?). Je pense que cette question touche au coeur de vos thèses, si l'on considère par exemple le rôle essentiel que vous attribuez au circuit suédois dans votre explication de l'ordre d'arrêt du 24 mai. Comment comprendre, de ce point de vue, la genèse du 1er septembre 1939 ?


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MessagePosté: Lun Jan 08, 2007 7:20 am 
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Arnaud Christen a écrit:
Il faut une énorme maîtrise des évènements pour pouvoir comprendre que ni du sein du personnel politique ni du sein du personnel militaire n'émergerait l'impulsion qui permettrait à la France et au Royaume-Uni de chercher à aider activement l'allié pour lequel ils entrent en guerre, d'autant que cette aide consisterait à frapper l'ennemi à un moment où il prête le flanc ! En août 1939, Hitler aurait donc été, de ce point de vue, l'homme le mieux informé d'Europe.


Je ne vous le fais pas dire !




Citation:
Ce que je peine à saisir, ce sont les circuits par lesquels cet homme a pu se procurer et diffuser les informations nécessaires pour réaliser sa partition (depuis sans doute 1933 ?). Je pense que cette question touche au coeur de vos thèses, si l'on considère par exemple le rôle essentiel que vous attribuez au circuit suédois dans votre explication de l'ordre d'arrêt du 24 mai. Comment comprendre, de ce point de vue, la genèse du 1er septembre 1939 ?


Les confirmations ont tendance à pleuvoir ces temps-ci. Voyez par exemple, au sommaire du présent forum, le voyage de 1912 à Liverpool, qui montre à la fois qu'il en savait plus qu'on ne croit sur le monde anglo-saxon (il est fortement tenté de s'embarquer pour les Etats-Unis) et qu'il a dissimulé cet épisode sans la moindre difficulté, aux journalistes de son vivant et aux historiens depuis, en se contentant de polir l'image d'un être fruste aux souliers empesés de glèbe autrichienne.

Voyez aussi, un peu plus bas, la façon dont il manipule Pétain lors de l'accouchement du statut des Juifs, à travers les travaux aussi récents que timides de Joly et de Bruttmann, osant casser la glace de la vision paxtonienne suivant laquelle pendant un an il se désintéresse de la politique intérieure de Vichy.

De ce point de vue je vous donne la primeur d'une intuition qui m'est venue de week-end : 13 décembre = discours de Marburg ! le renvoi de Laval par Pétain, le 13/12/40, est fomenté par lui de la même façon que l'unique discours antinazi prononcé sous le IIIème Reich après l'instauration de la dictature totale au 1er semestre 1933, celui du vice-chancelier von Papen à l'université de Marburg, le 17 juin 1934.

[Sur quelques autres forums, la discussion tournerait ici à l'aigre car on me reprocherait de noyer le poisson. Ici, non seulement nous sommes entre gens de bonne foi qui se lisent et qui s'écoutent mais l'article dont nous discutons est un dossier généraliste sur Hitler, alors chacun comprend que je ne suis pas hors sujet.]

Hitler manipule tout le monde, mais son levier quotidien et principal est la mouvance la plus proche de la sienne, c'est-à-dire la droite non nazie, en Allemagne comme à l'étranger. Il a besoin de temps en temps de la faire sortir du bois, pour voir où elle est, quels sont ses éléments les plus courageux et quel est le degré de leur courage. Ainsi pendant les mois précédant la nuit des Longs couteaux il fait savamment monter chez les nantis la crainte d'une "seconde révolution" menée par dezs bandes SA qui lui échapperaient à lui-même... et Papen finit par donner dans le panneau en prononçant, avec la bénédiction du président von Hindenburg, un ultimatum. Il exige la mise au pas de ces sauvages : voilà la droite impliquée dans le meurtre en général et dans le sien en particulier puisqu'on tue, en sus de quelques chefs et comparses SA, le propre secrétaire de Papen, Eduard Jung, réputé avoir écrit son discours !

Le 13 décembre, l'arrestation de Laval fait suite à six semaines de montée en puissance apparente, au sein du gouvernement de Vichy, de Laval et des forces les plus favorables à une guerre contre l'Angleterre ou, si on préfère, à une collaboration franche et massive. Hitler fait semblant de réclamer avec insistance une expédition contre le Tchad passé à de Gaulle et les prudents du cabinet, comme Peyrouton, finissent par se sentir obligés d'agir, contre Laval et quelques têtes brûlées militaires. Hitler, qui se pépare toutes voiles dehors à une agression vers l'est, n'a nulle envie de complications africaines qui ne pourraient que hâter l'intervention des Etats-Unis -mais intérêt à en faire planer une menace bien dosée. Et il provoque dans les ragns vichystes une heureuse décantation, lui permettant de mieux mesurer ce qu'il peut attendre de chacun -et de mieux compromettre, finalement, ceux qui tout en ayant menacé la liberté et la vie même de Laval, ne rompent pas avec lui (Hitler) et seront obligés de le (Laval) trouver de nouveau fréquentable un an plus tard.

