. Une preuve entre mille de la préméditation de l'agression hitlérienne :
Bill de Ropp et Kingsley WoodDeux documents, saisis en 1945 et publiés dans un recueil de 1956, confirment que Hitler ne s’avance pas au hasard. Ce sont des rapports adressés à Hitler et signés de Rosenberg, en sa qualité de chef du bureau du parti nazi pour les affaires étrangères. Ils racontent deux entrevues du signataire, les 16 et 21 août 1939, avec un émissaire nommé William (ou Bill) de Ropp, né balte, germanophone accompli et devenu sujet britannique à la suite de son engagement dans l’armée anglaise pendant la Première Guerre. Il a été enrôlé dès 1933 par les services secrets du ministère de l’Air londonien pour sonder Rosenberg, et d’autres personnalités allemandes, sur les intentions militaires des nazis.
Depuis 1938, le ministre de l’Air se nomme Kingsley Wood. C’est l’un des hommes politiques britanniques les plus capables et les plus proches de Chamberlain. De Ropp se présente alors (et sans doute sincèrement) comme un partisan de l’appeasement soucieux de faire « entendre raison » à la Pologne, et attribue la même position à son ministre. Il demande à Rosenberg, le 16, des preuves des atrocités alléguées par la presse allemande contre les minorités germanophones de Pologne, et Rosenberg lui en apporte le 21. Surtout, il dit qu’il va s’installer à Genève, et faire de cette cité, après Londres, sa « résidence secondaire », pour rester en contact avec l’Allemagne, même en cas de guerre.
Rosenberg dénonce, et de Ropp ne dément pas, l’existence d’un « clan Churchill-Eden » (the Churchill and Eden group) qui régnerait pour l’instant sur l’esprit de Chamberlain ; l’émissaire va essayer de convaincre son gouvernement que les conditions ont changé depuis la garantie anglaise à la Pologne : fort de cette garantie, ce pays aurait adopté envers l’Allemagne une attitude tellement provocatrice qu’il ne pourrait précisément plus invoquer ladite garantie, qui ne vaut, selon la formule classique, que dans le cas d’une agression allemande « non provoquée ». Cet argument est introduit dans la discussion par Rosenberg (on peut remarquer le caractère très hitlérien de cette inversion des rôles, qui donne à penser que Rosenberg a été personnellement instruit par le Führer de ce qu’il devait dire à de Ropp), mais, dans la note qu’il rédige le 21 août, il informe Hitler que son interlocuteur accepte d’œuvrer au retrait, par le gouvernement britannique, de sa garantie à la Pologne.
Le choix, comme cible d’une telle manœuvre, du ministère de l’Air est hautement significatif. C’est en effet un lieu commun, à l’époque, de prétendre que la prochaine guerre débutera par des bombardements aériens réciproques sur les grandes villes, avec des armes chimiques en particulier. Un théoricien militaire italien, Giulio Douhet (1869-1930), a écrit là-dessus des pages qui ont rencontré un grand succès d’édition . Lorsque la menace se précise, on évacue une partie de la population urbaine des deux camps et on distribue à ceux qui restent des masques à gaz, dont ils s’encombreront en vain pendant plusieurs semaines. S’assurer des dispositions pacifistes de l’aviation anglaise est donc vital pour Hitler et pour ses plans, consistant à se faire déclarer la guerre par Paris et Londres sans le moindre effet pratique, afin de conquérir tranquillement la Pologne, puis d’écraser la France, sans que l’Angleterre ait encore rien entrepris de sérieux contre l’Allemagne.
De ce point de vue, les quelques phrases que Hitler glisse dans un discours aux généraux, le 22 août, sur la situation militaire de l’Angleterre dans le cas (qu’il dit improbable, mais possible) où elle déclarerait la guerre, sont intéressantes :
Citation:
Elle a peu fait pour son armée de terre. Elle pourra envoyer au plus trois divisions sur le continent. Elle a fait un peu plus pour son aviation, mais ce n’est qu’un début. L’Angleterre est encore vulnérable dans les airs. Cela peut changer en l’espace de deux ou trois ans. En ce moment l’aviation britannique n’a que 130 000 hommes, la française 72 000 et la polonaise 15 000. L’Angleterre ne veut pas qu’un conflit éclate avant deux ou trois ans.
L’orateur est tranquille, à juste titre : il a fait faire par Göring tellement de publicité pour la Luftwaffe, et lui a fait exécuter en Espagne des démonstrations si convaincantes, qu’il ne pense pas que les puissances occidentales osent larguer sur la Ruhr et les villes d’Allemagne de l’Ouest un déluge à la Douhet. Mais des contacts secrets ne sont pas superflus pour s’en assurer.