Citation:
Bordeaux – Hôtel de la Préfecture
Conseil des Ministres
Pétain prend la parole pour exposer que la France a perdu la guerre. « C’est le cœur serré, Monsieur le Président du Conseil, que je vous dit qu’il faut cesser le combat et demander aux autorités allemandes une armistice dans l’honneur. Si ce Conseil l’estime nécessaire, je suis prêt à faire don de ma personne à la France pour mener ces négociations, puis pour relever notre malheureux pays. »
– Le discours que nous venons d’entendre ne peut être qualifié autrement que de haute trahison, rétorque Mandel. Je suis scandalisé et profondément attristé de l’entendre dans la bouche du vainqueur de Verdun, et seul le poids de l’âge peut expliquer un tel défaitisme ! La guerre peut et doit continuer à partir de notre Empire, avec le soutien fraternel de nos alliés !
– Taisez-vous, crache Pétain, vous n’êtes qu’un civil et vous n’y connaissez rien !
De Gaulle se lève brusquement et se dresse de toute sa haute taille : « Monsieur le Ministre, dit-il, évitant avec soin de donner à Pétain son titre de Maréchal, comment prétendez-vous vous y connaître vous-même ? Depuis des années, vous n’avez rien fait pour moderniser notre Armée, et vous avez tué dans l’œuf toutes les tentatives de développer une doctrine d’utilisation efficace de nos forces dans une guerre moderne ! Le désastre qui nous frappe aujourd’hui, c’est vous et vos affidés qui l’avez préparé ! »
Profitant de la stupéfaction qui frappe le Conseil, Mandel presse Reynaud de prendre une décision : « Monsieur le Président du Conseil, le destin du pays, le destin de la France est entre vos mains ! »
Lentement, Reynaud se lève à son tour. D’une voix étranglée, il articule : « La France doit honorer sa parole envers ses alliés, à commencer par le Royaume-Uni. Il en va de son honneur. Nous ne pouvons pas capituler. Monsieur le Maréchal, le gouvernement accepte votre démission de vos fonctions ministérielles. »
– Je refuse cette décision ridicule, proteste le vieux militaire. La majorité des membres de l’Assemblée Nationale et du Sénat comprennent l’intérêt du pays et me soutiennent !
C’est l’instant qu’attendait Mandel. Il bondit vers la porte de la salle du Conseil et fait entrer Blum. « Messieurs, explique celui-ci, en ces heures dramatiques, je suis venu assurer le Président du Conseil du soutien total du groupe socialiste. Vive la France ! » Selon une récente biographie, ce « Vive la France ! » marquait sa revanche sur tous ceux qui l’avaient depuis des années traité de “sale juif cosmopolite”. Quoi qu’il en soit, cette exclamation est reprise par la grande majorité des membres du Conseil : « Vive la France ! ».
– Philippe Pétain, déclare Mandel, froid comme un juge d’instruction envoyant en prison un cambrioleur, je vous accuse de conspiration et de haute trahison. Messieurs, lance-t-il à deux policiers qui ont pénétré dans la salle du Conseil sur les pas de Blum, arrêtez cet homme.
C’est un vieillard affolé qui est emmené, tandis que De Gaulle est nommé (à titre provisoire, bien sûr…) Ministre de la Guerre.
Je trouve cela très sympathique mais un peu... irréel.
Par exemple, à supposer que de Gaulle soit à Bordeaux (et que Reynaud ose imposer la présence de ce secrétaire d'Etat au conseil des ministres), au lieu d'être à Londres pour activer le projet de réduit breton puis, en désespoir de cause, prôner le projet d'union franco-britannique que vient de lui "vendre" Jean Monnet, à supposer donc que de Gaulle soit à Bordeaux je ne le vois pas contrer Pétain par une tirade sur l'arme blindée, mais bien par des considérations sur Churchill, sa capacité de se maintenir au pouvoir et ses chances de convaincre à cet égard ses propres ministres. C'est alors la seule question qui compte et les partisans de l'armistice ont pour seule excuse, mais de taille, la conviction que l'Angleterre de l'appeasement ne va pas prendre le risque d'être entraînée dans le naufrage de la France -d'où leur course vers les faveurs de Hitler, dans laquelle ils soupçonnent qu'Albion a déjà quelques longueurs d'avance. D'où, aussi, leur raisonnement suivant lequel l'armistice franco-britannique aura parmi ses conséquences les plus certaines un armistice germano-britannique -et qu'alors on sera deux pour s'épauler à la table des négociations (c'est la pensée de la majorité, celle de Baudouin en particulier, ce qui a permis d'écarter de justesse la candidature, au poste de ministre des Affaires étrangères, de Laval, partisan, lui, de dire à Hitler que la France ne veut plus entendre parler de l'alliance anglaise).
Tous ces gens oublient complètement Mein Kampf et "l'espace vital à l'est", ou ils sont persuadés que ce n'était qu'une ruse pour endormir les puissances occidentales. Churchill se distingue aussi, et peut-être avant tout, par là : il est sensible à la composante raciste du nazisme et sait que Hitler est sincère lorsqu'il déclare ne pas avoir d'ambitions atlantiques. C'est pourquoi il peut prendre de tels risques. Il sait qu'en empêchant Hitler d'obtenir la paix à l'ouest il lui ruine son meccano idéologique -par le maintien de l'état de guerre entre les "cousins germains" si bien faits pour se répartir la domination sur les races inférieures.