François Delpla:
Citation:
Ce qui compte en l'occurrence, ce n'est pas l'ensemble des tractations sur le désarmement de la France occupée, "libre" ou impériale, mais ce qui se passe à Wiesbaden (siège de la commission allemande d'armistice et de la délégation "française" auprès d'elle), le soir du 3 juillet 1940, et le lendemain. Oui ou non, Huntziger demande-t-il les moyens de faire la guerre à l'Angleterre ? Oui ou non, l'Allemagne refuse-t-elle ?
Ayant depuis relu les compte-rendus des conférences en question et vérifié que ma mémoire ne me trompait pas, je réponds: "non et non".
Afin que chacun puisse se faire son opinion, voici ce qui se dit le 3 juillet.
Huntziger: "
Nous ne voulons pas nous laisser imposer la loi [par les Britanniques à Mers el Kébir dont on vient de faire part de l'ultimatum - LC]
. C'est pourquoi le Gouvernement a non seulement approuvé l'attitude de l'Amiral commandant à Oran, mais a donné l'ordre aux forces navales d'Afrique du Nord et à l'aviation de prendre leurs dispositions pour participer éventuellement à la bataille. Le Général von Stülpnagel comprendra les raisons qui nous font agir. Nous avons accepté l'Armistice, et nous voulons l'exécuter loyalement, mais nous ne voulons pas qu'on nous dicte notre conduite".
von Stülpnagel dit qu'il comprend, et le Français reprend:
Huntziger: "
Actuellement se livre une bataille navale qui est pour nous un incident très douloureux, mais je suis amené à demander à ce que l'on tire la conséquence de cet incident, à savoir que, dans une période aussi trouble, il n'y a pas intérêt à se presser pour la démobilisation de nos forces, en particulier de nos forces navales, de telle façon que nous risquins d'être désarmés dans nos ports. Nous ne poursuivons d'autre but que notre défense, mais comme dans ce cas l'Allemagne ne peut rien faire pour cette défense, il y a peut-être des mesures à prendre pour que des incidents analogues ne se renouvellent pas."La France ne demande donc pas les moyens de faire la guerre à l'Angleterre, ce qu'elle veut c'est qu'il soit sursis au désarmement de sa flotte et de son aviation. Elle demande aussi que la démobilisation - qui est en cours, et dont elle accepte le principe - soit ralentie. Sur ce dernier point, il faut savoir que toutes les conférences militaires pendant les premiers mois portent sur le fait que les Allemands insistent sur une démobilisation et un désarmement très rapides tandis que les Français disent ne pas avoir les moyens matériels d'y arriver. Même en comptant une certaine dose de mauvaise foi et de résistance passive, il est exact qu'on ne peut pas démobiliser une force armée et lui demander en même temps un travail lourd comme le démontage et le stockage de milliers d'avions.
Huntziger cherche donc à revenir sur le désarmement de la flotte - et d'ailleurs l'Axe suspendra l'exécution de l'article 8 - ainsi que sur la suppression de l'armée de l'air (et l'Axe accordera le maintien d'une force d'armistice). Rien de plus, et il n'est pas question de guerre à l'Angleterre. Enfin, c'est ce que je lis, le texte est là, à chacun de se faire son idée.
Par la suite, et jusqu'en novembre 1942, les Français demanderont à plusieurs reprises un renforcement de leur potentiel militaire, lequel ne sera accordé qu'au compte-gouttes par l'Axe. Il n'est donc pas question de faire la guerre à l'Angleterre (ou aux Etats-Unis après décembre 41), mais de maintenir un outil militaire viable ce qui pour Vichy (où les galonnés tiennent un rôle prépondérant) est une fin en soi. Les Allemands et plus encore les Italiens n'ont qu'une confiance très limitée dans la loyauté de Vichy et n'accordent donc qu'un réarmement très limité et en échange de sévères concessions. En 1940 en particulier, les Allemands n'ont pas encore confiance en Vichy, et Mers el-Kébir ne les a pas rassurés sur la capacité française à opposer une résistance efficace (la bataille elle-même est une lourde défaite française). De là à soupçonner les Français d'avoir fait semblant de résister, il n'y a qu'un pas...
En ce qui concerne le deuxième "non" à savoir les Allemands qui empêchent les Français de faire la guerre à l'Angleterre, c'est exactement l'inverse qui se produit. Le 15 juillet, von Stülpnagel transmet une lettre de Hitler demandant que 8 aérodromes au Maroc, et l'infrastructure logistique qui va avec (lignes de chemin de fer, accès portuaire...), soient mis à disposition des forces allemandes par les Français. Le message fait explicitement référence aux concessions qui ont été accordées à la France à la suite de Mers el-Kébir et sous-entend donc qu'il s'agit d'une demande de réciprocité. Les Français, au lieu de se saisir de cette occasion d'entrer en guerre contre l'Angleterre, rejettent cette demande en disant qu'elle n'entre pas dans le cadre des discussions d'armistice et doit donc faire l'objet de discussions directes entre le gouvernement allemand et Pétain.
Donc on enterre l'affaire.
Citation:
Sur Dakar, un mot rapide. Autant, avant Mers el-Kébir, des plans mirifiques d'occupation anglo-gaulliste de l'Afrique du Nord avaient fleuri, autant l'expédition de Dakar est mièvre, et nullement assortie de vastes projets concernant le Maghreb : on envoie les gaullistes tout seuls, du moins comme troupes terrestres, à eux de se débrouiller; or on avait fait miroiter à de Gaulle des moyens, au moins navals, bien plus amples. D'autre part Churchill écrit à Roosevelt peu avant pour le prévenir, lui dit que l'affaire pourrait être chaude et lui suggère d'envoyer patrouiller des cuirassés.
Les moyens navals attribués à l'opération sont suffisants. L'opération elle-même est risquée, notamment il n'y a pas assez de troupes pour passer en force et on se repose sur le fait que les Français se rallieront à De Gaulle (ou au moins qu'il y aura suffisamment de gaullistes pour que la résistance ne soit que symbolique).
De là à dire que Churchill a fait exprès de la faire rater, il y a un pas énorme. Avant de le franchir, il faudrait d'abord montrer que l'Angleterre disposait des moyens de renforcer l'operation "Menace" suffisamment, ce qui est loin d'être le cas. On est en pleine psychose d'invasion et Churchill a, contre l'avis d'une bonne partie de ses conseillers militaires, envoyé des renforts importants en Egypte.
Il faudrait ensuite montrer ce qu'espère exactement Churchill d'un fiasco qui ne pourra pas manquer - et ce sera d'ailleurs le cas - de le mettre en difficulté sur le plan politique.
Il faudrait enfin montrer ce qui pourrait bien faire croire à Churchill que l'Amérique interviendrait dans une guerre franco-britannique, alors qu'elle n'est pas intervenue dans la guerre franco-allemande.