Je viens de mettre en ligne sur Mediapart
http://blogs.mediapart.fr/edition/usage ... on-de-char un commentaire sur un article d'Annie Lacroix-Riz qui souligne à la fois les mérites et les limites actuelles de ses travaux sur les élites françaises face au nazisme.
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Un article utile, qui remet bien des pendules à l'heure, asssurément.
Reste que, d'après ses propres données, les attendus du jugement sont largement exacts :
Citation:
Elle [la cour d'appel de Limoges] a
également exigé que fût retirée de l'exposition
permanente (depuis 1999) une photo de
l'industriel, entouré d'Hitler et Göring,
leur montrant une Juvaquatre au salon de l'auto de Berlin de [février] 1939,
avec cette légende : « Louis Renault
présente un prototype à Hitler et
Göring à Berlin en 1938 (sic) [...] Louis Renault
fabriqua des chars pour la Wehrmacht. Renault sera nationalisé à la
Libération. » Définir Louis Renault « "comme l'incarnation de la collaboration industrielle" » au
moyen « d'une photo
anachronique » dont la légende
lui impute une « inexacte activité de fabrication de chars »
constituerait une « véritable dénaturation des faits [...D]ans un contexte
de préparation du visiteur à la découverte brutale des atrocités commises le 10
juin 1944 par les nazis de la division Waffen SS
das Reich, [ceci] ne peut manquer de créer un lien
historiquement infondé entre le rôle de Louis Renault
pendant l'Occupation et les cruautés
dont furent victimes les habitants
d'Oradour-sur-Glane" »
Autant les magistrats procèdent étrangement quand ils condamnent, sous Harpagon-Sarkozy, une institution culturelle doublée d'une fondation antinazie à payer une réparation financière autre que symbolique aux héritiers d'un milliardaire collaborateur, autant on peut et doit leur dénier, ainsi qu'à tous leurs collègues, le droit de dire l'histoire, autant le grief qu'ils formulent là est d'une soigneuse exactitude et me semble, de surcroît, fondé en droit.
Puisse cette remarque aider les dénonciateurs des classes dominantes à ne pas affaiblir leurs propos par des argumentations entachées d'amalgames, en miroir de ce qu'elles dénoncent.
En quittant la sphère judiciaire, il convient donc d'ajouter une morale à l'histoire : les institutions qui entretiennent la mémoire des crimes ont un devoir particulier de rigueur historique et doivent s'efforcer sans relâche, notamment dans les légendes des photos qu'elles exposent, de rendre à César ce qui lui appartient.
Car il y a bien un lien entre la collaboration de Renault et la violence déchaînée à Oradour, mais subtil... comme l'est en général le nazisme dans ses inhumaines entreprises, conformément au Satan de la tradition chrétienne qu'il prend pour modèle sans trop s'en cacher.
Ce 10 juin 1944, Hitler a besoin de faire en France un exemple de portée nationale : ce peuple tout à sa joie d'un débarquement libérateur doit se souvenir qu'il est occupé, et ses autorités pétainistes se rappeler qu'elles sont des marionnettes de cet occupant, auxquelles le débarquement ne donne aucun poids supplémentaire, aucune nouvelle marge de négociation.
Le crime matriciel est, encore et toujours l'armistice. Il permet à Hitler de doser sa violence en fonction de ses besoins. Caresser un industriel dans le sens du poil et des profits pour lui faire réparer des chars, ou massacrer exhaustivement une banlieue de Limoges, sont bien, essentiellement, une seule et même chose, le moyen approprié de prolonger une guerre raciste, d'une inhumanité inédite.
Un seul a une claire conscience de tout. C'est la principale critique qu'on peut faire aux travaux d'A L-R sur les élites françaises face au nazisme, de parler aussi peu de Hitler, de s'interroger aussi rarement sur sa stratégie. De ce point de vue, si j'étais le tribunal, je condamnerais le centre non pas à retirer la photo...
... mais bien plutôt à la retoucher en mettant à Louis Renault un bandeau sur les yeux
!