Recentrons. Que faut-il penser du centralisme démocratique ? Le fait, pour Lénine, d’avoir voulu créer une société sans classes au lieu de laisser les choses se faire d’elles-mêmes a eu pour effet d’en créer deux : le parti et la classe des non-membres ; et le fait de réserver à la première la totalité du pouvoir et de refuser toute liberté à la seconde au nom des nécessités de la lutte a eu pour effet d’engendrer au sein du parti une dynamique d’exclusion et de concentration du pouvoir entre des mains progressivement de plus en plus restreintes pour aboutir à la tyrannie d’un seul. Or, celui qui parvint à ce poste fut précisément celui qui nommait aux postes de direction et qui en destituait : le Secrétaire général. Car celui qui nomme aux emplois, celui qui attribue les places, celui qui en destitue, qui exclut les opposants, les tièdes ou les suspects, celui-ci a les plus grandes chances de parvenir au sommet. Le plus « exclueur », le plus méchant donc, est presque assuré de l’emporter et c’est bien là que réside la cohérence de ce système éminemment pervers : il sélectionne à rebours. Il se sélectionne lui-même à rebours. Trotski, pour en avoir été victime, l’a vu, mais ce qu’il n’a pas vu c’est que c’est le système qu’il avait contribué à mettre en place qui en fut la cause, -système que, cependant, il a continué à vénérer jusqu’à sa mort. (On a envie de lui dire : qui sème le vent récolte la tempête et tant pis pour toi; tu n'avais qu'à être plus prévoyant. Je suppose qu’il y eut dans la carrière de Staline un moment clé où tout a basculé. A ce moment là, d’élu-nommé par le collectif révolutionnaire dont il faisait partie pour nommer aux postes de direction, il a pu nommer les dirigeants qu’il créait en se soustrayant à leurs suffrages. Celui que je nomme à un poste de direction risque de ne pas me payer de retour et, pour éviter cela, je dois lui faire craindre l’exclusion non seulement en excluant très souvent un grand nombre de dirigeants mais en accompagnant cette exclusion d’un châtiment extrême pour les terroriser. Pour n’avoir pas compris cela, Malenkov, Boulganine et Krouchtchev furent évincés et, parce qu’il ne sut pas prendre les devants, Béria fut exécuté. Telles sont les règles de la centralisation démocratique. Si Krouchtchev avait été aussi méchant que Staline il fût resté en place et son "humanisme", tout relatif d'ailleurs, l'a perdu. D’ailleurs Staline était il méchant ? Oui, mais à condition que ce mot ne signifie pas pervers car le pervers est méchant sans cause ou sans raison. Il était surtout méfiant. Il craignait des rivaux et, prenant les devants, il éliminait ceux qui lui faisaient ombrage avant qu’ils ne l’éliminent lui-même, selon une logique quelque peu orientale qui rappelle irrésistiblement ce qui se passait à Moscou (déjà) sous Ivan le Terrible ou à Constantinople sous l’empire Ottoman. Etait ce fatal ? A considérer les cas de Mao, de Kim Il Sung, de Castro ou de Pol Pot on a envie de dire oui. Heureusement, il y eut Gorbatchev. Il fournit la contre épreuve et la vérification dont nous avions besoin. Quand il cessa d’exclure ses rivaux potentiels, et que ceux-ci renoncèrent à l’exclure, c’est le parti lui-même qui perdit son pouvoir et qui se trouva dissous. Preuve aussi qu’il ne peut y avoir de démocratie partielle et que celle-ci obéit à la loi du tout ou rien. ..
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