Je vous dois un grand merci.
Je collectionne en effet les faux en écriture de (ou ayant trait à) la SGM et songe à écrire un jour un livre sur ce sujet.
Depuis que je travaille sur MeK, je n'avais pas lu encore Benoist-Méchin, ni Varillon, qu'il démarque... et que je n'ai pas sous la main malheureusement. Restons-en donc à ce subtil pétainiste (tome 3 p. 55-56). Il nous chante que "dès son arrivée [à Wiesbaden] le général Huntziger entame les négociations sur le stationnement de notre flotte". Faux : il a une première entrevue avec Stülpnagel le 29 juin et ne met en avant, comme questions urgentes, que les liaisons radio et le ravitaillement.
Citation:
Il demande que ses ports d'attache soient tous choisis en dehors de la zone d'occupation allemande (ce qui exclut nos ports de l'Atlantique : Cherbourg, Brest, Lorient et Saint-Nazaire).
Le chef de la délégation française fait valoir que les Italiens sont d'accord avec cette répartition, et que cette demande, déjà formulée à Rethondes, a virtuellement été acceptée par le général Keitel.
Ici, presque une contre-vérité par mot ! En cette séance du 30 juin au matin, la première officielle, Huntziger se contente, d'après son propre p-v envoyé à Vichy, de demander "une règlementation assez souple" pour la "désignation des ports de stationnement", laquelle incombera à la sous-commission '"marine" qui tiendra sa première réunion l'après-midi.
Le p-v de cette réunion (dont seules les conclusions figurent dans le compte rendu d'Huntziger, p. 25 du tome 1 de
La délégation française auprès de la commission allemande d'armistice, Paris, Costes, 1947) (non cité par Benoist !) a été examiné récemment aux AN par Coutau-Bégarie (
MeK, Paris, Economica, 2004, p. 63). Elle ne semble pas avoir parlé de la question ! Les Français se sont en effet laissés attirer par les Allemands sur d'autres sujets, notamment la flotte de commerce.
Le cas de la flotte de guerre n'est donc abordé que le lendemain 1er juillet. Effectivement les Français (Michelier et Tracou) demandent que tout soit regroupé en Méditerranée, mais les Allemands (qui ont annoncé qu'ils excluaient Dunkerque et Cherbourg des ports de désarmement, mais diffèrent leur réponse à la demande française d'en faire autant pour Brest) répondent par des ergotages sur le passage de Gibraltar, qu'ils interdisent. Conclusion du résumé de Coutau-B :
Citation:
Devant l'impossibilité de parvenir à un accord, la sous-commission décide d'en référer aux autorités gouvernementales. On attendra des instructions et les listes de situation pour fixer les ports de désarmement et la composition de la flotte coloniale.
Résumé d'Huntziger dans son compte rendu du 3 juillet (rédigé sans doute le matin avant toute nouvelle de l'attaque britannique) :
Citation:
Désistement de la commission allemande au profit de la commission italienne d'armistice de toutes questions relatives aux bâtiments de la marine de guerre ou des bâtiments de commerce en Méditerranée, mer Rouge oudans le golfe d'Aden.
Exclusion des ports de Dunkerque et Cherbourg des ports de désarmement des unités de la flotte.
Interdiction du franchissement dans un sens ou dans l'autre du détroit de Gibraltar par les navires de guerre ou de commerce français. (op. cit., p. 27)
.
Voilà qui est on ne peut plus net : avant l'opération
Catapult, Pétain et Darlan n'ont reçu de Wiesbaden aucune nouvelle rassurante. Les Allemands continuent en particulier d'envisager (et le texte d'armistice leur donne le droit de l'exiger) le retour à Brest du Jean-Bart (depuis Casablanca) et du Richelieu (depuis Dakar) comme le montre, entre autres leur interdiction de franchir Gibraltar. (les Anglais se sont surtout inquiétés du sort de ces deux navires ainsi que du Strasourg et du Dunkerque, tous deux à MeK).
Mais continuons la lecture de Benoist :
Citation:
Après une courte délibération, les Allemands consentent. En conséquence, nos vaisseaux seront rassemblés dans nos ports de Méditerranée et d'Afrique.
Combatifs et efficaces, hein, les vichystes ! Eh bien c'est du roman, à commencer par cette "courte délibération". Là j'attends de pied ferme Varillon et ses références, pour voir avec quel degré de conscience et d'impudence il truque.
Benoist poursuit sur sa lancée et conte avec la même encre la transmission rapide de la bonne nouvelle à Odend'hal, toujours sous la date du 30 juin donc en temps utile pour éviter Mers el-Kébir : comme son ouvrage est strictement chronologique, le trucage apparaît, à qui s'en méfie, dans toute sa crudité : ce 30 juin est en réalité le 1er juillet, avant-veille de l'affrontement, et veille des dernières instructions du cabinet britannique à ce sujet; le temps de rendre compte à Vichy on était sans doute déjà le 2; et l'interruption par l'armistice, toujours en vigueur, des transmissions radiophoniques obligeait tout message pour Odend'hal à transiter par Madrid ! Mais Benoist, si prolixe sur les impossibilités matérielles qui auraient rendu inévitable la cessation du combat, se rallie soudain à une vision télépathique du problème :
Citation:
Cette importante nouvelle est immédiatement communiquée à l'amiral Odend'hal, pour qu'il la porte à la connaissance de l'amirauté britannique.
Celle-ci a tout lieu d'être rassurée.
Encore faudrait-il que la (fausse) nouvelle lui soit effectivement portée (et qu'elle s'en contente avant toute vérification) ! Mais cela tout de même Benoist n'ose l'affirmer. Il se contente de le suggérer par le mouvement de son récit ! Et c'est ce que Bruno, pourtant gaulliste, a compris !