Depuis quelque temps, je revois toutes mes analyses sur le nazisme à la lumière d'un principe unificateur qui fonctionne, pour l'instant, très bien : la folie de Hitler, une psychose paranoïaque déclenchée au moment de la défaite de 1918 et consistant essentiellement à voir "le Juif" comme un ennemi irréductible, et de lui-même, et de l'Allemagne, l'un des deux adversaires étant voué à brève échéance à anéantir l'autre.
L'essor du mouvement nazi est inséparable d'une précoce activité institutionnelle, consistant à bâtir des organisations entièrement maîtrisées par le psychopathe, et au service de son délire.
Parmi les nouveaux terrains de recherche qui s'ouvrent (c'est-à-dire, que je pense aujourd'hui avoir insuffisamment investis dans les deux premières décennies de mon travail sur le nazisme, commencé vers 1990) figure celui des rapports anglo-allemands.
Pourquoi Hitler couvre-t-il l'Angleterre de fleurs en général, et de bombes à certains moments ? Parce qu'il s'agit de la disputer aux Juifs dont Churchill serait (curieusement, sur le plan "racial" !) le parangon et le leader.
Un de mes nouveaux livres de chevet, négligé jusqu'à cette année, est celui de Fritz Hesse
Das Spiel um Deutschland (Munich, List, 1953) qui avait d'ailleurs fait l'objet dès sa parution d'un riche compte rendu dans la principale revue ouest-allemande d'histoire du nazisme, aujourd'hui en ligne :
http://www.ifz-muenchen.de/heftarchiv/1954_3.pdf .
Je me suis intéressé jusqu'ici à la crise de l'abdication (qui voit, en décembre 1936, Edward VIII à peine sur le trône obligé d'y renoncer parce qu'il tient à épouser une divorcée), comme à une péripétie entièrement anglaise et ne concernant Hitler qu'indirectement, par les soubresauts qu'elle entraîne dans la carrière de Churchill. C'est seulement, me semblait-il, après son abdication que le prince s'était laissé aller à admirer publiquement Hitler, et donc, pensais-je plus ou moins confusément, avait commencé à l'intéresser.
Or on lit chez Hesse, qui à l'époque était attaché de presse à l'ambassade allemande de Londres, qu'il entendit parler de cette crise et d'une abdication possible avant son ambassadeur Ribbentrop, et que quand il l'eut informé il s'entendit répondre :
Vous n'êtes pas sans savoir que le Führer escompte très fortement que le roi aussi se mette de notre côté dans les négociations à venir. C'est notre plus grand espoir. N'êtes-vous pas convaincu que tout cela n'est qu'une intrigue de nos ennemis pour nous déloger de la dernière position forte que nous avons dans ce pays ?Deux informations capitales ici (si on considère la source comme digne de foi) :
- Hitler, par son réseau d'informateurs au Royaume-Uni, était au courant des sentiments germanophiles et hitlérophiles d'Edward bien avant qu'ils ne se manifestent publiquement en 1937;
- Ribbentrop, pas fou mais entraîné dans la folie de Hitler, réagit immédiatement en soupçonnant (un peu comme le dirigeant socialiste français moyen au lendemain de l'arrestation de Strauss-Kahn !) que les Juifs aussi avaient remarqué la chose, et tentent une manoeuvre d'envergure (par exemple en manipulant Wallis Simpson comme les sarkozystes auraient enrôlé Nafissatou Diallo) pour se débarrasser du roi.
Folie encore, et handicap à la finesse d'analyse dont Hitler fait preuve en toute matière où "le Juif" ne l'obnubile pas, la contradiction qui veut que Hitler ne modifie pas son diagnostic alors qu'en cette affaire l'ami Edward et l'ennemi Winston se retrouvent du même côté (Churchill, contrairement à ce qu'on croit, ne défend pas le droit du roi à épouser Wallis, mais s'insurge de la façon irrespectueuse dont le problème est agité; il cherche surtout à gagner du temps, dans l'espoir que la volage majesté se lasse de sa dernière conquête.)
Car Speer l'entendit souvent (ses mémoires, poche, p. 101) prétendre que l'abdication du roi était due à des "menées mystérieuses" et six ans plus tard, dans les "propos de table" de Hitler, le 31 août 1942 (à peu près au moment où il tente contre Stalingrad son effort suprême), il pense encore l'abdication en termes de "destruction" :
Citation:
La vraie raison de la destruction du duc de Windsor fut, j'en suis sûr, son discours aux vétérans en partance pour Berlin, à qui il déclara que ce serait la tâche de sa vie que d'obtenir une réconciliation entre la Grande-Bretagne et l'Allemagne.