Et maintenant, revenons aux moutons du jour, les Chamberlain, Daladier, Beck et consorts. Hitler est très informé, tout simplement parce que c'est un chef d'Etat compétent... ce qui veut dire, parce que nul ne sait tout et que rien ne change plus vite que les affaires urgentes d'un Etat, quelqu'un qui se forme en permanence, en sachant choisir ses experts. Déprenez-vous, si jamais elle vous prit, de la vision d'un Kershaw qui le traite de dilettante, et vous verrez apparaître quelqu'un dont les conseillers sont souvent plus forts que les ministres : dans le cas qui nous occupe, il faudrait se pencher sur le rôle de Walter Hewel, correspondant de Ribbentrop auprès de Hitler et l'un des grands diplomates de l'époque. Même chose pour Otto Dietrich, chef du service de presse du Führer -sinon que le ministre correspondant, Goebbels, a plus d'envergure que Ribbentrop. Voyez aussi le rôle de Hess, systématiquement minoré par les obervateurs pour cause de vol vers l'Ecosse : c'est donc qu'il était marginal ! Or c'est le chef du parti nazi, dont il soigne particulièrement la branche étrangère, ce qui en fait un bon connaisseur de l'opinion internationale.

Mais par dessus tout, Hitler est bien informé parce que les crises auxquelles il doit faire face il les crée lui-même, tel un laboratoire pharmaceutique qui répandrait un virus inconnu dont il a déjà le vaccin.


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MessagePosté: Lun Jan 08, 2007 9:17 pm 
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Citation:
Mais par dessus tout, Hitler est bien informé parce que les crises auxquelles il doit faire face il les crée lui-même, tel un laboratoire pharmaceutique qui répandrait un virus inconnu dont il a déjà le vaccin.


C'est en effet le coeur de votre thèse: il y a un plan hitlérien qui culmine en mai-juin 1940, parvenant à un rien de l'accomplissement. Jusque-là une partition quasi parfaitement jouée. Pour en revenir au titre de ce sujet, les risques que prend Hitler ne furent donc pas des "coups de poker" mais bien des actions dont les conséquences avaient été subtilement dosées, grâce à un travail minutieux et de longue haleine (une thèse qui prend, en effet, le contrepied de celle de Kershaw et de son Hitler "dilettante").

Et après le printemps 1940 ? Comment juger la politique hitlérienne au-delà de cette période ? Non seulement la formidable maîtrise des évènements se brise peu à peu, mais les décisions hitlériennes , en particulier dans le domaine militaire. Et bien qu'il ne soit jamais bon de juger d'un évènement a posteriori, il faut bien admettre que le naufrage de la politique hitlérienne de 1941 à 1945 a de quoi faire naître des doutes concernant la période précédente: il est bien difficile de retrouver le Hitler de 1939 dans celui de 1945... et la tentation est grande de jeter le bébé avec l'eau du bain !
Selon vous, comment la ruse hitlérienne se poursuivit-elle après 1941 ? Survit-elle aux évènements du second semestre de 1941 ? Y a-t-il eu effondrement intellectuel d'un homme jusqu'alors génial dans ses manipulations (mais de quand le dater ?) ? Ses dernières déclarations, ses dernières grandes décisions témoignent-elles d'une perte du sens des réalités ou bien faut-il malgré tout y voir un prolongement de la logique qui avait notamment inspirer le Haltbefehl en 1940 ?


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MessagePosté: Lun Jan 08, 2007 10:00 pm 
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Ma réponse vous la connaissez : c'est Churchill le grain de sable ou, image peut-être plus parlante, la déviation qui fait se perdre dans l'éther la fusée soigneusement programmée. Dès lors Hitler improvise, en situation d'infériorité croissante, et à mon avis se révèle plus capable encore (j'évite "génial", et ce, non pas par peur que des primaires s'en servent pour me traiter de sympathisant du nazisme, mais parce que ce génie est entaché de délire et que le terme, lorsqu'on l'applique à un grand stratège tel que Napoléon, signifie autre chose), que dans sa période ascendante, lorqu'il créait en permanence la surprise.

