Est-ce à moi que ce dernier billet s'adresse ?
Mais -ayant lu ceci depuis quelques temps déjà- je ne me sens pas concerné :
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Le bilan du 30 mai
Le 30 mai prend fin ce que je propose d’appeler la « folle quinzaine ». Le bilan de l’évacuation devient suffisamment positif pour qu’on puisse commencer à parler d’un grand succès. C’est l’œuvre personnelle de Churchill même si, par tactique, il en attribue le mérite à Gort. La victoire, il l’a obtenue d’abord contre ses propres généraux, en imposant le primat des considérations politiques. Jusqu’au 24, il s’agit de s’opposer à une manœuvre qui vise clairement à provoquer le rembarquement britannique pour séparer la France de l’Angleterre et Winston impose le respect du plan Weygand. Hitler retourne alors la situation : puisque la BEF ne s’est pas embarquée, je la tiens sous la menace, par mon ordre d’arrêt. Elle devient la monnaie d’échange, dont la contre-valeur est la paix immédiate. Comme un lutteur en déséquilibre Churchill, en se rétablissant, envoie son adversaire au tapis et remporte le round : il lâche brusquement la bride à Gort, et lui autorise en grand ce qu’il lui refusait en petit. Gort boudait sournoisement les Français et louchait vers les ports ? Le voilà autorisé à faire ouvertement cavalier seul et à foncer vers Dunkerque. Puis, récupérant Reynaud, Churchill s’assure un concours français réticent mais suffisant, pour parachever le sauvetage sous le nez des Allemands. Le tout en pilotant au jour le jour un navire gouvernemental au bord de la mutinerie où Halifax ne commet aucune erreur, sinon celle de passer un peu tôt à l’action. Il croit à tort Churchill, si novice dans la fonction de pilote, incapable de faire face, et se pose en premier ministre, ne pouvant que froisser Chamberlain qui, tout comme Daladier, n’avait pas abdiqué l’ambition de succéder à son successeur. S’il avait mieux perçu cela, Halifax aurait tout fait pour mettre Chamberlain dans son jeu et en cas de refus absolu, aurait patienté encore un peu. Churchill, à l’inverse, a pris grand soin de ne pas se trouver en contradiction trop vive avec le chef du parti tory et de lui témoigner un respect constant.
La meilleure preuve que le 30 une période se clôt, c’est qu’au cabinet de 12 h 30 Chamberlain prononce enfin des paroles qui, quelques jours plus tôt, auraient sonné le glas du ministère : il rappelle avec force, en citant les délibérations du cabinet, que Gort avait proposé l’évacuation le 19 et qu’on la lui avait refusée.
C’est à peu près ce que disait Halifax le 26, en lançant sa grande attaque. Si Chamberlain le dit alors, c’est qu’il estime que Halifax a manqué son coup, mais que Churchill a trop bien réussi le sien : il mesure quelle gloire va lui valoir la réussite de Dunkerque, et essaie de la ternir en rappelant sa longue hostilité à la manœuvre. Churchill ne peut laisser dire, et il explique laborieusement que l’offensive vers le sud était le seul moyen de sauver les troupes avec leur équipement ; elle a été rendue impossible par l’incapacité des Français à pousser au sud, en partie à cause des bombardements qui ont gêné la concentration des forces, et par la trop forte pression des Allemands au nord, qui a empêché ces armées de dégager des forces suffisantes pour l’attaque69. Bref, notre plan était excellent mais l’ennemi trop fort et nous trop faibles ! À vrai dire, Il n’y a pas d’annexe confidentielle ce jour-là et il faut se contenter de la minute, qui résume les propos du contradicteur sans donner son identité. Mais on voit mal qui se permettrait ce tissu d’arguments plus creux les uns que les autres, sinon Churchill lui-même. C’est pour lui routine, à présent, que de se défendre ainsi et Chamberlain, isolé, ne peut rien contre le courant.
Churchill s’est imposé. Comme le prouve le témoignage d’un antinazi réfugié à Londres, Stefan Zweig, qui depuis des années confiait à son journal sa déception devant l’attitude des Anglais et écrit le 28 mai que « depuis que Chamberlain est parti, on sent que des gens compétents occupent les postes70 ». L’unique problème, c’est que l’autorité désormais acquise risque de se révéler insuffisante dans la situation, encore beaucoup plus grave, créée par la chute et l’occupation de la France.