Allons donc plus loin mon cher François.
Il y a une douzaine d'années,les éditions Robert Laffont ont publié sous le titre:
"Le pianiste.L'extraordinaire destin d'un musicien juif dans le ghetto de Varsovie.
1939-1945,la traduction française d'un ouvrage paru pour la première fois
en Pologne en 1946.Il s'agissait du récit autobiographique d'un survivant du ghetto
de Varsovie,Wladyslaw Szpilman,rédigé en 1945 et publié sous le titre:
Une ville meurt. Très vite interdit par le régime communiste,cet ouvrage
n'avait jamais été réédité depuis.
En 1998,une version anglaise parut sous le titre:
The Pianist.
C'est cette version qui a été utilisée pour la traduction française.
Comme le titre l'indique,W.Szpilman était pianiste.En 1939,il vivait à Varsovie
avec les siens.Ayant refusé de partir,il se retrouva dans le ghetto.
En 1942,sa famille fut déportée.Lui resta,car il fut sauvé dans des circonstances
mal définies (un ami dont il ne dit rien l'aurait au dernier moment extrait des files
de déportés).Par la suite,il travailla sur des chantiers pour le compte de l'occupant
puis aurait erré de cachette en cachette jusqu'en 1945 (il n'a pas participé aux
événements d'avril-mai 1943).
J'utilise le conditionnel car j'ai des doutes quant à l'authenticité de son récit pour
la période 1944-1945.W.Szpilman prétend avoir été sauvé
in extremis une
douzaine de fois lorsqu'il vivait caché (voy.notamment pp.183-8:l'auteur à demi
asphyxié et cerné au dernier étage d'un immeuble en flammes avale des barbituriques
pour en finir,mais il se réveille le lendemain sans aucune blessure,p.197,il raconte
qu'il s'était caché dans un grenier,que plus de trente fois,les Allemands ou les
Ukrainiens sont venus fouiller l'immeuble mais qu'ils
"ne se sont toutefois jamais
aventurés jusqu'au grenier".Un jour,alors qu'il déambulait dans l'immeuble,
il échappa à des SS qui arrivaient en se réfugiant
" à toutes jambes" au grenier,
là encore,ses poursuivants
"se sont contentés de rôder un peu sans monter
jusqu'à son perchoir" (p.199).
Plus tard,alors qu'il était torturé par la faim,sa cachette fut découverte.
Mais il parvint à éviter les balles,à dévaler l'escalier et à s'enfuir dans la rue sans
que les SS ne l'attrapent (pp.201-2).Ajoutons à cela deux fois où il aurait été
sauvé grâce à un pressentiment (pp.192 et 204).
Personnellement,je me demande si W.Szpilman n'a pas travaillé beaucoup plus
longtemps qu'il ne le dit pour les Allemands.Mais en 1945 (et après),c'était
inavouable et mieux valait se présenter comme une sorte de Robinson Crusoë traqué.
L'auteur mort en juillet 2000 la vérité restera sans doute ignorée.
Mais qu'importe,personnellement,même si l'on me prouve que W.Szpilman a menti
pour cacher sa collaboration,je suis prêt à excuser ce qui m'apparaît comme
de la prudence et/ ou de l'orgueil.Ce qui m'intéresse en tout premier lieu,ce sont
les quatorze premiers chapitres de son récit,qui vont de septembre 1939 jusqu'à
l'insurrection (prétendue) du ghetto.Ils fourmillent en effet des détails intéressants
pour l'historien objectif,non seulement à propos du ghetto,mais également sur
d'autres sujets.
PREMIERE PARTIE:LES ENSEIGNEMENTS DIVERS.En juin 1940,le Maréchal a eu raison de ne pas quitter la métropole.On se souvient qu'en juin 1940,en France,d'âpres discussions eurent lieu afin
de savoir si le gouvernement devait rester sur le sol national ou s'exiler.
Suite à l'action du maréchal Pétain et de Pierre Laval notamment,et malgré
l'affaire du
Massilia,il resta.
Les gaullistes accusent les vichyssois d'avoir agi pour des motifs inavouables. Dans les mois qui suivirent,ceux qui avaient rejoint Philippe De Gaulle à Londres
accusèrent le Maréchal et son équipe d'avoir agi par ambition personnelle,
par haine de la République ou par germanophilie.Dans un livre paru en 1944,
Albert Bayet,qui oubliait les sanglantes batailles de mai-juin 1940,la défaite et
ses suite,écrivit:
Qu'on ne vienne donc pas nous conter que le peuple de France (....) a été
"vaincu" par l'invincible Allemagne.Le peuple de France n'a pas été battu pour
l'excellente raison qu'on l'a empêché de se battre.Il a été trahi par un misérable
vieillard que l'ambition rongeait depuis des années et qui,pour trente deniers,
l'a vendu à Hitler.(voy.A.Bayet,
Pétain et la Cinquième Colonne(Ed.du Franc-Tireur,1944),p.44).