Je trouve notamment que dans les dernières semaines il n'a rien perdu de ses talents, même si le vieillissement rapide du corps et ses tremblements montrent qu'il somatise la défaite. Il joue obstinément jusqu'à son 2 d'atout, comme s'il conjurait la Providence de se retourner (par la rupture de l'entente est-ouest, qui n'arrive pas mais là encore je trouve que le mérite de Churchill est aussi immense que méconnu) et, par ses faux ordres de "terre brûlée" à Speer, il joue au moins la survie de l'Allemagne comme puissance en espérant qu'un autre reprendra le flambeau. Ici le mérite méconnu est celui de Jackson, l'architecte américain du procès de Nuremberg, qui réussit à discréditer le régime, immédiatement et à jamais.


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MessagePosté: Lun Jan 08, 2007 10:24 pm 
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Citation:
Ma réponse vous la connaissez : c'est Churchill le grain de sable ou, image peut-être plus parlante, la déviation qui fait se perdre dans l'éther la fusée soigneusement programmée.


En effet, j'ai bien compris ce point crucial de vos thèses.

Citation:
Dès lors Hitler improvise, en situation d'infériorité croissante


Donc peut-on parler de la fin de la ruse nazie ?

Citation:
Je trouve notamment que dans les dernières semaines il n'a rien perdu de ses talents, même si le vieillissement rapide du corps et ses tremblements montrent qu'il somatise la défaite. Il joue obstinément jusqu'à son 2 d'atout, comme s'il conjurait la Providence de se retourner (par la rupture de l'entente est-ouest, qui n'arrive pas mais là encore je trouve que le mérite de Churchill est aussi immense que méconnu) et, par ses faux ordres de "terre brûlée" à Speer, il joue au moins la survie de l'Allemagne comme puissance en espérant qu'un autre reprendra le flambeau.


Pour faire court, passé le printemps 1940, l'action de Hitler reposerait donc sur ces deux points :

- Barbarossa: la seule solution pour sortir de l'impasse dans laquelle l'a placé Churchill.
- une fois évident l'échec de Barbarossa, miser sur les frictions Est-Ouest quitte à réduire les capacités de résistance de l'Allemagne (le journal de Goebbels contient ainsi plusieurs allusions à l'"utilité des défaites", notamment dans le contexte des rencontres interalliées), de là certaines décisions surprenantes, notamment du point de vue militaire (et qui donnent du grain à moudre à ceux qui mettent au crédit de Hitler l'écrasante responsabilité des défaites).

Votre remarque sur "le mérite de Churchill" quant au maintien de l'alliance Est-Ouest suggère que l'espérance hitlérienne concernant le second point n'était pas dénuée de fondement. Mais était-elle vraiment réaliste ? Pourriez-vous développer votre argumentation à ce sujet ?


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MessagePosté: Mar Jan 09, 2007 9:50 am 
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Il pourrait être intéressant que vous nous signaliez les passages de Goebbels sur l'utilité des défaites, afin que nous puissions supputer si cela lui vient tout seul ou si c'est dicté par Hitler.


Citation:
Votre remarque sur "le mérite de Churchill" quant au maintien de l'alliance Est-Ouest suggère que l'espérance hitlérienne concernant le second point n'était pas dénuée de fondement. Mais était-elle vraiment réaliste ? Pourriez-vous développer votre argumentation à ce sujet ?


Je constate par exemple que les catholiques américains, sous la conduite du cardinal Spellman, s'inquiètent fort en 1944 de la mainmise sur l'Europe du communisme athée, et que la quatrième élection de Roosevelt, en novembre, est la plus difficile en dépit de la guerre et des victoires, ou peut-être à cause d'elles. Hitler joue d'ailleurs depuis 1933 de la crainte d'une communisation générale au cas où il s'effondrerait.

Pour y parer, Churchill multiplie les signes rassurants pour les bourgeoisies : refus de considérer comme automatique la chute de Franco après celles de ses parrains, sévère mise au pas des communistes en Grèce et surtout accord "des pourcentages" obtenu de Staline en octobre avec, on l'oublie toujours et même on le nie parfois, le plein accord de Roosevelt, consulté à Québec en septembre et veillant de près au grain par son ambassadeur Harriman. Or Roosevelt répudiait avec fermeté depuis les mois précédant Pearl Harbor tout engagement pour l'après guerre (par crainte du précédent wilsonien) et ce n'est pas rien de le faire céder sur cette répartition des pays est-européens entre capitalisme et communisme, qui préfigure largement celle de Yalta. Sur le plan des principes, la livraison à Staline des pays qu'on peut difficilement lui disputer est une chose très vilaine. En termes politiques, le fait de donner ainsi la part du lion au capitalisme est un coup de maître, qui cloue le cercueil de Hitler. Mais il fallait savoir garder un cap en résistant à bien des criailleries !

