François Delpla présente son ouvrage "Une Histoire du IIIe Reich".
L'antisémitisme de Hitler
Hitler : antisémitisme, personnalité, politique. •
La folie de Hitler
Hitler - Les premières étapes de ses actions politiques. •
Le virage électoral du parti nazi, en 1927-1928. •
L'accélération nazie, en février 1933, l'incendie du Reichstag. •
La mise au pas de l'Allemagne par les nazis. •
Ordre ou désordre au sein de la direction nazie ? •
Hitler, la guerre en projet, dès le début. •
L'Autriche, l'Anschluss, les nazis bousculés ? •
Nazisme et calculs internationaux en Europe. •
Hitler, la diplomatie nazie et les jeux olympiques. •
art, nazisme et préparation à la guerre. •
L’attentat de Georg Elser et l’action nazie à Venlo. •
La déclaration de guerre, Hitler ménage l’Angleterre. •
La perception nazie du pacte germano-soviétique. •
La préparation de la guerre contre la France. •
L’arrêt devant Dunkerque. •
Dunkerque et la crise du cabinet britannique. •
Mers el-Kébir •
Hitler, les diversions de l’année 40 – 41. •
La décision d'attaquer l'URSS.
Le vol de Rudolf Hess.
Vaincre l'URSS en trois mois : certitude ou pari ?
[url=http://www.dailymotion.com/video/x2bot5z_la-date-de-barbarossa-est-imposee-a-hitler-ou-choisie-par-le-dictateur_school]La date de Barbarossa du 22 juin 1941 est-elle imposée à Hitler par les circonstances ?
Cette date est-elle choisie par Hitler en fonction d'autres critères ?[/url]
Canevas préparatoire à ces improvisations :
1) Devenir Hitler
-son antisémitisme diffère fortement de tout ce qui se rangeait antérieurement sous ce vocable : "le Juif" est un ennemi sournois, omniprésent, universel, à l'origine de tous les maux physiques et sociaux; une telle vision appelle l'éradication.
-il s'agit d'une psychose paranoïaque, qui a sans doute handicapé l'enfant et l'adolescent, expliquant par exemple son manque d'insertion sociale et professionnelle, mais qui s'est "déclenchée" à l'approche de la trentaine, dans les affres de la défaite de 1918; elle a érigé le Juif en ennemi peut-être en avril 1919, à la veille de son trentième anniversaire (échu le 20) et au spectacle du bref soulèvement communiste en Bavière, dont les principaux animateurs étaient juifs (un indice : la règle édictée en passant dans Mein Kampf suivant laquelle on ne doit pas confier de fonctions politiques à quiconque a changé d'avis sur une question importante après l'âge de trente ans) ; on écrit encore trop souvent, en paraphrasant Mein Kampf, que Hitler est devenu antisémite à Vienne vers 1910, en se laissant imprégner par l'ambiance de la ville et certains magazines ornant ses kiosques : une façon éloquente de banaliser son antisémitisme, et l’ensemble de son idéologie.
-de même on insiste exagérément sur l'influence d'une organisation (la société Thulé) ou de quelques mentors comme Mayr, Röhm ou même Eckart.
2) Fabriquer un parti
-avant 1923 : il s’agit de battre le fer de la défaite pendant qu'il est chaud et de capitaliser immédiatement les désirs de revanche des nationalistes. Hitler se voit en simple "tambour" sonnant le réveil patriotique. Son NSDAP est un catalyseur du nationalisme bavarois (non séparatiste), il cherche à agglutiner la droite locale pour tenir la dragée haute à "Berlin la rouge", tentative qui avorte après un succès prometteur (et déjà, pour un leader trentenaire novice en politique, fort étonnant : il a traité d’égal à égal avec le général Ludendorff) le 9 novembre 1923.
-à partir de 1925 : le parti est désormais au centre du dispositif et aspire à absorber les autres forces nationalistes. Sa milice SA est une armée politique cherchant à convertir la société et notamment les milieux ouvriers, qu’elle se met en devoir d’ "arracher au marxisme" pour les "renationaliser".
-à partir de 1928 : la société s'avérant difficile à convertir, on la prendra telle qu'elle est, en l'infiltrant notamment par les SS; on cherche à séduire le patronat, grand ou petit; les partis conservateurs seront manoeuvrés avant d'être phagocytés.
3) Mettre au pas l'Allemagne
-une stratégie politique fondée sur la vitesse et la surprise (d'autant plus efficacement qu'elle contraste avec les hésitations et les à-coups du prétendu modèle mussolinien); en cinq mois, le NSDAP et ses organisations satellites deviennent la seule force organisée, tant sur le plan politique qu'associatif. Ce phénomène est souvent mal perçu car on fait trop de cas de certaines éventualités d'opposition dans les rangs de l'armée et des Eglises, ou du rôle de personnalités comme Röhm ou Papen.
-dans l'incendie du Reichstag, la culpabilité de la direction nazie peut-elle être établie historiquement alors qu'elle n'est pas écrite noir sur blanc dans des documents et que le mode opératoire reste obscur, peut-être à jamais ? Oui, si on considère le besoin des nazis d'aller vite et le fait qu'ils vont vite, ainsi que leurs réflexes immédiats, avant toute analyse et toute enquête; ils ont tout de gens préparés à bondir sur cette "occasion", après avoir distillé pendant quelques jours l'idée que les communistes conspiraient. Ces gens ne laissent rien au hasard... ou le moins possible. Et ils disposent de la présidence du Reichstag et du ministère de l'Intérieur, deux fonctions exercées par une même personne, à la fois malhonnête et fanatiquement dévouée au Führer, nommée Hermann Göring.
-la domestication des conservateurs : elle se fait avant tout en s’appuyant sur des leaders bien considérés, techniquement compétents et ne passant pas pour nazis, tels Blomberg et Canaris chez les militaires, Schacht dans les milieux financiers et économiques, Carl Schmitt chez les universitaires...
-au sein même de l'élite nazie, un enchevêtrement de compétences donnant l'impression du désordre et du chacun pour soi permet en fait au chef de tout superviser et d'imposer son point de vue sur ce qui lui tient à coeur.
-en matière culturelle, un relatif libéralisme et un certain pluralisme font place en 1936-37 à une uniformisation beaucoup plus grande, en prélude à la mobilisation des corps et des esprits dans la guerre.
4) Préparer la guerre
- patte de velours diplomatique. Le schéma programmatique de Mein Kampf (écraser la France puis conquérir à loisir un grand empire à l'est, en collusion avec la Grande-Bretagne et l'Italie) est apparemment oublié, ou réduit à l'alliance italienne, et à une tentative infructueuse de rapprochement durable avec Londres. L'Angleterre est couverte de flatteries tandis que la France est tenue en suspicion, mais rassurée par une renonciation allemande à toute revendication la concernant. Il est faux cependant que Hitler ait échoué dans la recherche d'une alliance avec l'Angleterre, qu'il n'a jamais poussée très loin avant 1940... car cela lui aurait interdit d'assaillir la France.
