Michel Boisbouvier est, après votre serviteur, la personne qui poste le plus souvent sur ce forum.
Une cause tient à son assistance, il y a bien des années, à une interview sur mon livre
Montoire , réalisée pour RFI par un journaliste dont il était proche. Il avait été alléché par le fait que je racontais la rencontre Pétain-Hitler d'une façon nouvelle, qui tranchait avec l'image classique de deux complices s'entendant pour mal faire.
Il s'agissait donc, ce jour-là, d'un
mal-entendu, qui s'est transformé au fil des années en un
mal-lu, à des milliers d'exemplaires !
De réviseur méritant de légendes "résistantes" grossières, je suis devenu un immense malfaiteur, passible des plus lourdes insultes... et voué à l'enfer à en juger par le nombre de fois où Michel dit prier pour moi, si on présume que le Créateur reste sourd à tant de ferveur. Mon crime principal est de placer Hitler au centre du tableau, tant dans les pays qu'il domine que dans la guerre qu'il déclenche, du moins avant qu'il ne soit réduit à la défensive.
Cela conduit à des situations cocasses, notamment en ce moment sur le fil suivant :
viewtopic.php?f=41&t=232 .
Comme chacun sait, l'historiographie du nazisme est marquée, depuis le début des années 1960, par un débat entre l'école fonctionnaliste et ceux qui s'opposent à elle, baptisés "intentionnalistes", non sans malveillance, par leurs adversaires. Je suis entré dans ce débat il y a une vingtaine d'années -presque au début de mes recherches quasi-quotidiennes sur la Seconde Guerre mondiale, initiées en 1990 par la découverte des papiers du général Doumenc- comme un adversaire déterminé du fonctionnalisme. Ce dernier consiste en une histoire avant tout sociale : il s'agit d'expliquer les décisions politiques par les besoins des sociétés et les "fonctions" qu'ils induisent. C'est un type d'approche qui avait jusque là mes suffrages et les a toujours, s'agissant d'autres sujets. Il doit beaucoup à l'école des Annales, et à son embranchement français en matière d'histoire des relations internationales, initié par Pierre Renouvin qui mettait l'accent sur les "forces profondes" gouvernant ces relations.
Si la Première Guerre mondiale relève à mon sens d'une approche fonctionnaliste, personne n'ayant jamais vraiment voulu ce qui se passait, le cas de la Seconde est absolument opposé. Un planificateur est à l'origine et il se promène littéralement, jusqu'à ce qu'une volonté égale à la sienne soit en mesure de le contrarier. Il s'agit bien sûr de Winston Churchill, vaine Cassandre avant mai 1940 et tout d'un coup aux commandes de l'Angleterre pour utiliser en la retournant, comme un lutteur asiatique, la force du coup principal, celui qui devait être final et qui avait tout pour assurer un triomphe durable du nazisme : l'écrasement des défenses françaises sur la Meuse à la mi-mai 1940.
Ce qui est cocasse, donc, c'est que Michel, par son positionnement général, a tout pour s'opposer au fonctionnalisme, mais qu'il a fort bien compris que ce faisant, du moins dans la gueule du loup que je suis, il ruinerait l'oeuvre de sa vie, du moins celle à laquelle il a consacré son premier et pour l'instant unique livre : l'héroïsation du maréchal Pétain.
Le plan de Hitler prévoyait en effet une paix générale "sur le sable de Dunkerque" dans les derniers jours de mai 1940, l'Allemagne évacuant toutes ses conquêtes occidentales pour peu qu'on lui laissât, implicitement ou non, les mains libres à l'est. En juin, Hitler s'appesantit sur le territoire de la France et les forces qui lui restent, toujours dans l'espoir que Londres fasse ses comptes et signe la paix en même temps que son voisin d'outre-Manche. Comme cela n'advient pas et comme la sanglante opération de Londres contre la flotte française, début juillet, montre que l'autorité de Churchill s'affermit, il ne reste qu'à consolider provisoirement les gains occidentaux, et à tenter de liquider au plus vite, vers l'est, le dernier espoir continental de l'Angleterre, à savoir l'URSS.
La France de Pétain, bien qu'elle ait été réduite de façon foudroyante à l'impuissance sur le plan militaire, reste donc sur l'échiquier un pion fondamental. Elle devient à la fois l'arsenal de la guerre à l'est et une base arrière dont la tranquillité et la docilité importent d'autant plus qu'elle possède un immense empire colonial, à la merci de l'Angleterre. De telles "fonctions" ne sauraient se mettre en place d'elles-mêmes, tant elles sont contre nature. Il y faut plus que jamais des chefs : un chef allemand apte à doser la carotte et le bâton au jour le jour, avec une précision d'orfèvre; un représentant sur place de ce chef (Abetz) qui ait toute sa confiance et le comprenne à demi-mot; un chef français suffisamment glorieux pour être obéi quand il prétend limiter les dégâts au maximum.
Ce qui donc est désopilant dans le boisbouviérisme, mais aussi très utile pour vérifier la justesse de mon analyse, c'est que pour héroïser Pétain et en faire le plus malin des deux dictateurs, il est obligé d'en rajouter sur les fonctionnalistes dans la présentation du Troisième Reich comme une pétaudière où personne ne contrôle personne. Ainsi pour ne prendre qu'un exemple, la Solution finale est décidée par Heydrich, qui a donc une autonomie suffisante pour se faire rouler par Bousquet !
Mais il y a plus drôle encore : Boisbouvier dit avoir pour bêtes noires et Robert Paxton et Serge Klarsfeld qui, chacun à sa manière, dépeignent un Pétain très autonome dans sa volonté de collaborer, notamment en matière de politique antijuive (du moins, s'agissant de Paxton, jusqu'en 1942). Or ces deux auteurs ont en commun avec lui de sous-estimer l'intervention de Hitler, soit en croyant Abetz autonome (Paxton), soit en pensant que Pétain et ses sbires sont maîtres, par leurs offres de services, des formes et du degré de la persécution allemande (où je vois plutôt pour ma part le fruit d'une estimation au jour le jour, par Berlin, de la tension maximale qu'on peut infliger à une corde sans qu'elle se rompe).
Pour finir, je tiens à signaler une autre utilité des posts de Boisbouvier que je laisse en ligne (ses fréquentes violations de charte m'offrant toute liberté de choix à cet égard). Elle concerne une bagarre que je mène à un autre niveau, contre les positionnements binaires, tant en matière d'histoire que de politique actuelle. Il est aussi difficile d'être nuancé dans l'appréciation de la démarche de Paxton vis-à-vis de Vichy que dans celle de l'attitude du gouvernement israélien vis-à-vis de Gaza. Et pourtant le salut est dans la nuance (et, s'agissant du Moyen-Orient actuel, le salut du monde lui-même).
Michel Boisbouvier montre, par ses louanges constantes envers la politique de Bush junior, qu'il ne rêve que plaies et bosses... mais ici il n'est pas tout seul. Nous avons quelques autres spécialistes de l'autodéfense et des milices privées, opposés à tout tribunal et à toute justice qu'on ne se fait pas soi-même. Bref, le recul de toutes les civilisations au prétexte de leur choc est une tentation bien actuelle de certains membres de ce forum et je ne suis pas sûr que les magnifiques soulèvements, démocratiques et non-violents, en cours dans le monde arabe suffisent à les faire revenir à des réflexions plus modernes.
Il me semble donc que nos discussions ont un grand intérêt pédagogique et démonstratif.