François Delpla a écrit:
L'affrontement se poursuit depuis, avec des trêves apparentes et provisoires. Témoin, en ce moment, sur le présent forum, les violentes sorties de Michel Boisbouvier en faveur de Pétain.
Sur un plan plus général, on peut citer la déclaration du président Chirac au début de son premier mandat, le 17 juillet 1995, reconnaissant la responsabilité, dans la déportation et le massacre des Juifs, de "l'Etat français".
Je souhaite que ce fil se concentre le plus possible sur l'aspect juridique du débat.
LE MYTHE DE LA LEGITIMITE GAULLISTE. Il en va de même avec P.Henriot.
Secrétaire d'Etat à l'Information du gouvernement du Maréchal Pétain,
sa mise à mort reste un vulgaire assassinat.Pourquoi n'est-elle pas ainsi qualifiée ?
Pour le comprendre,il faut remonter quatre années et dix jours avant le meutre.
Le 18 juin 1940,parlant à la radio anglaise,un certain Charles De Gaulle prétendit
continuer la lutte contre l'avis du gouvernement français,un avis fondé sur
des considérations militaires évidentes:
- quand les armées disloquées battent en retraite et que plusieurs millions de civils
errent sur les routes,on demande un armistice.
Le 3 août 1945,témoignant au procès Pétain,Pierre Laval rappela à tous ceux
qui avaient la mémoire courte l'ambiance qui règnait,le 10 juillet 1940,
à l'Assemblée nationale:
"nous étions le 10 juillet 1940,nous étions devant le Parlement tout entier
réuni et,malgré les difficultés de communication(...)plus de 700 parlementaires
étaient représentés(...)on peut dire que le Parlement était complet,eh bien,
le 10 juillet,il n'y a pas eu,à aucun moment,sous aucune forme,ni directe,
ni indirecte,la moindre réserve,la moindre protestation,contre l'armistice
qui avait été signé par le Maréchal(...) .Le lieu était pourtant bien choisi,
la séance secrète le permettait,on pouvait,sous des formes variées,le dire...
On n'a rien dit,sous aucune forme.Voilà un fait,il est évident".
(Le procès Pétain,sténotypes publiées par le JO,journée du 3 août 1945,pp.190-1).
Cette volonté de continuer la lutte malgré l'avis du gouvernement français
et contre l'armistice signé dans les jours qui suivirent obligea les gaullistes
à adopter une stratégie dangereuse:déclarer illégitime le gouvernement dit
"de Vichy".
C'était en effet l'unique manière de donner l'illusion aux Français qu'ils n'étaient pas
tenus par cet armistice.Je parle bien d'"illusion",car en vérité,le Droit international
était très clair.
Dans son manuel unanimement reconnu,A.G Heffter déclarait (je souligne):
"Les représentants ou détenteurs actuels du pouvoir souverain,même usurpé,
possèdent seuls la capacité nécessaire pour conclure des traités (internationaux)
proprement dits"(A.G Heffter,
Le droit international en Europe,éd.A.Cotillon et Cie,Paris,1883)
p.194).
Par conséquent,même à supposer que,dès le 16 juin,Pétain le "capitulard" eût dû
être considéré comme un usurpateur,il n'en restait pas moins vrai que l'armistice
signé le 22 juin avec le gouvernement allemand s'imposait à tous les Français.
Poursuivons cependant,en démontrant combien l'abîme appelle toujours l'abîme.
Ayant déclaré illégitime le gouvernement de Vichy,il fallait bien trouver quelqu'un
qui incarnât la continuité de l'Etat.
Dans les premières semaines,Charles De Gaulle hésita:la phrase apocryphe,
prêtée à Louis XIV:"L'Etat,c'est moi" devait probablement résonner dans
ses oreilles.Mais un jour ou l'autre,il faut aller au bout de sa logique.
Et dans la logique gaulliste,la France avait besoin d'un gouvernement légitime.
Puisque Charles de Gaulle avait refusé cette qualité à Vichy,c'était à lui
de montrer la voie.Notons qu'à l'époque,Maurice Thorez lançait des appels
à partir de Moscou et M.Obrecht à partir de Stuttgart.
Eux aussi prétendaient parler au nom de la France,de la civilisation,du progrès,etc.
Si,en cas de crise,un militaire déserteur peut prétendre représenter les intérêts
nationaux au motif qu'il a pu,sans aucun mandat,parler à un micro étranger,
des centaines de Jean-Jean peuvent émettre toutes les prétentions du monde...
Mais charité bien ordonnée commence par soi-même:si bien que le 27 octobre 1940,
dans son discours de Brazzaville,Charles de Gaulle franchit le pas et s'auto-proclama
chef légitime des Français.
C'était fatal.