-dans le domaine économique, la préparation guerrière se lit aisément et dès le départ si on considère la politique industrielle et commerciale, dirigée essentiellement par Schacht jusqu'en 1936 et par Göring ensuite. On exporte au minimum pour pouvoir importer l'indispensable (outre l'alimentation traditionnellement déficitaire, les matériaux et les produits nécessaires au réarmement).
-dans l'affaire de Rhénanie (mars 1936) il s'agit avant tout d'humilier la France, de la rendre impuissante et dépendante de l'Angleterre et d'affoler ses petits alliés.
-les Jeux Olympiques de Berlin (août 1936) sont à la fois une illustration et un camouflage de la préparation militaire, et raciale : pendant qu'on parle de Jesse Owens et qu'on attribue à Hitler des grimaces devant ses performances, l'exclusion en douceur des Juifs des sélections allemandes passe inaperçue.
- l'Anschluss (mars 1938) n'a peut-être pas été prévu : il résulte d'une initiative antinazie autrichienne (un référendum) qui provoque une accélération de la mainmise allemande sous l'impulsion et la direction de Göring. Mais le "règlement" de la question autrichienne était bel et bien prévu pour 1938 (protocole Hossbach) et nécessaire avant de s'en prendre à la Tchécoslovaquie. C'est une union personnelle, sous la forme d'une attribution de la chancellerie autrichienne à Hitler, qui semble avoir été primitivement au programme. Ce cas semble le seul où les nazis improvisent, au moins un peu, avant la guerre, et même avant la venue de Churchill au pouvoir en mai 1940.
-à propos de la crise conclue à Munich le 30 septembre 1938, l'idée prévaut encore (et on la trouvait en 1993 dans mon Churchill et les Français) que Hitler voulait faire la guerre et en a été frustré par la mollesse occidentale. Or cette thèse ne repose que sur ses propres déclarations, toutes postérieures, notamment en 1939 et en 1945. Dans les faits, il avait préparé uniquement une guerre contre la Tchécoslovaquie, alors qu'il ne pouvait ignorer qu'elle déclencherait un embrasement général.
-son virage vers la guerre, il l'amorce dès octobre-novembre 1938, et non le 15 mars 1939 avec son entrée à Prague en violation des accords de Munich.
- on croit à tort que lors de la crise dite de Dantzig, fin août 1939, il avait espéré éviter une guerre européenne au cas où il prendrait Dantzig par la force, ou s'il envahissait la Pologne elle-même. Or il déclare cette dernière intention à ses généraux le 22 août. Il veut donc se faire déclarer la guerre par la France pour pouvoir la détruire (au moins dans sa puissance et son prestige militaires). Et par l'Angleterre ? aussi ! car elle ne peut se laisser dessaisir passivement de son "épée française". Il s'agira donc de faire sauter celle-ci rapidement des mains anglaises, pour que la Grande-Bretagne se résigne à confier à l’Allemagne le soin de maintenir le calme en Europe pendant qu’elle concentre ses attentions et ses forces sur ses possessions ultramarines.
-dans la préparation du pacte germano-soviétique, le poisson est ferré dès le mois de mai 1939 (remplacement de Litvinov par Molotov le 3); mais il est gardé au frigidaire jusqu'à la mi-août, pour être cuit 8 jours avant la guerre; en cette même mi-août, Hitler en donne le mode d'emploi aux appeasers de Londres par un message de Burckhardt à Halifax, confirmant que toutes ses entreprises sont tournées contre l’Europe de l'Est, ce qui est à la fois vrai et faux (puisqu'il veut, après la Pologne et avant l’URSS, frapper la France)
5) Ecraser la France et contraindre l'Angleterre à la paix
-après la défaite de la Pologne, l'Allemagne propose la paix d'une façon provocatrice et insolente, qui n'a aucune chance d'être agréée (il déclare conjointement avec Staline que "la Pologne a cessé d'exister", ce qui est inacceptable pour des Alliés occidentaux entrés en guerre pour défendre la Pologne et profondément antisoviétiques).
-des contacts sont néanmoins maintenus avec l'Angleterre, comme va en témoigner l'incident de Venlo : ce qui permet à Schellenberg d'enlever les agents anglais Best et Stevens à la frontière hollandaise le 9 novembre 1939, c'est qu'ils étaient envoyés par Chamberlain et Halifax pour causer des perspectives de paix avec de prétendus militaires allemands préparant un coup d'Etat contre l'imprudent Hitler; une manière pour ce dernier de prendre la température des milieux conservateurs anglais quant au traitement de l'Allemagne en cas de négociation.
-cet incident de Venlo et sa date sont d’un intérêt palpitant : l’enlèvement a lieu moins de 24 heures après l’attentat de Georg Elser contre la direction nazie à Munich, ce qui donne à penser que Hitler était persuadé qu’il s’agissait d’un coup des Anglais (ou plus exactement d’une fraction « juive » du parti conservateur) et que Best et Stevens intriguaient pour endormir la méfiance des services de sécurité allemands. Le changement des dispositions a été immédiat, Hitler l’ordonnant à Himmler dans le train qui le ramenait à Berlin et Himmler avisant aussitôt Schellenberg via Heydrich, avec tous les risques d’une opération improvisée que les garde-frontières hollandais ont bien failli faire échouer. L’une des rares pertes de sang-froid de Hitler et l’une de ses premières erreurs, les interrogatoires de Best et Stevens d’une part, d’Elser de l’autre, démontrant l’absence de toute influence anglaise dans l’attentat.
-l'offensive contre la France est annoncée aux généraux allemands comme imminente en octobre 1939 alors que rien n'est prêt -et que tout le sera en mai : la météo, utilisée comme prétexte pour retarder le jour J à maintes reprises, a bon dos. Jusqu'en février, le plan envisagé était une resucée du vieux plan Schlieffen de 1914, ce qui est généralement utilisé dans les livres d'histoire pour illustrer la maladresse et la brouillonnerie de Hitler, que le mauvais temps hivernal aurait sauvé en permettant l'adoption d'un meilleur plan.
-cependant, il est douteux qu'il n'ait rien su avant février d'un vif débat, nourri de nombreux échanges écrits, entre les généraux Halder et von Manstein. Il est plus vraisemblablement intervenu à son heure. Justement, les plans primitifs venaient d'être perdus en Belgique lors de l’atterrissage forcé à Mechelen d'un avion égaré, à la mi-janvier : merveilleux prétexte pour les changer.
-il est sûr en tout cas que Hitler a pesé de tout son poids pour faire adopter l'idée d'une percée blindée sur la Meuse, proposée par Manstein. Ce dernier, cependant, se croyait engagé dans une guerre de revanche contre la France et l'Angleterre réunies, dont il ne voulait que détruire les armées; il était loin d'imaginer ce que Hitler, après l'avoir écarté (ou laissé écarter) de la direction de l'offensive, allait faire de son plan.
