Bonjour à tous
Je voudrais essayer de ramasser et si possible de relancer les nombreux débats sur Vichy, parfois parasités par des monologues fermés, qui ont eu cours ces derniers mois sur le forum.
L’histoire du régime de Vichy, en France, est scandée par la « révolution paxtonienne », c’est-à-dire par la parution de l’ouvrage de l’historien américain Robert Paxton
La France de Vichy, en 1972. Globalement parlant, à l’image d’un Pétain veule et lâche, mais croyant faire ce qu’il pouvait pour préserver les intérêts français, s’est substituée celle d’un régime résolument pro-allemand, autoritaire et anti-républicain, se précipitant dans les bras du vainqueur provisoire sans que celui-ci ait rien demandé. Les recherches récentes, depuis une vingtaine d’années, sont en train de faire évoluer ce tableau. On insiste davantage sur l’existence de plusieurs clans à Vichy, et sur les changements induits par l’évolution de la guerre. D’où l’intérêt de se concentrer sur quelques personnages :
-Pétain, Laval, Darlan et Weygand suffisent pour donner une vue d’ensemble des milieux dirigeants ;
-les autres choix possibles pour la France sont incarnés par de Gaulle, Moulin et Frenay –ou, à un autre niveau, le couple Aubrac (une minorité d'historiens français et étrangers s'étant dressés contre la calomnie qui les a frappés en 1997 alors que la corporation restait globalement frileuse sinon dubitative) ;
-les influences étrangères sont aussi à prendre en considération : il convient de présenter les attentes de Hitler et les actes de son principal représentant dans la place, Abetz, ainsi que le jeu des représentants SS, principalement Knochen et Brunner, et de leurs patrons directs Heydrich et Eichmann. Il importe aussi de mettre en scène les menaces et les promesses de Churchill et de Roosevelt (importante ambassade de l’amiral Leahy, très proche du président), l’un et l’autre écoutés sinon obéis.
Auteur de l’étude la plus fouillée (et de loin) sur la poignée de main de Montoire (octobre 1940), je dis qu’il est temps de faire connaître tout aussi largement celle de Paris entre Heydrich et Bousquet (mai 42) car il est fâcheux que la rafle du Vel d’Hiv en juillet suivant soit aussi connue alors que cette préface, médiatisée à l’époque sous couvert de « coordination des polices », l’est aussi peu. C’est sous son éclairage (et celui, 5 mois plus tôt, de la conférence de Wannsee qui a fait l’objet de plusieurs ouvrages vers 2000, et, encore plus tôt, de l’ordre hitlérien de la Solution finale éclairé par les travaux contemporains d’Edouard Husson et le livre d’Arno Kersten et Emmanuel Amara
Le dernier des justes , préfacé par votre serviteur en collaboration avec ledit Husson
http://www.delpla.org/article.php3?id_article=400 ).
L’avancée la plus intéressante est sans doute la prise au sérieux, depuis quelques années, d’un vichysme résistant, véritablement anti-allemand. Il a eu son heure de gloire, il ne faudrait pas l’oublier, au lendemain même de la guerre car alors le triomphe des idées résistantes fut éphémère, et la défense du Maréchal leva, notamment au début de la guerre froide, d’importants bataillons. Il suffit de rappeler les noms de Robert Aron (chantre de la théorie de l’épée gaulliste et du bouclier pétainiste… d’un antigaullisme peu franc mais massif !) et surtout de Louis-Dominique Girard, auteur d’un pittoresque
Montoire, Verdun diplomatique. La vedette du jour était Louis Rougier, un intellectuel non négligeable qui avait fait la navette entre Pétain et Churchill dans l’automne 40 avec un crochet par Weygand. Le général Gaston Schmitt remit les pendules à l’heure, croyait-on, avec un ouvrage de 1957 pulvérisant certains mensonges (bien réels) de Rougier et les résistants se rendormirent sur leurs deux oreilles en pensant que ce n’était qu’une mouche du coche qui s'agitait à titre privé et n’avait rien obtenu.
Ce genre de manichéisme est en voie de dépassement. Il y eut réellement un Vichy résistant… mais Vichy était un bien mauvais endroit pour cela ! Son histoire est celle d’une impuissance, dont la clé, encore assez mal dégagée, est la vigilance de Hitler. On peut donc aujourd’hui esquisser la chronologie suivante :
-juillet-octobre 40 : accablement planétaire devant le triomphe de Hitler dans la bataille de France, scepticisme admiratif ou non devant l’obstination de Churchill, tentatives de séduire le vainqueur (surtout après Mers el-Kébir et Dakar) pour adoucir les conditions d’occupation et le traité de paix jugé imminent, culminant à Montoire ;
-novembre 40-février 41 : installation dans la guerre et tentative d’un rééquilibrage au profit des Anglo-Saxons, actions médiatrices de Rougier et du Canadien Dupuy, éviction de Laval chargé –déjà- de tous les péchés, crise au long cours aboutissant à l’arrivée au pouvoir de Darlan ;
-février 41-avril 42 : rechute de Darlan dans la collaboration (sa visite à Hitler en mai), éviction de Weygand (arrachée à Pétain par Darlan, sous couvert de pressions allemandes -un point encore quasi-inconnu alors que Coutau-Bégarie et Huan l'ont clairement établi dès 1989 dans leur biographie de l'amiral, sans y insister il est vrai), organisation du pillage économique, ultime coup de collier de Darlan pour obtenir une entrée en guerre sur la pointe des pieds aux côtés de l'Axe par le biais d'une coopération en Afrique -un conseil officieux des ministres le 11 janvier 42 donne le feu vert de Vichy, la non réponse allemande tranche la question ; brochant sur le tout, le procès de Riom tourne en eau de boudin car il avait pour but d'immoler Mandel et Reynaud sur l'autel de cette coopération ;
-avril-novembre 42 : retour de Laval, mise en place de la Solution finale, affermissement de la Résistance métropolitaine ;
-novembre 42-août 44 : occupation de la zone sud, emprise croissante de l’Allemagne et de la Milice, rafles pour le STO et développement (à ne pas surestimer) des maquis, famine et terreur, imprécations de Pétain contre les bombardements alliés… ;
-août 44-mai 45 : exil minable de Sigmaringen.
Références complémentaires : ouvrages récents de Laurent Joly, Tal Bruttmann, Barbara Lambauer, Simon Kitson, Richard Weisberg, Philippe Burrin, Robert Belot, Bénédicte Vergez-Chaignon, et F. Delpla sur Mandel ; conférence de Pierre Laborie
http://clioweb.free.fr/enjeux/laborie.htm ; persistance du vichysme de grand-papa chez Michel Boisbouvier avec une préface distanciée de François-Georges Dreyfus,
Pétain / Trahison ou sacrifice ? -un titre résumant à merveille le fonctionnement binaire de l'auteur. La révolution paxtonienne fait ici l'objet d'une contre-révolution toutes voiles dehors, et non d'un dépassement intégrant ses apports.