François DELPLA

Livre d'or

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Rss Heidegger et l'antisémitisme
Les Cahiers noirs de Martin Heidegger (1889-1976), qui devaient être son dernier inédit publié, sont devenus un livre au début de 2014 sous le titre Überlegungen (Schwarze Hefte) aux éditions Klostermann. Leur éditeur, le philosophe Peter Trawny, en avait dévoilé et analysé la teneur antisémite dans des articles à la fin de 2013.

Je transcris ci-après diverses interventions faites sur des forums historiques au long de l'année 2014.


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François Delpla
Sujet du message: Divine surprise du côté de Heidegger
MessagePosté: 30 Jan 2014 09:51 am

Comment débloquer une bonne fois les études sur le nazisme ? Heidegger fut l'une de ses dupes les plus célèbres et les plus importantes. L'intelligentsia française l'a sauvé du purgatoire entre 1945 et sa mort (1976), en montrant contre vents et marées que sa philosophie débordait son bref (mais enthousiaste) engagement nazi. Il est plus que temps d'aborder le volet hitlérien des choses. La parution, fin 2013, d'un dictionnaire français apologétique puis, en mars 2014, de "Cahiers noirs" du philosophe, dévastateurs pour le dictionnaire, pourrait créer un choc originel et une brutale prise de conscience : sur le nazisme on ne sait encore rien ou presque.

Pierre Assouline a ouvert le bal sur son blog.


Dès qu'il a connaissance des Cahiers noirs, Hadrien France Lanord, l'un des trois directeurs du dictionnaire et l'auteur de l'article sur l'antisémitisme, plaide coupable tout en amorçant une vigoureuse contre-attaque.

Il lit ce texte le 8 décembre dans une soirée du séminaire de la Règle du jeu où Sylviane Agacinski, notamment, lui donne la réplique : http://video-streaming.orange.fr/cultur ... 05747.html

Il semble aller de soi que pour tous les participants (y compris Alain Finkielkraut, interrogé à part) le nazisme est un objet simple et philosophiquement inintéressant. Au prix d'ailleurs d'une croyance enfantine en l'un des propos les plus mensongers de Heidegger sur le sujet : il se serait dégoûté des nazis à l'occasion de la nuit des Longs couteaux (30 juin 1934). Hé non : il a commencé à persifler dans ses cours (et seulement contre les seconds ...couteaux) fin 34-début 35 et ses partisans ne trouvent rien de plus précoce à se mettre sous la dent (à part sa démission du rectorat de Fribourg; hélas elle a lieu en avril 34, avant la sanglante nuit, et est donc forclose pour alimenter le mythe). Sylviane condense cette erreur en employant le mot "pègre" : il prendrait ses distances en comprenant qu'il a affaire à une bande d'assassins.

Voilà qui se retourne : puisqu'il supporte, aussi, cela, c'est que sa philosophie s'accommodait d'un peu de sang versé.


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A propos de Peter Trawny, Heidegger et l'antisémitisme, Seuil, 2014




Re: Heidegger : le retour de la force obscure

Message de François Delpla Lun Sep 15, 2014 8:20 am




Il faudrait que les philosophes ou ceux qui, comme moi, ne le sont pas mais sentent qu'il y a dans cette querelle des choses fondamentales à comprendre, et sur le nazisme, et sur l'histoire, lisent toute affaire cessante le commentaire des passages antisémites des Cahiers noirs de Heidegger publié l'an dernier par Peter Trawny. Commentaire récemment traduit au Seuil sous le titre Heidegger et l'antisémitisme .

Le titre est d'ailleurs sans doute une fantaisie mercantile d'éditeur car l'original est beaucoup plus précis, suggestif et porteur de l'essence du propos : Heidegger und der Mythos der jüdischen Weltverschwörung, soit "H et le mythe de la conspiration juive mondiale". Hé oui, le grand penseur a glissé dans ces bas-fonds !

Ces Cahiers noirs, très soignés, sont assumés par un auteur qui estimait que la publicité était le pire ennemi de la philosophie. Il avait demandé qu'on les publie en dernier, après tous ses autres inédits. Il leur accordait donc une valeur de couronnement et d'ultime révélation. Leur antisémitisme n'a rien de fortuit ni de momentané, même s'il prend des allures extrêmes, et convergentes avec le pire du nazisme, entre 1938 et 1941.

La bête noire de Heidegger est "la technique", censée nous plonger entièrement du côté de "l'étant" au détriment de "l'être". Lequel être, écrit "estre" en français pour trouver un équivalent au mot heideggérien "Seyn" (au lieu de "Sein") désigne ce qu'on devrait être si on était "authentique" et non perverti par la technique.