-le Führer en effet n'a qu'une idée en tête... toujours la même : frapper la France à mort tout en épargnant l'Angleterre. C'est pourquoi il circonscrit l'offensive en interdisant à ses troupes, après la percée de Sedan, de franchir l'Aisne et la Somme, sauf par des têtes de pont destinées à faciliter la reprise de l'offensive si la paix n'est pas obtenue.
-pour obtenir celle-ci au plus vite, il fait connaître ses conditions, des plus "clémentes" s'il a réussi à pourfendre l'armée française, dès le 6 mai par l'intermédiaire de la Suède et plus précisément de l'industriel Birger Dahlerus; la transmission du message à Paris comme à Londres est certaine mais chichement documentée, ce qui laisse supposer une censure drastique des archives des deux côtés du Channel. La raison évidente en est que ces conditions ont été bien près d'être acceptées. L'affaire était tranchée à Paris, Paul Reynaud étant prêt à la paix sous condition d'un accord britannique; à Londres Churchill peinait à empêcher Halifax d'intriguer dans ce sens avec l'ambassadeur italien; les deux gouvernements se rencontrent le 26 mai lors d'une visite-éclair de Reynaud à Londres; il est alors convenu de sonder l'Italie et Churchill a toutes les peines du monde à convaincre son cabinet de télégraphier à Reynaud, le 28, que tout bien pesé la démarche n'est pas opportune. Entretemps, il s'est passé des choses importantes sur le champ de bataille, aux abords de Dunkerque. Hitler a d'abord arrêté, entre le 24 et le 27 mai, ses troupes bien parties pour barrer toute retraite aux armées alliées piégées en Belgique, et Churchill en a profité (mais sans remarquer cet arrêt) pour ordonner à la sienne de se replier sur Dunkerque dans la nuit du 25 au 26. Pendant ce temps la défense du périmètre de Dunkerque se renforçait et elle devait tenir, devant la reprise de l'assaut allemand, jusqu'au 4 juin, permettant le rembarquement de la totalité du corps expéditionnaire britannique (soit 230 000 hommes) et d’environ 100 000 Français. L'arrêt devant Dunkerque devait rester inaperçu jusqu'en 1946, date à laquelle des documents sur les querelles qu'il avait induites entre les généraux allemands le révélèrent de façon indubitable; il fut alors expliqué par des paniques injustifiées de Hitler ou d'un général, Gerd von Rundstedt, à moins qu'il ne s'agît d'une vantardise de Göring se faisant fort de "finir le travail" avec l'aviation. Le tout appuyé sur des documents lus au premier degré, sans examiner l'hypothèse d'une mise en scène. La découverte du message confié à Dahlerus, comme des attitudes favorables à la paix d'un grand nombre de décideurs français et britanniques, incitent aujourd'hui à lire cet ordre d'arrêt comme une manoeuvre destinée à favoriser cette paix, mais discrète et brève pour ne pas casser le ressort offensif de la Wehrmacht, et parce que la réussite supposait le renversement de Churchill : s'il n'était pas rapidement obtenu, il faudrait asséner aux appeasers timorés de Londres une piqûre de rappel : la mise de la France hors de combat par l'invasion de son territoire.
-l'armistice franco-allemand, un mois plus tard, est en effet très démoralisant pour l'Angleterre, d'autant plus qu'à la perte de tout allié de poids s'ajoute la rédaction vicieuse du texte imposé à la France de Pétain. Il épargne, par exemple, la flotte et les colonies, dont l'Allemagne ne réclame pas un atome. Mais si la guerre se prolonge, il offre au Reich, par l'occupation des deux tiers les plus riches et peuplés du territoire français des moyens de pression tels qu'un nouveau traité pourrait s'y substituer, faisant basculer les navires et les colonies de la France dans le camp de l'Axe, sous un pavillon tricolore de plus en plus théorique. Il y a même une clause, récemment remarquée et commentée par l’historien Jean-Paul Cointet, qui précise que l’Allemagne évacuera les côtes françaises sitôt la paix signée avec l’Angleterre. Voilà qui renforce dans ce pays la tentation de déposer les armes et l'isolement de Churchill. Ce dernier va sauver son fauteuil de premier ministre par un coup d'audace : la canonnade de Mers el-Kébir contre une partie de la flotte française.
6) L'Angleterre seule
- Le choc de Mers el-Kébir est le détonateur de l'opération baptisée, en décembre suivant, "Barbarossa", avant qu’elle débute en terre soviétique le 22 juin 1941 : l'indulgence des Communes envers ce meurtre sans raison impérieuse de 1300 marins français, et récemment alliés, rend imprévisible la date de la chute de Churchill, tandis que l’approbation du président américain rend probable sinon l'entrée en guerre de son pays, du moins le soutien croissant de cette redoutable puissance industrielle et financière à l'effort de guerre britannique. Ainsi la « Juiverie » s'organise, s'unit et fait couler le sang de façon terroriste, imitant en cela le Reich : alerte ! Elle a un maillon faible, l'URSS « judéo-bolchevique » présentement liée au Reich et le craignant ; elle est bien plus vulnérable à ses coups, dans ses centres vitaux, que le monde anglo-saxon : il est urgent de priver l'ennemi de son concours.
-en attendant cette campagne, prévue dès juillet 1940 pour le printemps suivant, les entreprises militaires allemandes contre des intérêts britanniques, qu'il s'agisse de simples menaces ou d'attaques réelles, ne sont que diversions. A commencer par la prétendue "bataille d'Angleterre", dont il est simplement faux de dire qu'elle a retourné vers l'est l'agressivité du Reich en lui démontrant la difficulté d'envahir la Grande-Bretagne.
-mais la concentration de la Wehrmacht en Europe orientale est un nouveau moyen de chantage dont on peut espérer la chute de Churchill, car ces forces peuvent aussi bien, voire plus logiquement, fondre sur le Moyen-Orient et son pétrole que sur la Russie soviétique -qu'elles se contenteraient alors de menacer pour l'inciter à la passivité pendant la liquidation de la puissance anglaise sur sa "route des Indes". Ainsi, l'intervention-éclair de l'Allemagne dans les Balkans en avril-mai 1941 est à la fois une sécurisation des arrières de Barbarossa et une diversion propre à suggérer que la foudre va s'abattre vers la Méditerranée orientale, plutôt que vers l'est européen.
-pendant ce temps, Churchill allume un contrefeu : il fait croire par l'intermédiaire de l'ambassadeur Hoare, qui avait été naguère un ardent appeaser, que les jours du cabinet sont comptés et que Hoare se prépare à devenir premier ministre pour signer la paix. Ce faux bruit, récemment découvert, est susurré dans les oreilles allemandes lorsque Hoare reçoit à Madrid l'émissaire hitlérien Max Hohenlohe, aux alentours du 10 mars.