On peut voir ici au passage tout l'intérêt politique qu'il peut y avoir, encore aujourd'hui, à peindre Hitler en dilettante : cela permet par exemple aux Polonais de hurler qu'on les a lâchement abandonnés, au lieu de constater que dans cette situation où Hitler était, pour l'humanité, le danger principal, une situation à laquelle ils avaient eux-mêmes contribué par la naïve et prétentieuse politique de Beck en 1934-39, il fallait choisir entre la survie de Hitler et celle de leur liberté.

A moins qu'ils ne suivissent à la lettre les conseils de Churchill : oubliez Katyn, concentrez-vous sur les vivants, laissez-nous les coudées franches pour négocier le meilleur compromis... Il entendait en effet parler haut et clair à Staline tout en lui abandonnant non moins clairement sa part de gâteau et la Pologne, précisément, était la terre où il entendait mettre les bornes en installant un gouvernemnent pro-capitaliste en politique intérieure et pro-soviétique à l'extérieur -un peu comme en Finlande. Une bataille perdue, mais qui a consolidé le reste.


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MessagePosté: Mar Jan 09, 2007 8:13 pm 
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Inscription: Sam Jan 06, 2007 10:25 pm
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Citation:
Il pourrait être intéressant que vous nous signaliez les passages de Goebbels sur l'utilité des défaites, afin que nous puissions supputer si cela lui vient tout seul ou si c'est dicté par Hitler.


Voici un extrait à la date du 27 octobre 1943 (p.327-328 de la récente édition Möller/Ayçoberry):

"Le Führer prétend avec raison qu'un succès militaire de notre part pendant la tenue de la conférence de Moscou ne serait pas du tout souhaitable. Il ne ferait que durcir les Anglais en les entretenant à nouveau dans l'espoir de nous voir, nous et les Soviétiques, nous saigner mutuellement. Aussi absurde que cela puisse paraître, les revers que nous subissons sur le front de l'Est sont extrêmement dommageables sur le plan militaire mais très avantageux sur le plan politique. Ils provoquent une évolution dans des rôles qui étaient jusqu'à présent presque figés. Lorsque nous tenions encore la ligne de la Volga, que nous ne pouvions plus avancer vers l'Est mais que les Soviets ne pouvaient pas davantage avancer vers l'Ouest, les Anglais se tenaient à l'écart en se frottant les mains et abandonnaient les choses à leur sort. Mais maintenant que la situation atteint rapidement son paroxysme dramatique, il n'est plus question pour les Anglais de se contenter d'une telle passivité. Tôt ou tard, en tout état de cause, ils vont devoir intervenir d'une manière ou d'une autre. Il n'est pas du tout exclu que dans un proche avenir nous redevenions un jour les arbitres de la situation."

Des espoirs vains ou fondés ? En tout cas, il serait facile de rapprocher cette analyse de la conduite militaire du conflit par Hitler durant les deux dernières années du conflit, conduite tellement décriée par bien des historiens militaires (reprenant à leur compte les accusations des généraux allemands, comme on peut les lire déja chez Liddell Hart en 1948). Mais Hitler (disciple de Clausewitz ?) fait avant tout de la politique: comment juger la pertinence de cette politique et de sa traduction dans le domaine militaire à partir de 1942 ?


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MessagePosté: Mer Jan 10, 2007 11:17 am 
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Autre extrait: le 25 janvier 1944 (p.377):

"Mais le Führer rappelle à ce propos que nos revers militaires à l'Est sont autant de succès politiques. Les dissensions qui déchirent le camp des ennemis n'auraient jamais été aussi visibles, si les Bolcheviks n'avaient pas atteint nos anciennes frontières et même dépassé une partie d'entre elles. L'opposition entre d'un côté les Anglais et les Américains et les Soviets de l'autre est en train d'éclater au grand jour."


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MessagePosté: Mer Jan 10, 2007 1:29 pm 
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Ces deux citations sont des plus éclairantes, à la fois sur Hitler (ses espoirs JUSQU'AU BOUT, sa façon de manipuler le chef de la propagande...) et sur Goebbels (le fait qu'il ait besoin de Hitler pour penser ce genre de choses, la manière dont il se laisse remonter le moral par ce chef qui le domine...). Comme il s'agit d'un livre d'extraits, fait par des gens qui ne considéraient peut-être pas ce genre de passages comme les plus importants, voilà un sujet de recherche tout trouvé : prendre le texte intégral et l'analyser à la loupe, de ce point de vue.