Le 4 octobre 1945,le Premier Président de la Haute Cour qui jugeait Pierre Laval
déclara au prévenu:
(...) cette défaite (de juin 1940) a créé un climat et (...) dans ce climat,
il y a eu un certain nombre de personnages qui ont essayé,comme on dit
vulgairement,de tirer leur épingle du jeu,de se créer une situation sur le cadavre
du pays (...).Ces personnages ont essayé de se créer une situation de premier plan.
Vous avez,dans cette période,été l'un des agents les plus actifs de la propagande
défaitiste. (Voy.le compte rendu sténographique du procès Laval (Ed.Albin Michel,1946),p.60).
En 1999 encore,dans un numéro spécial de
Sciences & Vie Junior consacré
à la seconde guerre mondiale,on lisait:
Dès sa première intervention au micro (le 17 juin 1940,P.Pétain) annonce
qu'il faut faire taire les canons et négocier l'armistice.En revanche,Pétain omet
un "détail":il compte bien profiter du trouble pour abattre la république.(Voy.
Sciences & Vie Junior,n°38,octobre 1999,p.58,col.A).
Les véritables motivations du Maréchal et de Pierre Laval.Or,il suffit de relire les documents d'époque pour comprendre que ni P.Pétain
ni P.Laval avait agi pour des raisons inavouables.Dès le 13 juin 1940,
le maréchal Pétain avait déclaré:
Il est impossible au gouvernement,sans émigrer,sans déserter,d'abandonner
le territoire français.Le devoir du gouvernement est,quoi qu'il arrive,de rester
dans le pays,sous peine de n'être plus reconnu comme tel.(Voy.Louis-Dominique Girard,
Montoire,Verdun diplomatique (Ed.André Bonne,1948),pp.41-2).
De son côté,prenant la parole lors d'une réunion informelle le 21 juin 1940,
René Dommange avait prévenu le président de la République A.Lebrun:
Monsieur le Président,c'est votre gouvernement qui ne serait plus libre
et souverain après avoir abandonné plus de quarante millions de Français
en pleine bataille,sur le sol national.Ces populations abandonnées constituraient
elles-mêmes le vrai gouvernement de la France.C'est nous qui le formerions car
nous ne quitterons jamais la France.Que pourrez-vous faire là où vous irez ?(Voy.Jean Montigny,
Toute la vérité sur un mois dramatique de notre histoire(auto-édité,1940),p.28).
Il avait été suivi par P.Laval qui lança:
Si vous quittez la France,vous n'y mettrez jamais plus les pieds.
Oui,quand on saura que vous avez choisi pour partir l'heure où notre pays
connaissait la plus grande détresse,un mot viendra sur toutes les lèvres:
celui de défection....peut-être même un mot plus grave encore,celui de trahison...
Votre devoir,Monsieur le Président,est de suivre l'exemple du Maréchal.(Ibid.,
pp.28-9).
Le cas de la Pologne.On le voit,les opposants à l'émigration craignaient que dans une France en plein
désarroi,un gouvernement qui choisirait de s'exiler perde toute autorité auprès
du peuple (un peuple qui dès lors serait tenté de se tourner vers les Allemands).
Cette crainte était-elle justifiée ? Un constat de W.Szpilman permet de répondre
à la question,il déclare que dans les premières semaines de l'occupation de la Pologne:
le ressentiment envers le gouvernement et le commandement militaire polonais,
qui avaient l'un et l'autre préféré s'enfuir en abandonnant le pays à son sort,
était en général plus vivace que la haine des Allemands (....).
On pouvait même entendre communément l'opinion selon laquelle notre situation
pourrait s'améliorer puisque les Allemands étaient susceptibles de remettre
de l'ordre dans ce chaos qu'était devenue la Pologne. (p.38).
Formulé dans un pays où un sentiment anti-allemand prédominait quelques semaines
auparavant,ce constat donne raison à ceux qui,en France,refusaient l'émigration,
car il était évident qu'en France comme en Pologne,un gouvernement en exil aurait
été exécré de l'immense majorité,une majorité qui aurait dès lors tourné son regard
vers les Allemands.Il permet également de comprendre pourquoi l'appel lancé
le 18 juin 1940 par De Gaulle n'eut quasiment aucun écho.
A l'époque,les masses affolées se moquaient éperdument d'un militaire qui,
après avoir quitté le sol national,prêchait la poursuite de la guerre,elles espéraient
en revanche de ceux qui avaient choisi de rester.