- voilà qui pourrait éclairer la toujours mystérieuse affaire Hess. Le passage dans le camp ennemi, non pour trahir mais pour s'y faire incarcérer, du troisième personnage d'une puissance en guerre était une première dans l'histoire. Ce vol solitaire du 10 mai 1941, exploit sportif ayant nécessité des centaines d'heure d'entraînement, survient alors que les menaces et autres coups de boutoir allemands contre l'Angleterre en Méditerranée et au Moyen-Orient battent leur plein : putsch pro-allemand en Irak, nouvelle lune de miel collaboratrice (après celle qui avait commencé à Montoire dans l’automne de 1940) entre le Reich et Vichy (qui possède la Syrie), poussée de l'Afrika Korps en Libye semblant viser Suez, en attendant l'assaut d'une folle audace contre la Crète et la sortie dans l'Atlantique du "géant des mers", le cuirassé Bismarck, qui entrave la concentration de la Navy en Méditerranée... Il n'y aurait plus qu'à attirer dans le camp de l'Axe une Turquie alors peu farouche et la présence anglaise dans la région serait plus précaire qu'au temps de Bonaparte. Hess semble bien avoir été envoyé pour aider la classe dirigeante britannique à se sortir de ce guêpier grâce à la réaffirmation solennelle, par un vieux nazi dûment mandaté, que le Reich chercherait son espace vital aux dépens du seul communisme soviétique, pour peu que l'Angleterre veuille bien le laisser en paix. Sinon...
Hess ne s'est jamais expliqué, ou fort vaguement, sur la genèse de sa décision, les raisons qu'il aurait eues de tromper pour la première et unique fois son maître admiré, les précautions qu'il aurait prises pour que son entraînement échappe aux limiers du SD... Comme dans le cas du Reichstag, les historiens ont tendance à déduire de l'absence de traces d'une intervention de Hitler dans les documents disponibles l'inexistence d'une telle intervention, sans considérer la facilité avec laquelle il pouvait s'entretenir en secret avec celui de ses ministres qui portait seul le titre de "lieutenant du Führer". Les colères du dictateur-acteur à propos de cette escapade et les représailles exercées contre les proches de Hess, pourtant éphémères et relativement légères, sont trop souvent érigées en preuves décisives. Cependant la bêtise de Hess, qui se serait fait de ridicules illusions sur sa capacité de retourner le gouvernement de Londres, fait figure d'argument principal. Or la conversation de mars entre Hoare et Hohenlohe, même et surtout si ce signe de fragilité du cabinet britannique était resté isolé, explique que Hess ait pu espérer atterrir en terrain ami, et convenir avec son chef que le jeu en valait la chandelle.
7) La guerre à l'Est
-"vaincre l'URSS en trois mois" n'est pas le fantasme ridicule d'un conquérant trop sûr de lui après son triomphe sur la France. C'est plutôt le pari d'un fou qui mesure parfaitement les risques encourus mais espère que la Providence, jusque là si bienveillante, ne l'a pas favorisé aussi longtemps pour l'abandonner brusquement. Et l'effondrement qu'il espère est autant, sinon davantage, politique que militaire. De ce point de vue, Churchill joue un rôle difficile à mesurer mais à coup sûr important par son discours du 22 juin qui, tout en rappelant sa détestation du régime instauré par Lénine, désigne en toute clarté le nazisme comme le seul fléau à combattre présentement. Les réactions du pouvoir soviétique lui-même sont plus timorées et moins mobilisatrices, du moins avant la première prise de parole de Staline, le 3 juillet. Et Churchill n'est pas moins actif et efficace dans la formation d'une coalition, intégrant les Etats-Unis, que dans le maintien du moral soviétique.
-le Reich entreprend une guerre contre les populations, juives, slaves et tsiganes, aussi bien que contre un Etat. Toute cruauté est encouragée, au détriment même de l'efficacité militaire. Il s'agit, au passage, d'achever la mue de l'Allemand moyen en un membre conscient d'une race de seigneurs. Mais aussi la conversion des Allemandes, comme un livre de Wendy Lower, postérieur à la remise de mon manuscrit, vient de le révéler.
-la bataille de Stalingrad est étrangement mise en valeur par les vaincus, ce qui constitue une autre "première" dans l'histoire militaire. Un témoignage de Jacques Benoist-Méchin publié en 1989 montre le sens épique que Hitler attribuait au fait que des Allemands soient tombés sur cette marche avancée de l’Europe : ce serait, pendant des siècles, une incitation faite à leurs descendants de revenir poser là les bornes du Reich.
8) La chute
-l'obstination hitlérienne à "combattre jusqu'au bout" est sous-tendue par un espoir, celui de la dissolution de la coalition adverse; le SD y travaille, sous la direction de Walter Schellenberg; l'un de ses moyens d'action est un chantage sur la vie des Juifs, permettant toutes sortes de prises de contact.
-Churchill continue d'être sur la brèche pour empêcher les contacts et résister aux chantages.
-l'infiltration en Angleterre à la mi-1943, comme un prétendu dissident, de Hans Zech-Nenntwich alias Colombine, éclaire vivement ce jeu en présentant le mouvement SS comme profondément divisé entre des fanatiques aussi hostiles aux Russes qu'aux Anglo-Saxons, et des réalistes prêts à un rapprochement avec ces derniers.
-dans les dernières semaines, le régime semble se diviser plus que jamais suivant la ligne de fracture ci-dessus. Speer, Göring et finalement Himmler pencheraient pour un rapprochement avec l'Occident. Or il s'agit des plus proches complices de Hitler, chacun dans son style, depuis des années ! Il y a donc une politique double. Le même nazisme affiche une ligne pure et dure, pour sauvegarder sa réputation d'intransigeance, et tend à un compromis avec les Anglo-Saxons sur la base de l'anticommunisme, pour permettre la survie physique de la nation. Seule la deuxième partie du programme sera réalisée, par la RFA et son "miracle économique". Mais la réputation du nazisme sera ruinée à jamais par les révélations du procès de Nuremberg sur ses crimes et leur caractère systématique, et plus encore par le comportement des accusés, qui tous les reconnaissent en disant "ce n'est pas moi". Göring lui-même, qui prend en charge les intérêts posthumes du régime et sacrifie crânement sa tête en justifiant ses agressions, est obligé de désavouer les massacres gratuits en les attribuant à un dérangement mental de Himmler.
-les testaments de Hitler et les nominations qu'ils comportent confirment qu'il aspirait à la survie de l'Allemagne et à la résurrection de son entreprise après une période d'hibernation sous protectorat américain.
9) Généralités
-la question du "nihilisme" : rien n'est plus faux que d'attribuer une telle attitude aux nazis; ils ne voulaient pas détruire, sinon pour faire de la place à leurs constructions; ils ne voulaient pas perdre mais bel et bien gagner, et édifier un Etat des plus durables.
-ils ne visaient pas une "domination mondiale" mais européenne, dans un partage des rôles et de la domination avec une Grande-Bretagne qu'ils auraient révélée à elle-même comme un pionnier et un pilier de la "supériorité aryenne".
