Citation:
Hitler ne calcule pas qu'il va s'arrêter, pour la bonne raison qu'il pense que son chantage va fonctionner sans autre mode d'emploi fourni aux destinataires, par l'ampleur même de la catastrophe qui va se révéler aux gouvernements de Paris et de Londres vers la mi-mai puis, chaque jour, d'une manière de plus en plus désespérante. Le 23, la poire devrait être mûre et même blette. C'est le remplacement de Chamberlain par Churchill, strictement imprévisible quand le dispositif se met en place, et encore le 6 mai quand Göring reçoit Dahlerus, qui induit l'arrêt des 24-26. Je dis bien celui-là, et aucun autre.
Qu'est-ce qui permet d'être si sûr de ce qu'Hitler calcule et ne calcule pas ? En supposant qu'Hitler calcule si bien que ça, le remplacement de Chamberlain par Churchill est un facteur qu'il prend en compte à partir du 10.
Comme je le demande depuis le début, qu'est-ce qui permet de penser que l'intervention d'Hitler le 24 tienne à des considérations diplomatiques ?
Dans mon premier message, j'ai précisé que j'avais lu l'article avant d'écrire ici: ça représentait à mon sens un minimum de savoir-vivre que de lire un texte avant d'en discuter, non ? Donc je n'ai aucun problème à lire le pdf, simplement je ne comprends pas sur quoi repose la thèse.
Je pars des faits:
- Hitler intervient directement le 17 et le 24.
- Son intervention est plus déterminante le 17 (blindés en mouvement, situation fluide) que le 24 (les blindés sont déjà arrêtés), il donne un ordre d'arrêt formel le 17 (même si Guderian le contourne, il ne sera levé que le 19) tandis que le 24 il laisse Rundstedt décider de la poursuite de l'offensive.
- Hitler n'a aucune raison de penser que ce faisant il sauve la BEF, le 24 mai.
- Le message qu'il lance, si c'en est un, est des plus ambigus: d'un côté les blindés ne poussent pas sur Dunkerque au sud, mais la Luftwaffe attaque à fond comme le fait la 6e armée. Les troupes alliées à Lille, Boulogne et Calais donc pas très loin de Dunkerque restent attaquées. Sur le terrain, il sera donc très difficile pour les Alliés d'interpréter la situation comme un répit qui leur est laissé volontairement, et d'ailleurs ils ne le font pas.
Citation:
Je vais mettre en ligne, j'espère, prochainement, d'amples passages de la
Ruse nazie. En attendant, l'article
http://www.delpla.org/article.php3?id_article=44 me semble clair sur un point, trop négligé par Louis : je n'assimile pas l'arrêt du 24 et celui du 17, bien que je les attribue tous deux à Hitler seul et montre que Rundstedt se contente de les endosser.
C'est moi qui les assimile: ce qui sauve Dunkerque ce sont l'ordre d'arrêt du 17 (Hitler), la décision de se concentrer sur la menace fictive d'Arras les 21/22 (Rundstedt, avec appui d'Hitler) et enfin le prolongement le 24 de la pause accordée à Kleist par Rundstedt le 23, ainsi que son extension à Hoth (Rundstedt, puis Hitler).
Soit c'est involontaire, ce qui est mon impression pour le moment, soit c'est volontaire. Si c'est une action volontaire, alors il faut prendre en compte le fait que, à la date du 24 mai, ça fait une semaine que chaque fois qu'Hitler intervient c'est pour freiner.
D'ailleurs si on part du principe qu'Hitler a son armée bien en main (ce que je ne fais pas, mais je développe à partir des hypothèses de François) et que c'est lui qui tire les ficelles derrières les ordres pris officiellement par l'autorité militaire, alors le freinage date encore d'avant. Dès le 14 mai, le groupe blindé Kleist est rattaché à la 12e armée (d'infanterie) avec effet le 15 à 4h. La 12e armée, qui voit d'un mauvais oeil ces escapades blindées, met d'ailleurs le corps blindé de Reinhardt en réserve sauf la 6e division qui est rattachée au 3e corps (d'infanterie). Donc les ordres de l'autorité militaire - et donc d'Hitler d'après François - sont de ne pas percer mais de s'arrêter et d'attendre l'infanterie pour consolider.
Pourquoi y a-t-il percée ? Parce que Reinhardt désobéit à un ordre direct et débouche de Monthermé (dont les défenseurs sont alors encerclés par Rommel au nord et Guderian au sud), parce que Guderian a depuis le 14 après-midi donné l'ordre, de sa propre initiative, de foncer plein pot vers la mer, et parce qu'au nord Rommel a pris une initiative similaire. La percée est donc le fait d'initiatives individuelles sur le terrain qui désobéissent aux ordres supérieurs.
