Il m'est venu une idée toute bête : chercher dans le livre sur les conférences navales du Führer, paru en anglais dès 1948, ce qu'il pouvait y avoir d'intéressant sur les intentions de Hitler concernant la flotte française.
Je rappelle que les plaidoyers vichystes, ou simplement aigris contre la "traîtrise de l'ancien allié", concernant Mers el-Kébir, reposent en grande partie sur l'idée que Hitler n'avait aucune visée sur la flotte française et que l'Angleterre, à cet égard, s'est affolée bêtement (et criminellement, ajoute-t-on souvent).
Or voici ce que dit Hitler en ouvrant la conférence du 20 juin, veille de la remise des conditions d'armistice à la délégation française dans la clairière de Rethondes :
Citation:
France. L'armistice.- Le Führer souhaite s'abstenir de toute mesure portant atteinte à l'honneur français. Ainsi, la flotte est à interner à Brest et à Toulon, suivant les dispositions du temps de paix. Les navires sont à mettre hors d'usage suivant des instructions spécifiques. Quelques unités navales devront être disponibles pour la défense de l'Indochine. Des bases sur la côte atlantique devront être entièrement à la disposition de la Kriegsmarine pour la guerre contre la Grande-Bretagne. Des demandes de dragueurs de mines et de navires pour la défense des ports et chenaux devront être présentées pendant les négociations.
Un peu plus loin on trouve un propos de l'amiral Raeder, qui signale l'importance de l'occupation de Dakar. Réponse dictatoriale, capitale non seulement pour l'affaire de MeK mais pour la Solution finale :
Citation:
Le Führer a l'intention d'utiliser Madagascar pour installer les Juifs sous une supervision française. Cependant, il comprend l'importance de la demande faite par l'amiral de la flotte [Raeder] d'échanger Madagascar contre la partie nord de l'Angola portugais, et il va examiner la suggestion.
On a ici comme toujours chez ce comédien un mélange de sincérité et de manipulation, et celle-ci s'adresse aux présents bien sûr (Jodl, Raeder, Puttkamer) mais aussi, au-delà d'eux, à ceux qu'ils sont susceptibles d'informer, dont peut-être, indirectement, des diplomates étrangers.
L'idée de l'Angola est grotesque, mais bien propre à inquiéter Salazar et à l'inciter à cafter dans des oreilles anglaises (la correspondance du dictateur portugais avec son ambassadeur à Londres Monteiro, récemment éditée, serait à voir). De toute évidence, Hitler, s'il caresse sérieusement le projet d'un "établissement" (en fait, un mouroir) juif à Madagascar, en cas d'arrêt de la guerre (paix britannique dans les quelques jours par renversement de Churchill, vivement espérée... et pas irréaliste), s'amuse, dans l'hypothèse d'une prolongation du conflit, à agiter des ambitions atlantiques.
Cela, nous pouvons le constater aujourd'hui... et les pétainistes sont d'ailleurs sur le fil du rasoir, car il leur incombe de démontrer à la fois que Hitler n'avait rien à faire de la flotte française et que, si on n'avait pas signé à temps et ingénieusement le précieux armistice, il n'aurait fait qu'une bouchée de l'AFN.
A l'époque cependant la situation apparaît totalement fluide et grosse des menaces les plus diverses. L'Angleterre peut réellement s'attendre à être envahie, tout comme l'abandon français, fort peu négocié avec elle (par la faute de Reynaud tout autant que de Pétain... et de Churchill, mais lui pour la bonne cause : il voulait retarder cet armistice au maximum pour consolider sa situation interne des plus précaires, qui le serait plus encore une fois l'allié perdu), peut lui apparaître gros d'un renversement des alliances qui ferait de la flotte française, conduite par ses propres équipages, une menace immédiate.
Mais le plus croustillant dans ce document est la première phrase sur une définition très particulière de l'honneur français, notion vichyste s'il en fut, et ce dès l'origine, en même temps que préoccupation unique (dit-il) de Gensoul au reçu de l'ultimatum du 3 juillet. L'origine allemande de ce dévoiement d'un beau mot était devinable, elle est ici prouvée.