L'antisémitisme de Hitler
Hitler : antisémitisme, personnalité, politique. •
La folie de Hitler
Hitler - Les premières étapes de ses actions politiques. •
Le virage électoral du parti nazi, en 1927-1928. •
L'accélération nazie, en février 1933, l'incendie du Reichstag. •
La mise au pas de l'Allemagne par les nazis. •
Ordre ou désordre au sein de la direction nazie ? •
Hitler, la guerre en projet, dès le début. •
L'Autriche, l'Anschluss, les nazis bousculés ? •
Nazisme et calculs internationaux en Europe. •
Hitler, la diplomatie nazie et les jeux olympiques. •
art, nazisme et préparation à la guerre. •
L’attentat de Georg Elser et l’action nazie à Venlo. •
La déclaration de guerre, Hitler ménage l’Angleterre. •
La perception nazie du pacte germano-soviétique. •
La préparation de la guerre contre la France. •
L’arrêt devant Dunkerque. •
Dunkerque et la crise du cabinet britannique. •
Mers el-Kébir •
Hitler, les diversions de l’année 40 – 41. •
La décision d'attaquer l'URSS.
Le vol de Rudolf Hess.
Vaincre l'URSS en trois mois : certitude ou pari ?
[url=http://www.dailymotion.com/video/x2bot5z_la-date-de-barbarossa-est-imposee-a-hitler-ou-choisie-par-le-dictateur_school]La date de Barbarossa du 22 juin 1941 est-elle imposée à Hitler par les circonstances ?
Cette date est-elle choisie par Hitler en fonction d'autres critères ?[/url]
Canevas préparatoire à ces improvisations :
1) Devenir Hitler
-son antisémitisme diffère fortement de tout ce qui se rangeait antérieurement sous ce vocable : "le Juif" est un ennemi sournois, omniprésent, universel, à l'origine de tous les maux physiques et sociaux; une telle vision appelle l'éradication.
-il s'agit d'une psychose paranoïaque, qui a sans doute handicapé l'enfant et l'adolescent, expliquant par exemple son manque d'insertion sociale et professionnelle, mais qui s'est "déclenchée" à l'approche de la trentaine, dans les affres de la défaite de 1918; elle a érigé le Juif en ennemi peut-être en avril 1919, à la veille de son trentième anniversaire (échu le 20) et au spectacle du bref soulèvement communiste en Bavière, dont les principaux animateurs étaient juifs (un indice : la règle édictée en passant dans Mein Kampf suivant laquelle on ne doit pas confier de fonctions politiques à quiconque a changé d'avis sur une question importante après l'âge de trente ans) ; on écrit encore trop souvent, en paraphrasant Mein Kampf, que Hitler est devenu antisémite à Vienne vers 1910, en se laissant imprégner par l'ambiance de la ville et certains magazines ornant ses kiosques : une façon éloquente de banaliser son antisémitisme, et l’ensemble de son idéologie.
-de même on insiste exagérément sur l'influence d'une organisation (la société Thulé) ou de quelques mentors comme Mayr, Röhm ou même Eckart.
2) Fabriquer un parti
-avant 1923 : il s’agit de battre le fer de la défaite pendant qu'il est chaud et de capitaliser immédiatement les désirs de revanche des nationalistes. Hitler se voit en simple "tambour" sonnant le réveil patriotique. Son NSDAP est un catalyseur du nationalisme bavarois (non séparatiste), il cherche à agglutiner la droite locale pour tenir la dragée haute à "Berlin la rouge", tentative qui avorte après un succès prometteur (et déjà, pour un leader trentenaire novice en politique, fort étonnant : il a traité d’égal à égal avec le général Ludendorff) le 9 novembre 1923.
-à partir de 1925 : le parti est désormais au centre du dispositif et aspire à absorber les autres forces nationalistes. Sa milice SA est une armée politique cherchant à convertir la société et notamment les milieux ouvriers, qu’elle se met en devoir d’ "arracher au marxisme" pour les "renationaliser".
-à partir de 1928 : la société s'avérant difficile à convertir, on la prendra telle qu'elle est, en l'infiltrant notamment par les SS; on cherche à séduire le patronat, grand ou petit; les partis conservateurs seront manoeuvrés avant d'être phagocytés.
3) Mettre au pas l'Allemagne
-une stratégie politique fondée sur la vitesse et la surprise (d'autant plus efficacement qu'elle contraste avec les hésitations et les à-coups du prétendu modèle mussolinien); en cinq mois, le NSDAP et ses organisations satellites deviennent la seule force organisée, tant sur le plan politique qu'associatif. Ce phénomène est souvent mal perçu car on fait trop de cas de certaines éventualités d'opposition dans les rangs de l'armée et des Eglises, ou du rôle de personnalités comme Röhm ou Papen.
-dans l'incendie du Reichstag, la culpabilité de la direction nazie peut-elle être établie historiquement alors qu'elle n'est pas écrite noir sur blanc dans des documents et que le mode opératoire reste obscur, peut-être à jamais ? Oui, si on considère le besoin des nazis d'aller vite et le fait qu'ils vont vite, ainsi que leurs réflexes immédiats, avant toute analyse et toute enquête; ils ont tout de gens préparés à bondir sur cette "occasion", après avoir distillé pendant quelques jours l'idée que les communistes conspiraient. Ces gens ne laissent rien au hasard... ou le moins possible. Et ils disposent de la présidence du Reichstag et du ministère de l'Intérieur, deux fonctions exercées par une même personne, à la fois malhonnête et fanatiquement dévouée au Führer, nommée Hermann Göring.
-la domestication des conservateurs : elle se fait avant tout en s’appuyant sur des leaders bien considérés, techniquement compétents et ne passant pas pour nazis, tels Blomberg et Canaris chez les militaires, Schacht dans les milieux financiers et économiques, Carl Schmitt chez les universitaires...
-au sein même de l'élite nazie, un enchevêtrement de compétences donnant l'impression du désordre et du chacun pour soi permet en fait au chef de tout superviser et d'imposer son point de vue sur ce qui lui tient à coeur.
-en matière culturelle, un relatif libéralisme et un certain pluralisme font place en 1936-37 à une uniformisation beaucoup plus grande, en prélude à la mobilisation des corps et des esprits dans la guerre.
4) Préparer la guerre
- patte de velours diplomatique. Le schéma programmatique de Mein Kampf (écraser la France puis conquérir à loisir un grand empire à l'est, en collusion avec la Grande-Bretagne et l'Italie) est apparemment oublié, ou réduit à l'alliance italienne, et à une tentative infructueuse de rapprochement durable avec Londres. L'Angleterre est couverte de flatteries tandis que la France est tenue en suspicion, mais rassurée par une renonciation allemande à toute revendication la concernant. Il est faux cependant que Hitler ait échoué dans la recherche d'une alliance avec l'Angleterre, qu'il n'a jamais poussée très loin avant 1940... car cela lui aurait interdit d'assaillir la France.