Le constat de W.Szpilman n'était pas erroné.Naturellement,certains pourront me répondre que le constat de W.Szpilman
était soit mensonger,soit grossièrement exagéré et que même s'il était exact,
au bout de quelques semaines,les populations polonaises ont dû s'apercevoir
de leur erreur.A l'appui de cette affirmation,ils citeront les propos de l'ancien
secrétaire d'Etat du Gouvernement général de Pologne,Joseph Bühler.
A Nuremberg,celui-ci déclara que la population polonaise n'apporta pas son
concours aux mesures prises par les Allemands:
Cette absence de concours était due à des considérations patriotiques,
à l'aversion pour la domination allemande,aversion provoquée elle-même
par une propagande continuelle et efficace faite de l'extérieur.
Je ne crois pas que,dans aucun autre pays d'Europe,il y eut autant de pillage,
de vols et de marché noir,autant de destructions et de déprédations exécutées
afin de saboter le ravitaillement,que dans le Gouvernement général. (TMI,XII,84).
A cela,j'opposerai le fait que,même s'il y eut une résistance (voy.plus bas),
de nombreux polonais n'ont pas hésité à collaborer avec les Allemands.
A Nuremberg,l'ancien gouverneur de Pologne,Hans Frank,déclara (sans être contredit)
que durant l'occupation,25 000 Polonais et 5 000 Ukrainiens travaillaient dans la
Police criminelle sous les ordres de la Police allemande (
TMI,XII,32).
Autre chiffre révélateur:sur les 320 000 fonctionnaires qui travaillèrent dans
le Gouvernement général entre 1940 et 1945,il y eut en moyenne 40 000 Allemands
contre 280 000 Polonais et Ukrainiens (
Ibid.,p.18).
Dès la fin de la guerre de Pologne,Hitler avait plaidé non pour qu'on réduise
brutalement en esclavage le peuple polonais,mais pour qu'on remette de l'ordre
dans les territoires nouvellement acquis.
Devant ses juges,le 18 avril 1946,H.Frank déclara:
(...) Hitler m'a donné l'ordre de veiller à ce que tout se rétablisse quelque peu
dans ces territoires qui étaient complètement dévastés,et dont les ponts étaient
sautés,les chemins de fer immobilisés et la population affolée.
Je devais m'efforcer que le territoire devienne un facteur de l'amélioration de la
terrible situation économique du Reich allemand. (TMI,XII,19).
(Hans Frank)
Sa déposition est confirmée par le compte rendu d'un entretien secret qu'Hitler
eut le 26 septembre 1939 avec le médiateur suédois,Birger Dalherus,on lit:
(Hitler explique qu') il faut bien que quelqu'un se préoccupe de l'ordre à l'est
et transforme cette complète désorganisation en une situation bien ordonnée.
Ce qui interviendra aussi,c'est le remaniement du peuple des terres dont il a parlé
tout à l'heure (comprenez:les anciennes terres germaniques),on installera
des Allemands dans les régions peu peuplées,de façon à élever au moins la densité
de population de 35 à 60 (habitants au km2).
Le but visé est une répartition rationnelle des nationalités dans chaque région,
et la création en Pologne d'une structure économique logique.(Voy.Andréas Hillgruber,
Les entretiens secrets d'Hitler (Ed.Fayard,1969),p.32).
On le voit,il n'était pas question d'exterminer les Slaves mais d'aboutir à une
"répartition rationnelle des nationalités".
En Pologne dévastée,le premier souci était d'ailleurs le ravitaillement des populations
et la reprise de l'activité.Afin de nourrir les habitants de Varsovie,le Reich fit
parvenir 600 000 tonnes de blé à titre de prêt.Afin de réamorce l'économie,le Reich
avança une somme équivalente à 20 millions de Zlotys.Malgré l'obstruction de certains,
l'activité reprit et se développa considérablement.Plus de 2 000 000 d'ouvriers
furent employés en étant
"largement rétribuésé (Ibid.,p.23),si bien qu'en 1944:
"le montant des comptes en banque de la population indigène avait atteint
au total 11 500 000 000 de Zlotys." (Ibid).
A Nuremberg,l'ancien gouverneur du district de Cracovie à partir du 1er décembre
1943,Kurt von Burgsdorff,déclara:
Dans mon district,l'économie était en 1944 aussi saine dans un domaine que
dans l'autre.Quelques industries avaient été transférées du Reich dans le
Gouvernement général,et en ce qui concernait l'agriculture,l'administration
importait de larges quantités d'engrais et de semences.L'élevage des chevaux
fut également très poussé. (TMI,XII,62).