LE REGIME DU MARECHAL PETAIN
ETAIT PARFAITEMENT LEGAL ! Là encore,on était dans la pure illusion.
Car l'adhésion populaire dont a joui Philippe Pétain jusqu'au printemps 1944
et la présence à Vichy d'un corps diplomatique fortement représenté jusqu'à la fin
démontrent que cette contestation de légitimité ne fut jamais et de loin,unanime.
Le 23 juillet 1945,P.Pétain eut raison de déclarer:
"Le pouvoir m'a (...) été confié légitimement et reconnu par tous les pays
du monde,du Saint-Siège à l'URSS"(sténotypies du procès Pétain,journée du 23 juillet,p.9,col.B).
Tout ce que l'on peut dire,c'est que la légitimité de "l'Etat Français"
fut contestée plus ou moins fortement selon les milieux et les époques,
ce qui est très différent d'une négation universellement prononcée.
Or,là encore,le droit international alors en vigueur était très clair:
"Tant que l'origine ou la légitimité du pouvoir souverain est contestée,
le seul fait de sa détention réelle tient lieu de droit,non seulement
dans les rapports avec le peuple soumis,mais aussi dans les relations
internationales.C'est que la souveraineté réelle,lors même qu'elle serait
illégitime,est une continuation de l'Etat,elle le représente et elle créé
des droits et des obligations pour l'avenir,sauf le droit particulier
au souverain légitime" (A.G.Heffter,
op.cit., p.117).
Quant au prince légitime qui aurait été écarté par l'usurpateur,
le droit international déclarait:
"dépouillé du pouvoir souverain,(il) ne peut valablement contracter
pour l'Etat qu'après avoir recouvré le pouvoir" (
Ibid., p.195).
Dès lors,même à supposer que Pétain ait été un usurpateur et De Gaulle
le chef légitime de la République repliée à Londres ou en Afrique du Nord,
le premier était seul habilité à gouverner au nom de la France et à exiger
l'obéissance des Français.
Charles De Gaulle,lui,ne représentait rien....
UNE TRES DANGEREUSE NEGATION
DES PRINCIPES DU DROIT INTERNATIONAL Faisant toutefois fi de tous les principes élémentaires du droit et de la morale,
les gaullistes n'ont cessé de clamer qu'ils représentaient la France.
Cette farce aurait pu prêter à rire si elle n'avait pas eu des conséquences
terribles.Car à partir du moment où vous prétendez incarner la légitimité
face à des "traîtres" et à des "vendus",vous vous sentez le droit de créer
des tribunaux et d'autres organisations peu avouables qui condamneront
à mort et qui feront "exécuter" les sentences par des commandos.
On parle encore aujourd'hui beaucoup des Cours spéciales instaurées
par le gouvernement du maréchal Pétain.
Sur les ondes de la radio gaulliste,Bénazet s'époumonait régulièrement
contre ces juridictions d'exception.
P.Henriot lui répondit le 6 mars 1944,dans son éditorial rédigé après
la découverte,non loin de Bonneville (Haute-Savoie),d'une fosse commune
contenant les corps de huit policiers abattus d'une balle dans la nuque,
il lança:
"Bénazet voudrait faire croire qu'il n'y a plus en France de tribunaux réguliers,
et il proteste avec véhémence contre cette manière de procéder à un rapide
interrogatoire,de juger séance tenante et d'exécuter aussitôt.
Dommage que Bénazet ne demande pas à ses assassins du maquis de procéder,
eux aussi,à un jugement en règle,avec avocats,plaidoiries et paperasse,
au lieu d'abattre des gens par derrière,de les surprendre au milieu
de leurs familles,de les enlever et de les tuer.Bénazet ne songe pas au sort
des policiers de Bonneville.Quelle garantie de justice ont-ils trouvée,ceux-là ?
Quels tribunaux régulièrement constitués les ont jugés ? ""Aucun membre de l'ordre judiciaire,aucun officier de l'armée régulière
ne figure dans ces cours martiales",
s'écrie Bénazet.Et dans les cours
martiales illégales que vous avez instituées,où sont-ils les membres
de l'ordre judiciaire,les officiers de l'armée régulière dont vous réclamez
la présence pour les vôtres ?
Comment ont-ils pu se défendre,ces malheureux qui étaient en service
commandé,dont certains venaient des villes bombardées ?
Ils étaient plusieurs de Nantes,où ils avaient peut-être tout perdu
et ils n'avaient pris aucune part à aucune action contre vos amis.
Vous les avez enlevés,jugés et tués à huis clos,sans débats,sans avocats,
sans juges.N'étaient-ils pas Français,eux aussi ?.
("Un Katyn français",éditorial de P.Henriot,prononcé le 6 mars 1944 à 12h40).