-dans le domaine économique, la préparation guerrière se lit aisément et dès le départ si on considère la politique industrielle et commerciale, dirigée essentiellement par Schacht jusqu'en 1936 et par Göring ensuite. On exporte au minimum pour pouvoir importer l'indispensable (outre l'alimentation traditionnellement déficitaire, les matériaux et les produits nécessaires au réarmement).
-dans l'affaire de Rhénanie (mars 1936) il s'agit avant tout d'humilier la France, de la rendre impuissante et dépendante de l'Angleterre et d'affoler ses petits alliés.
-les Jeux Olympiques de Berlin (août 1936) sont à la fois une illustration et un camouflage de la préparation militaire, et raciale : pendant qu'on parle de Jesse Owens et qu'on attribue à Hitler des grimaces devant ses performances, l'exclusion en douceur des Juifs des sélections allemandes passe inaperçue.
- l'Anschluss (mars 1938) n'a peut-être pas été prévu : il résulte d'une initiative antinazie autrichienne (un référendum) qui provoque une accélération de la mainmise allemande sous l'impulsion et la direction de Göring. Mais le "règlement" de la question autrichienne était bel et bien prévu pour 1938 (protocole Hossbach) et nécessaire avant de s'en prendre à la Tchécoslovaquie. C'est une union personnelle, sous la forme d'une attribution de la chancellerie autrichienne à Hitler, qui semble avoir été primitivement au programme. Ce cas semble le seul où les nazis improvisent, au moins un peu, avant la guerre, et même avant la venue de Churchill au pouvoir en mai 1940.
-à propos de la crise conclue à Munich le 30 septembre 1938, l'idée prévaut encore (et on la trouvait en 1993 dans mon Churchill et les Français) que Hitler voulait faire la guerre et en a été frustré par la mollesse occidentale. Or cette thèse ne repose que sur ses propres déclarations, toutes postérieures, notamment en 1939 et en 1945. Dans les faits, il avait préparé uniquement une guerre contre la Tchécoslovaquie, alors qu'il ne pouvait ignorer qu'elle déclencherait un embrasement général.
-son virage vers la guerre, il l'amorce dès octobre-novembre 1938, et non le 15 mars 1939 avec son entrée à Prague en violation des accords de Munich.
- on croit à tort que lors de la crise dite de Dantzig, fin août 1939, il avait espéré éviter une guerre européenne au cas où il prendrait Dantzig par la force, ou s'il envahissait la Pologne elle-même. Or il déclare cette dernière intention à ses généraux le 22 août. Il veut donc se faire déclarer la guerre par la France pour pouvoir la détruire (au moins dans sa puissance et son prestige militaires). Et par l'Angleterre ? aussi ! car elle ne peut se laisser dessaisir passivement de son "épée française". Il s'agira donc de faire sauter celle-ci rapidement des mains anglaises, pour que la Grande-Bretagne se résigne à confier à l’Allemagne le soin de maintenir le calme en Europe pendant qu’elle concentre ses attentions et ses forces sur ses possessions ultramarines.
-dans la préparation du pacte germano-soviétique, le poisson est ferré dès le mois de mai 1939 (remplacement de Litvinov par Molotov le 3); mais il est gardé au frigidaire jusqu'à la mi-août, pour être cuit 8 jours avant la guerre; en cette même mi-août, Hitler en donne le mode d'emploi aux appeasers de Londres par un message de Burckhardt à Halifax, confirmant que toutes ses entreprises sont tournées contre l’Europe de l'Est, ce qui est à la fois vrai et faux (puisqu'il veut, après la Pologne et avant l’URSS, frapper la France)
5) Ecraser la France et contraindre l'Angleterre à la paix
-après la défaite de la Pologne, l'Allemagne propose la paix d'une façon provocatrice et insolente, qui n'a aucune chance d'être agréée (il déclare conjointement avec Staline que "la Pologne a cessé d'exister", ce qui est inacceptable pour des Alliés occidentaux entrés en guerre pour défendre la Pologne et profondément antisoviétiques).
-des contacts sont néanmoins maintenus avec l'Angleterre, comme va en témoigner l'incident de Venlo : ce qui permet à Schellenberg d'enlever les agents anglais Best et Stevens à la frontière hollandaise le 9 novembre 1939, c'est qu'ils étaient envoyés par Chamberlain et Halifax pour causer des perspectives de paix avec de prétendus militaires allemands préparant un coup d'Etat contre l'imprudent Hitler; une manière pour ce dernier de prendre la température des milieux conservateurs anglais quant au traitement de l'Allemagne en cas de négociation.
-cet incident de Venlo et sa date sont d’un intérêt palpitant : l’enlèvement a lieu moins de 24 heures après l’attentat de Georg Elser contre la direction nazie à Munich, ce qui donne à penser que Hitler était persuadé qu’il s’agissait d’un coup des Anglais (ou plus exactement d’une fraction « juive » du parti conservateur) et que Best et Stevens intriguaient pour endormir la méfiance des services de sécurité allemands. Le changement des dispositions a été immédiat, Hitler l’ordonnant à Himmler dans le train qui le ramenait à Berlin et Himmler avisant aussitôt Schellenberg via Heydrich, avec tous les risques d’une opération improvisée que les garde-frontières hollandais ont bien failli faire échouer. L’une des rares pertes de sang-froid de Hitler et l’une de ses premières erreurs, les interrogatoires de Best et Stevens d’une part, d’Elser de l’autre, démontrant l’absence de toute influence anglaise dans l’attentat.
-l'offensive contre la France est annoncée aux généraux allemands comme imminente en octobre 1939 alors que rien n'est prêt -et que tout le sera en mai : la météo, utilisée comme prétexte pour retarder le jour J à maintes reprises, a bon dos. Jusqu'en février, le plan envisagé était une resucée du vieux plan Schlieffen de 1914, ce qui est généralement utilisé dans les livres d'histoire pour illustrer la maladresse et la brouillonnerie de Hitler, que le mauvais temps hivernal aurait sauvé en permettant l'adoption d'un meilleur plan.
-cependant, il est douteux qu'il n'ait rien su avant février d'un vif débat, nourri de nombreux échanges écrits, entre les généraux Halder et von Manstein. Il est plus vraisemblablement intervenu à son heure. Justement, les plans primitifs venaient d'être perdus en Belgique lors de l’atterrissage forcé à Mechelen d'un avion égaré, à la mi-janvier : merveilleux prétexte pour les changer.
-il est sûr en tout cas que Hitler a pesé de tout son poids pour faire adopter l'idée d'une percée blindée sur la Meuse, proposée par Manstein. Ce dernier, cependant, se croyait engagé dans une guerre de revanche contre la France et l'Angleterre réunies, dont il ne voulait que détruire les armées; il était loin d'imaginer ce que Hitler, après l'avoir écarté (ou laissé écarter) de la direction de l'offensive, allait faire de son plan.