Pour expliquer ça comme une manipulation délibérée de Hitler, il faudrait imaginer qu'il ait donné l'ordre secret aux commndements des corps blindés de ne pas tenir compte des instructions de leur hiérarchie - y compris lui-même ! - jusqu'à ce que la mer ait été atteinte. On ne peut que s'émerveiller de la discrétion observée à ce sujet par tous les protagonistes...
On peut tout dire. Une de mes théories préférées c'est qu'Hitler était un agent du Komintern. Dans un article du genre de celui qui est en ligne actuellement et qui dit "jusqu'à présent, nous avons accumulé les hypothèses, mais allons plus loin": en accumulant les hypothèses, puis en allant encore plus loin (dans les hypothèses, pas dans les faits) je pourrais facilement l'énoncer. Maintenant si je veux convaincre mon lectorat de prendre cette thèse au sérieux, il me faudra l'étayer et qu'elle soit un minimum logique.
Or la thèse de l'arrêt du 24 mai n'est non seulement pas étayée par des faits, du moins à ma connaissance, mais surtout elle n'est pas logique. Si on peut toujours imaginer que les preuves aient disparu (ça arrive), la cohérence d'une hypothèse est facile à vérifier. Et là je dis que pour un manipulateur génial, l'ordre du 24 mai apparaît comme d'une rare maladresse.
Citation:
Une donnée que Jacobsen nie et que Costello néglige me semble capitale : le plan allemand, qu'on l'attribue à Hitler, à Manstein ou à qui on voudra, n'est précis que jusqu'à Sedan.
Là nous sommes d'accord. En même temps, Sedan aurait pu rater. Guderian a attaqué plus tôt que le plan ne le prévoyait, et sur les 3 secteurs d'attaques de Sedan, l'un est un échec (2e Pz), l'un est un succès (1e Pz) et le troisième ne réussit que de justesse (10e Pz). Si le plan avait été respecté, l'assaut de la 10e Pz avait de bonnes chances de rater, et la tête de pont d'être contenue (c'est le secteur vers lequel tous les renforts convergent).
Donc la donnée qu'il ne faut pas perdre de vue c'est que Sedan c'est le secteur le plus au sud de la percée, le centre de gravité il est plutôt du côté de Givet. Les militaires allemands qui savent qu'un plan ne résiste jamais au contact de l'ennemi (Moltke), prévoient donc qu'il n'y aura sans doute pas de percée partout et qu'il y aura des endroits où ça ratera. C'est d'ailleurs ce qui se passe, et ça aurait pu être à Sedan. Ce que je veux dire par là c'est que la percée est attendue quelque part entre Sedan et Dinant, avec un centre de gravité du côté de Givet, ce qui reste bon pour viser la Manche mais très moyen pour se rabattre vers l'Aisne.
Citation:
C'est ainsi que, très naturellement, le 17, le haut commandement, Brauchitsch et Halder en tête, veut bifurquer sur l'Aisne, vers le coeur de la France. L'idée d'un encerclement parachevé dans la région de Dunkerque n'effleure pas ces gens-là.
Mais elle est de toute évidence -je veux dire : si on se souvient que c'est lui qui commande, et l'observe sous cet angle- venue à Hitler. Le 17, avec la complicité de Rundstedt, il ne freine pas le mouvement, il le réoriente.
Il la réoriente ? Vers où ?
Le 16 mai au soir, Guderian est à Montcornet avec deux de ses divisions, la troisième a été retenue initialement pour protéger le flanc sud de Sedan et rejoint. Les éléments avancés du corps Reinhardt l'ont rejoint: Kempf y discute avec Guderian. Rommel va dans le même sens.
Le 17 mai au matin, les trois corps blindés sont en route vers la Manche. Guderian s'est bagarré deux fois de suite, le 15 et le 16, avec son supérieur Kleist qui voulait qu'il marque une pause (pas une réorientation, mais une avance dans la même direction - l'ouest - simplement moins audacieuse). Le 16 au soir, Kleist récidive mais Guderian, qui a déjà dépassé la limite qui lui avait été assignée, décide que l'ordre a été dépassé par les événements et n'en tient plus compte. Le 17 au matin, il voit donc arriver son supérieur furax qui l'accuse (non sans raison) de désobéissance systématique. Guderian, qui a un caractère de cochon, claque immédiatement sa démission que Kleist accepte. Dans toute cette affaire, Kleist relayait les ordres de ses supérieurs, c'est à dire pour moi de von Rundstedt et pour François de Hitler.
Et en quoi consiste la réorientation par Hitler de divisions supposées se diriger vers l'Aisne (si c'était le cas, ils avaient vraiment besoin de nouvelles boussoles !) pour les envoyer vers la Manche ?
