Sur le site et en bien d'autres endroits, j'explique que Hitler n'avait pas l'intention de se lancer dans une guerre en 1938 à propos de la Tchéco., mais bien en 1939 à propos de la Pologne.
Cela dit, j'ai partagé le préjugé courant, au point de le coucher tout nu dans mon premier livre d'histoire, en 1993
http://delpla.org/article.php3?id_article=348 :
Citation:
L’année de Munich
Aucune des réunions secrètes de l’état-major hitlérien, connues grâce à la saisie des archives par les Alliés en 1945, n’est aussi célèbre que celle du 5 novembre 1937, au cours de laquelle Hitler a exprimé, devant ses principaux généraux et le ministre des Affaires étrangères Neurath, son programme politico-militaire pour les six ans à venir. Le compte rendu, pièce essentielle de l’accusation au procès de Nuremberg, est connu, du fait de son obscur transcripteur, sous le nom de « protocole Hossbach »23. On y voit le Führer développer des projets d’agression en Autriche et en Tchécoslovaquie, en passant presque sous silence l’URSS et en ne disant rien de l’Ukraine. Ce qui nous intéresse ici, c’est qu’il fonde de grands espoirs sur une prolongation du conflit espagnol, qui n’amènerait rien de moins qu’une guerre franco-italienne pour le contrôle des Baléares ! Si ce « cas n° 3 » ne se réalisait pas, il faudrait attendre, mais au maximum jusqu’en « 1943-1945 ». S’il se produisait, on pourrait et il faudrait faire, en profitant du glissement des forces françaises vers la Méditerranée, une guerre contre la Tchécoslovaquie. On l’écraserait très vite afin de décourager toute contre-offensive polonaise ou « russe » : première apparition dans le discours hitlérien du thème de la « guerre éclair ». Les généraux Fritsch et Blomberg émettent les sempiternels conseils de prudence de l’état-major, mais Göring, présent à titre de commandant des forces aériennes, montre son accord en annonçant le prochain retrait d’Espagne de ses escadrilles : tout le plan repose en effet sur le ralentissement de la progression des troupes nationalistes, et l’Allemagne va cyniquement retirer à Franco l’appui des pilotes qui viennent de s’illustrer à Guernica.
Plus que la période de guerre, ce document éclaire vivement la démarche nazie en 1938 : Hitler fait preuve envers ses généraux et Neurath d’une patiente pédagogie, il fixe des objectifs largement admis par les élites allemandes, Autriche et Sudètes, alors qu’il a en vue l’Ukraine et l’URSS. Mais il ne faut pas que les choses se passent trop bien. Il faut casser des œufs, montrer les vertus de la force, humilier au maximum une France qu’on n’ose encore affronter les armes à la main, mais que son propre isolement empêchera d’entrer en guerre alors qu’on tordra le cou sans risque à la petite Tchécoslovaquie.
Ce programme sera appliqué en 1938 avec une inexorable précision, à deux variantes près, qui démontrent que Hitler est aussi souple dans les modalités que rigoureux dans la poursuite de ses objectifs : puisqu’il n’y a pas de guerre franco-italienne, c’est sur l’Angleterre qu’on va agir, en enfonçant pendant tout l’été de 1938 des coins entre elle et la France. Mais là, nouveau grain de sable : Chamberlain est trop complaisant ! À Berchtesgaden le 15 septembre, il accepte facilement d’abandonner les Sudètes et la France paraît toute prête à saisir ce prétexte pour conseiller la modération à son alliée tchécoslovaque. Il n’y aurait pas de guerre alors, mais un arrangement entre « gentlemen », un partage des petits peuples entre grands bourgeois européens rendant aléatoire une poussée ultérieure vers l’est, et très fragile la position politique du nazisme s’il maintient ses ambitions.
Il faut casser ce processus : lors du deuxième voyage de Chamberlain, à Godesbeg, le 22, Hitler présente de nouvelles exigences. La région sudète devra être livrée sans délai, sans permettre à l’État tchécoslovaque le moindre transfert d’installations civiles ou militaires : une véritable conquête sans guerre, en principe inacceptable. On va donc vers une guerre éclair, les Panzer occupant Prague à partir de l’Autriche en contournant les fortifications et provoquant la sécession de la Slovaquie, puis la chute de Benès. L’Occident en serait encore, suivant son habitude, à réunir la SDN - même si la France était allée jusqu’à une déclaration de guerre, rendue platonique par le refus du passage des troupes à travers la Belgique, clairement signifié par le gouvernement de ce pays24. Manque de chance, l’Occident s’incline encore, mais seulement à la conférence de Munich, le 29 septembre, après tout un branle-bas de combat. Des citoyens ont reçu leur feuille de route et l’Europe s’est bien crue au bord de la guerre.
Qu’est-ce donc qui oblige Hitler à s’asseoir à une table ? Une assez sérieuse menace d’intervention anglaise. On spéculait sur une guerre franco-italienne et voilà qu’on se retrouve avec une coalition franco-britannique prête à mordre ! De surcroît l’URSS clame son intention d’intervenir, et les Tchèques accueillent à bras ouverts son soutien. Aucun doute, il faut reculer, ne serait-ce que pour ne pas faire gronder trop fort les généraux, assez prêts à croire qu’on peut liquider la résistance tchèque en « dix à quatorze jours »25, mais inquiets de complications ultérieures. On signe donc, mais en gardant le vif besoin d’une guerre localisée contre un petit État : les Polonais en fournissent l’occasion un an plus tard.