-le Führer en effet n'a qu'une idée en tête... toujours la même : frapper la France à mort tout en épargnant l'Angleterre. C'est pourquoi il circonscrit l'offensive en interdisant à ses troupes, après la percée de Sedan, de franchir l'Aisne et la Somme, sauf par des têtes de pont destinées à faciliter la reprise de l'offensive si la paix n'est pas obtenue.
-pour obtenir celle-ci au plus vite, il fait connaître ses conditions, des plus "clémentes" s'il a réussi à pourfendre l'armée française, dès le 6 mai par l'intermédiaire de la Suède et plus précisément de l'industriel Birger Dahlerus; la transmission du message à Paris comme à Londres est certaine mais chichement documentée, ce qui laisse supposer une censure drastique des archives des deux côtés du Channel. La raison évidente en est que ces conditions ont été bien près d'être acceptées. L'affaire était tranchée à Paris, Paul Reynaud étant prêt à la paix sous condition d'un accord britannique; à Londres Churchill peinait à empêcher Halifax d'intriguer dans ce sens avec l'ambassadeur italien; les deux gouvernements se rencontrent le 26 mai lors d'une visite-éclair de Reynaud à Londres; il est alors convenu de sonder l'Italie et Churchill a toutes les peines du monde à convaincre son cabinet de télégraphier à Reynaud, le 28, que tout bien pesé la démarche n'est pas opportune. Entretemps, il s'est passé des choses importantes sur le champ de bataille, aux abords de Dunkerque. Hitler a d'abord arrêté, entre le 24 et le 27 mai, ses troupes bien parties pour barrer toute retraite aux armées alliées piégées en Belgique, et Churchill en a profité (mais sans remarquer cet arrêt) pour ordonner à la sienne de se replier sur Dunkerque dans la nuit du 25 au 26. Pendant ce temps la défense du périmètre de Dunkerque se renforçait et elle devait tenir, devant la reprise de l'assaut allemand, jusqu'au 4 juin, permettant le rembarquement de la totalité du corps expéditionnaire britannique (soit 230 000 hommes) et d’environ 100 000 Français. L'arrêt devant Dunkerque devait rester inaperçu jusqu'en 1946, date à laquelle des documents sur les querelles qu'il avait induites entre les généraux allemands le révélèrent de façon indubitable; il fut alors expliqué par des paniques injustifiées de Hitler ou d'un général, Gerd von Rundstedt, à moins qu'il ne s'agît d'une vantardise de Göring se faisant fort de "finir le travail" avec l'aviation. Le tout appuyé sur des documents lus au premier degré, sans examiner l'hypothèse d'une mise en scène. La découverte du message confié à Dahlerus, comme des attitudes favorables à la paix d'un grand nombre de décideurs français et britanniques, incitent aujourd'hui à lire cet ordre d'arrêt comme une manoeuvre destinée à favoriser cette paix, mais discrète et brève pour ne pas casser le ressort offensif de la Wehrmacht, et parce que la réussite supposait le renversement de Churchill : s'il n'était pas rapidement obtenu, il faudrait asséner aux appeasers timorés de Londres une piqûre de rappel : la mise de la France hors de combat par l'invasion de son territoire.
-l'armistice franco-allemand, un mois plus tard, est en effet très démoralisant pour l'Angleterre, d'autant plus qu'à la perte de tout allié de poids s'ajoute la rédaction vicieuse du texte imposé à la France de Pétain. Il épargne, par exemple, la flotte et les colonies, dont l'Allemagne ne réclame pas un atome. Mais si la guerre se prolonge, il offre au Reich, par l'occupation des deux tiers les plus riches et peuplés du territoire français des moyens de pression tels qu'un nouveau traité pourrait s'y substituer, faisant basculer les navires et les colonies de la France dans le camp de l'Axe, sous un pavillon tricolore de plus en plus théorique. Il y a même une clause, récemment remarquée et commentée par l’historien Jean-Paul Cointet, qui précise que l’Allemagne évacuera les côtes françaises sitôt la paix signée avec l’Angleterre. Voilà qui renforce dans ce pays la tentation de déposer les armes et l'isolement de Churchill. Ce dernier va sauver son fauteuil de premier ministre par un coup d'audace : la canonnade de Mers el-Kébir contre une partie de la flotte française.
6) L'Angleterre seule
- Le choc de Mers el-Kébir est le détonateur de l'opération baptisée, en décembre suivant, "Barbarossa", avant qu’elle débute en terre soviétique le 22 juin 1941 : l'indulgence des Communes envers ce meurtre sans raison impérieuse de 1300 marins français, et récemment alliés, rend imprévisible la date de la chute de Churchill, tandis que l’approbation du président américain rend probable sinon l'entrée en guerre de son pays, du moins le soutien croissant de cette redoutable puissance industrielle et financière à l'effort de guerre britannique. Ainsi la « Juiverie » s'organise, s'unit et fait couler le sang de façon terroriste, imitant en cela le Reich : alerte ! Elle a un maillon faible, l'URSS « judéo-bolchevique » présentement liée au Reich et le craignant ; elle est bien plus vulnérable à ses coups, dans ses centres vitaux, que le monde anglo-saxon : il est urgent de priver l'ennemi de son concours.
-en attendant cette campagne, prévue dès juillet 1940 pour le printemps suivant, les entreprises militaires allemandes contre des intérêts britanniques, qu'il s'agisse de simples menaces ou d'attaques réelles, ne sont que diversions. A commencer par la prétendue "bataille d'Angleterre", dont il est simplement faux de dire qu'elle a retourné vers l'est l'agressivité du Reich en lui démontrant la difficulté d'envahir la Grande-Bretagne.
-mais la concentration de la Wehrmacht en Europe orientale est un nouveau moyen de chantage dont on peut espérer la chute de Churchill, car ces forces peuvent aussi bien, voire plus logiquement, fondre sur le Moyen-Orient et son pétrole que sur la Russie soviétique -qu'elles se contenteraient alors de menacer pour l'inciter à la passivité pendant la liquidation de la puissance anglaise sur sa "route des Indes". Ainsi, l'intervention-éclair de l'Allemagne dans les Balkans en avril-mai 1941 est à la fois une sécurisation des arrières de Barbarossa et une diversion propre à suggérer que la foudre va s'abattre vers la Méditerranée orientale, plutôt que vers l'est européen.
-pendant ce temps, Churchill allume un contrefeu : il fait croire par l'intermédiaire de l'ambassadeur Hoare, qui avait été naguère un ardent appeaser, que les jours du cabinet sont comptés et que Hoare se prépare à devenir premier ministre pour signer la paix. Ce faux bruit, récemment découvert, est susurré dans les oreilles allemandes lorsque Hoare reçoit à Madrid l'émissaire hitlérien Max Hohenlohe, aux alentours du 10 mars.