Le Führer a donné l'ordre suivant: "La masse des formations cuirassées ne doit pas dépasser la ligne Le Cateau -Laon en direction de l'ouest". Donc il leur donne une limite à ne pas dépasser vers l'ouest, et c'est censé les réorienter vers la mer ?
La deuxième partie de l'ordre d'Hitler concerne l'infanterie. Il faut se représenter le plan allemand comme un train. Sur le flanc sud, en tête et le plus à l'ouest il y avait Guderian, puis la 12e armée d'infanterie venant derrière, puis la 2e armée (d'infanterie). Voyant que Guderian a percé, ce que veut faire l'OKH (Brauchitsch et Halder) c'est laisser tout le monde en mouvement: Guderian continue vers l'ouest, la 12e armée le suit, et la 2e armée prendra position quand elle arrivera. L'inconvénient c'est que le flanc sud est tenu par des troupes en mouvement et pas en position défensive, donc si les Français contre-attaquent il y a un risque (c'est un peu ce qui s'est passé sur la Marne en 14).
Ce que demande Hitler donc, c'est que la 12e armée s'arrête et se mette immédiatement en position défensive pour garder le flanc. La 2e armée doit jouer à saute-mouton par dessus la 12e et ira border le flanc plus à l'ouest. Evidemment, ça va prendre plus de temps donc on ordonne aux blindés de s'arrêter. Mais ce n'est pas une réorientation. Dans son journal, Halder se plaint abondamment qu'Hitler a fait rater ses plans géniaux, mais il parle juste du coup de frein donné en direction de la Manche, pas d'un enveloppement vers le sud.
Citation:
d'une part en organisant de savantes rivalités, par exemple en mettant le moderne Kluge à la tête d' une armée et le traditionnel Kleist au commandement des blindés de cette armée.
Kleist est depuis le 15 rattaché à la 12e armée de List, pas à la 4e de Kluge. Le conflit entre Kluge et Guderian ce sera en Russie l'année d'après.
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Et surtout en s'assurant dans l'aile marchante, la seule qui compte, d'une chaîne de complicités, pas forcément mafieuses d'ailleurs; il connaît, il a reçu souvent des gens comme Rundstedt, Guderian et surtout peut-être Busch, le commandant de l'infanterie (qui finira chef d'état-major de Dönitz); il vire (ou laisse virer... ou fait virer) Manstein, peu maniable, après l'avoir pressé comme un citron, et son remplaçant, Sodenstern, est comme par hasard une vieille connaissance de Keitel.
Mais ça c'est le b-a-ba du commandement, pas le signe qu'il contrôle les intéressés.
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Eh bien oui, les choses ne sont jamais vues sous cet angle et par Frieser, thuriféraire de Manstein, moins que par tout autre. Mais il prend Hitler pour un apprenti-sorcier tout désemparé d'avoir déclenché une guerre européenne. Louis le dit, au contraire, capable. Mais sur ce coup il n'est guère conséquent.
Je l'ai dit intelligent, ce n'est pas la même chose. Ce n'est pas un très bon chef militaire, même si à force de pratique il va devenir raisonnablement compétent par la suite comme l'attestent les conférences de 1942-45. Il a sensiblement le même caractère que Churchill et Staline: il est agressif, il cherche en permanence à détenir l'initiative, et il est réceptif aux techniques nouvelles contrairement au conservatisme de la hiérarchie militaire (sur ce dernier point, il est plus proche de Churchill que de Staline).
Simplement, comme je l'ai déjà écrit, j'estime qu'on peut être quelqu'un d'intelligent - ou de capable - sans être infaillible. Gamelin était quelqu'un de très intelligent, son plan était une catastrophe. Georges était considéré comme quelqu'un de capable, sa conduite de la bataille n'est pas géniale non plus. Hitler peut donc avoir eu de bonnes idées, comme de reconnaître le potentiel de l'arme blindée et du plan de Manstein, il peut avoir eu la bonne idée de les imposer à une hiérarchie militaire réticente, mais faire des erreurs par la suite. Ce n'est pas incompatible.
En revanche, pour moi c'est la thèse de François qui est inconséquente. Si Hitler a élaboré un plan relativement détaillé qu'il suit peu ou prou à la lettre, alors il s'est forcément donné des limites. Par exemple, à partir de quand vais-je considérer que les Alliés ont rejeté mes propositions ? Par exemple, à partir de quand et jusqu'à quand vais-je leur envoyer un signal, et quel signal ? Dans ce contexte, et pour les raisons que j'ai énumérées bien des fois, l'ordre d'arrêt du 24 mai n'a pour moi pas (encore ?) de sens comme message diplomatique.