Cette dernière est aussi baptisée "américanisation". L'emploi d'un tel mot à une telle époque vaut son pesant de souhait de la victoire de l'Allemagne. Le bolchevisme est également une prise de contrôle de la technique sur l'estre. Quant au nazisme, il n'est pas tout blanc en l'affaire, étant lui aussi fâcheusement technique (une idée qui a beaucoup servi aux intégristes de Heidegger pour le blanchir). Mais l'estre a beaucoup à voir avec la "communauté nationale" (Volksgemeinschaft), une expression, elle, centrale et chez Hitler et chez Heidegger. Quant à la Juiverie, elle est tout aussi coupable que dans Mein Kampf de ne pas avoir de "sol", elle est la quintessence de l'aliénation par la technique : cela apparaît notamment lorsque Heidegger insiste sur "l'esprit de calcul" qui est censé l'animer.

Mais ceci n'est que le défrichement de mon déchiffrement et j'espère être très vite rejoint dans la discussion de ce petit livre.




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Message de François Delpla Jeu Nov 20, 2014 9:36 pm

Le livre de Peter Trawny est fort bien résumé ici :

http://www.actu-philosophia.com/spip.php?article561

Quelque chose me chiffonne : chez Trawny comme chez Nicolas Rousseau, le propos est fort moraliste et bien peu historique. Le nazisme est tenu à distance, comme quelque chose à la fois de vulgaire et de maléfique, séparé de tout ce qui pense par une cloison étanche. L'antisémitisme de Heidegger, qui s'exprime surtout dans les Cahiers noirs entre 1938 et 1941, forme dans son oeuvre des "taches purulentes". On trouve, à propos de son adhésion au nazisme, quelque chose de voisin dans un petit livre d'Alain Badiou et Barbara Cassin, Heidegger. Les femmes, le nazisme et la philosophie (Fayard 2010) où le philosophe allemand est censé avoir eu des lourdeurs de provincial et ne s'être rallié au nazisme qu'en fonction d'elles.

Le nazisme est ici un objet, ou au plus une planète exerçant une certaine attraction sur des corps extérieurs à elle. Il ne serait point un sujet, responsable de son attractivité et faisant tout pour l'augmenter. Pourquoi ne pas penser que Heidegger est tout bonnement mobilisé, notamment pendant la guerre, et adhère à l'antisémitisme nazi, fût-ce sous une forme raffinée, éloignée certes du racisme biologique par une sorte de snobisme mais retrouvant par d'autres voies l'essentiel ? C'est-à-dire l'idée d'une mission sacrée de l'Allemagne, renouant avec l'éclosion de la philosophie dans la Grèce présocratique et devant compter avec une conspiration juive mondiale qu'incarnent à la fois les Etats-Unis et l'URSS ?

Cela fait beaucoup de correspondances terme à terme avec la propagande hitlérienne. Une autre, qui survivra à la guerre et pas qu'un peu, chez Heidegger et chez beaucoup d'autres, consiste à déplorer les souffrances des Allemands sans un mot de compassion pour celles des Juifs.

En d'autres termes, Heidegger semble bien ne s'être démarqué de certaines "grossièretés" nazies et n'avoir cessé de soutenir ostensiblement le régime à partir de 1934 (et plutôt à la fin de l'année qu'au début) que pour conserver une adhésion profonde, et jusqu'à la fin, à la politique extérieure et militaire dudit régime. Et s'il persiflait à l'occasion dans ses cours contre les lieutenants du Führer mais jamais semble-t-il contre le chef lui-même, ne serait-ce pas parce qu'il restait fasciné et admiratif devant le surgissement de cette personnalité "allemande" ?


Et si, jusqu'à la fin, ses persiflages épargnent le Führer pour se concentrer sur ses lieutenants, c'est qu'il adhère à une vision (qui est aussi, par exemple, celle d'Otto Wagener) suivant laquelle Hitler a été fâcheusement accaparé par ses conseillers les plus médiocres, arrivistes et mafieux.

O vous mes frères passionnés d'histoire, il ne faut plus lâcher l'affaire ! Suivons ces débats, intervenons, faisons comprendre aux philosophes que l'établissement des faits est, pour eux aussi, une étape non facultative !

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Notule du 29 avril 2016

Le débat s'anime et prend de l'ampleur sur Facebook avec des interventions de Stéphane Domeracki, Jean-Louis Vullierme, Guillaume Payen,Gaëtan Pégny et sans doute bientôt Emmanuel Faye https://www.facebook.com/groups/695823450487857/1000457650024434/?notif_t=group_activity&notif_id=1461493868692721
 
 
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Ecrit par: François Delpla, Le: 29/04/16