Bien entendu, c'est aussi un texte capital sur Churchill et sur la très grande utilité, du point de vue de la conduite de la guerre, des efforts qu'il déploie pour maintenir l'attelage est-ouest en accordant au jour le jour les objectifs des parties prenantes.

Ce "belliciste" est vraiment le plus grand des pacifistes : il passe son temps à anticiper les conflits et à les désamorcer dans l'oeuf.

Cf., sur le site, la page sur les origines de l'ONU :


http://www.delpla.org/article.php3?id_article=88


Donc, pour reprendre une de vos récentes question :

Citation:
Donc peut-on parler de la fin de la ruse nazie ?
(après juin 40)

certes non ! ça ruse tous azimuts et de plus en plus -jusqu'aux fausses disgrâces de Göring puis de Himmler, donc vraiment jusqu'au bout. Ce qui change, c'est que cette ruse devient défensive, donc atomisée : elle n'est plus le fait d'un nazisme à l'initiative, planificateur et parfaitement déconcertant (un terme qu'on pourrait d'ailleurs écrire en plusieurs mots...
... si Hitler ne se servait aussi des gens intelligents !).


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MessagePosté: Mer Jan 10, 2007 2:37 pm 
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La ruse continuerait donc ? Est-ce elle qui explique les supposés "erreurs" militaires de Hitler (les refus de repli, les contre-attaques sans moyens suffisants...) ? Car, pour réussir à être convaincante, la thèse d'un Hitler toujours aussi rusé et lucide dans la dernière période du conflit se heurte à une accumulation d'ouvrages illustrant la thèse classique du mégalomane amateur sombrant dans sa folie et accumulant de fait les erreurs militaires.
Je sais bien que votre talent s'exprime au mieux sur les évènements de l'année 1940, mais, de façon concrète (au travers d'exemples précis, par exemple sur la conduite des opérations à l'Est en 1944-1945), pourriez-vous expliquer en quoi vous pensez que ces "erreurs" de la dernière période du conflit (après 1942) ne sont pas la conséquence de l'amateurisme ou de la "folie" (utilisons les mots des adversaires les plus acharnés) du général Hitler, mais bien la traduction d'une pensée restant clairvoyante quant aux minces espoirs qu'il pouvait rester de renverser le cours des évènements ?


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MessagePosté: Mer Jan 10, 2007 2:56 pm 
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Une précision:

Mon insistance sur la dernière période du conflit s'explique par la raison suivante. La thèse d'un Hitler manipulateur et maître des évènements jusqu'en 1940 entraîne nécessairement une réévaluation du personnage sur la période qui suivit, à savoir celle où il fut confrontée à l'échec de son plan et donc celle qui donne le plus d'arguments à ceux qui le présentent comme un mégalomane médiocre ou irrésolu, catalogue de ses "erreurs militaires" à l'appui. Il est en effet impossible que l'on ne retrouve rien du Hitler de 1940 dans ces années d'effondrement. Il me paraît donc essentiel de réévaluer son action pour la dernière période du conflit et, comme pour le Haltbefehl de 1940, de démontrer que ses interventions dans la conduite des opérations miltaires n'ont que l'apparence du non-sens.


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MessagePosté: Mer Jan 10, 2007 4:05 pm 
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Doucement !
On dirait que vous n'avez pas suivi certains échanges des deux dernières années, où des internautes me lançaient sur plusieurs sujets militaires à la fois dans le dessein trop évident de faire apparaître mes lacunes, non point pour convaincre tout le monde de se mettre au travail mais, bien au contraire, pour suggérer qu'on pouvait se simplifier la vie en ne me lisant pas du tout !
Or il se trouve que le site dont cet espace est le forum commence à ressembler à feu (ou Belle au bois dormant ?) la Samaritaine et que ses rayons sont assez bien pourvus en marchandises pour alimenter toutes mes thèses.

Sur la ruse de Hitler en 1944, tapez par exemple "Choltitz" sur le moteur de recherche et vous m'en direz des nouvelles. A cet effet et à toutes fins utiles, j'ouvre de ce pas un fil de discussion sur la Libération.


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MessagePosté: Mer Jan 10, 2007 4:16 pm 
Hors ligne

Inscription: Sam Jan 06, 2007 10:25 pm
Messages: 24
Localisation: Haut-Rhin, Alsace
En effet, j'avoue m'être éloigné du sujet ces deux dernières années: il faut que je rattrape et je me perd un peu dans le site pour le moment.

Bon, je file voir "Choltitz"...


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