- voilà qui pourrait éclairer la toujours mystérieuse affaire Hess. Le passage dans le camp ennemi, non pour trahir mais pour s'y faire incarcérer, du troisième personnage d'une puissance en guerre était une première dans l'histoire. Ce vol solitaire du 10 mai 1941, exploit sportif ayant nécessité des centaines d'heure d'entraînement, survient alors que les menaces et autres coups de boutoir allemands contre l'Angleterre en Méditerranée et au Moyen-Orient battent leur plein : putsch pro-allemand en Irak, nouvelle lune de miel collaboratrice (après celle qui avait commencé à Montoire dans l’automne de 1940) entre le Reich et Vichy (qui possède la Syrie), poussée de l'Afrika Korps en Libye semblant viser Suez, en attendant l'assaut d'une folle audace contre la Crète et la sortie dans l'Atlantique du "géant des mers", le cuirassé Bismarck, qui entrave la concentration de la Navy en Méditerranée... Il n'y aurait plus qu'à attirer dans le camp de l'Axe une Turquie alors peu farouche et la présence anglaise dans la région serait plus précaire qu'au temps de Bonaparte. Hess semble bien avoir été envoyé pour aider la classe dirigeante britannique à se sortir de ce guêpier grâce à la réaffirmation solennelle, par un vieux nazi dûment mandaté, que le Reich chercherait son espace vital aux dépens du seul communisme soviétique, pour peu que l'Angleterre veuille bien le laisser en paix. Sinon...
Hess ne s'est jamais expliqué, ou fort vaguement, sur la genèse de sa décision, les raisons qu'il aurait eues de tromper pour la première et unique fois son maître admiré, les précautions qu'il aurait prises pour que son entraînement échappe aux limiers du SD... Comme dans le cas du Reichstag, les historiens ont tendance à déduire de l'absence de traces d'une intervention de Hitler dans les documents disponibles l'inexistence d'une telle intervention, sans considérer la facilité avec laquelle il pouvait s'entretenir en secret avec celui de ses ministres qui portait seul le titre de "lieutenant du Führer". Les colères du dictateur-acteur à propos de cette escapade et les représailles exercées contre les proches de Hess, pourtant éphémères et relativement légères, sont trop souvent érigées en preuves décisives. Cependant la bêtise de Hess, qui se serait fait de ridicules illusions sur sa capacité de retourner le gouvernement de Londres, fait figure d'argument principal. Or la conversation de mars entre Hoare et Hohenlohe, même et surtout si ce signe de fragilité du cabinet britannique était resté isolé, explique que Hess ait pu espérer atterrir en terrain ami, et convenir avec son chef que le jeu en valait la chandelle.
7) La guerre à l'Est
-"vaincre l'URSS en trois mois" n'est pas le fantasme ridicule d'un conquérant trop sûr de lui après son triomphe sur la France. C'est plutôt le pari d'un fou qui mesure parfaitement les risques encourus mais espère que la Providence, jusque là si bienveillante, ne l'a pas favorisé aussi longtemps pour l'abandonner brusquement. Et l'effondrement qu'il espère est autant, sinon davantage, politique que militaire. De ce point de vue, Churchill joue un rôle difficile à mesurer mais à coup sûr important par son discours du 22 juin qui, tout en rappelant sa détestation du régime instauré par Lénine, désigne en toute clarté le nazisme comme le seul fléau à combattre présentement. Les réactions du pouvoir soviétique lui-même sont plus timorées et moins mobilisatrices, du moins avant la première prise de parole de Staline, le 3 juillet. Et Churchill n'est pas moins actif et efficace dans la formation d'une coalition, intégrant les Etats-Unis, que dans le maintien du moral soviétique.
-le Reich entreprend une guerre contre les populations, juives, slaves et tsiganes, aussi bien que contre un Etat. Toute cruauté est encouragée, au détriment même de l'efficacité militaire. Il s'agit, au passage, d'achever la mue de l'Allemand moyen en un membre conscient d'une race de seigneurs. Mais aussi la conversion des Allemandes, comme un livre de Wendy Lower, postérieur à la remise de mon manuscrit, vient de le révéler.
-la bataille de Stalingrad est étrangement mise en valeur par les vaincus, ce qui constitue une autre "première" dans l'histoire militaire. Un témoignage de Jacques Benoist-Méchin publié en 1989 montre le sens épique que Hitler attribuait au fait que des Allemands soient tombés sur cette marche avancée de l’Europe : ce serait, pendant des siècles, une incitation faite à leurs descendants de revenir poser là les bornes du Reich.
8) La chute
-l'obstination hitlérienne à "combattre jusqu'au bout" est sous-tendue par un espoir, celui de la dissolution de la coalition adverse; le SD y travaille, sous la direction de Walter Schellenberg; l'un de ses moyens d'action est un chantage sur la vie des Juifs, permettant toutes sortes de prises de contact.
-Churchill continue d'être sur la brèche pour empêcher les contacts et résister aux chantages.
-l'infiltration en Angleterre à la mi-1943, comme un prétendu dissident, de Hans Zech-Nenntwich alias Colombine, éclaire vivement ce jeu en présentant le mouvement SS comme profondément divisé entre des fanatiques aussi hostiles aux Russes qu'aux Anglo-Saxons, et des réalistes prêts à un rapprochement avec ces derniers.
-dans les dernières semaines, le régime semble se diviser plus que jamais suivant la ligne de fracture ci-dessus. Speer, Göring et finalement Himmler pencheraient pour un rapprochement avec l'Occident. Or il s'agit des plus proches complices de Hitler, chacun dans son style, depuis des années ! Il y a donc une politique double. Le même nazisme affiche une ligne pure et dure, pour sauvegarder sa réputation d'intransigeance, et tend à un compromis avec les Anglo-Saxons sur la base de l'anticommunisme, pour permettre la survie physique de la nation. Seule la deuxième partie du programme sera réalisée, par la RFA et son "miracle économique". Mais la réputation du nazisme sera ruinée à jamais par les révélations du procès de Nuremberg sur ses crimes et leur caractère systématique, et plus encore par le comportement des accusés, qui tous les reconnaissent en disant "ce n'est pas moi". Göring lui-même, qui prend en charge les intérêts posthumes du régime et sacrifie crânement sa tête en justifiant ses agressions, est obligé de désavouer les massacres gratuits en les attribuant à un dérangement mental de Himmler.
-les testaments de Hitler et les nominations qu'ils comportent confirment qu'il aspirait à la survie de l'Allemagne et à la résurrection de son entreprise après une période d'hibernation sous protectorat américain.
9) Généralités
-la question du "nihilisme" : rien n'est plus faux que d'attribuer une telle attitude aux nazis; ils ne voulaient pas détruire, sinon pour faire de la place à leurs constructions; ils ne voulaient pas perdre mais bel et bien gagner, et édifier un Etat des plus durables.
-ils ne visaient pas une "domination mondiale" mais européenne, dans un partage des rôles et de la domination avec une Grande-Bretagne qu'ils auraient révélée à elle-même comme un pionnier et un pilier de la "supériorité aryenne".
Ecrit par: François Delpla, Le: 01/12/14