La parution du livre de Jacque Baynac
Présumé Moulin (Grasset, 6 février 2007) est un nouveau coup contre les Aubrac. Un poison tellement subtil qu'il sera absorbé sans méfiance par l'organisme... et risque aussi d'être éliminé sans avoir produit son effet.
C'est du Chauvy
http://www.delpla.org/article.php3?id_article=11 intelligent. Au lieu de reproduire le pavé calomniateur de Vergès intitulé "testament de Barbie", où l'on voit le nazi raconter sans circonlocutions que Lucie lui a téléphoné le rendez-vous de Caluire, et de lui donner une aura de légitimité par la juxtaposition de versions entre lesquelles le lecteur peu informé aura du mal à trancher, on nous montre une nébuleuse de fonctionnaires allemands suivant les résistants à la trace, tant et si bien que l'occupant pouvait frapper à son heure. Il n'y avait donc pas de traître, et en tout cas pas celui que tout accuse, René Hardy... mais il pouvait aussi y en avoir beaucoup.
Comme Chauvy, Baynac noie volontiers les poissons. Hardy avait été arrêté puis relâché après un pacte avec Barbie et s'en était caché, ce qui aurait dû lui valoir, de la part des résistants, suivant l'urgence et les possibilités, une exécution sans phrase ou une "mise au vert" immédiate ? Qu'à cela ne tienne : on fait grand cas de bruits suivant lesquels c'était aussi le cas de Daniel Cordier, secrétaire-biographe de Jean Moulin et principale cible du livre ! Pire : dans une interview au
Point (08/02/07 - N°1795 - Page 108
http://www.lepoint.fr/litterature/docum ... did=189216), Baynac ose cette phrase :
Quant à Aubrac et Hardy, ils avaient été arrêtés puis relâchés.
Or dans le livre il ne dit rien de tel et, s'il est peu disert sur les actions d'Aubrac avant juin 1943, au moins écrit-il que sa première arrestation, correctement datée du 15 mars (Chauvy et ses épigones ont bâti un roman à partir d'un document erroné qui la datait du 13 ! les modes passent; mais l'honnêteté voudrait en l'occurrence qu'on les rappelle brièvement) était le fait de la police française et ne prétend-il pas qu'il avait attiré l'attention des Allemands. D'autre part, il rend compte, fût-ce avec une pointe de scepticisme, du fait qu'en mai il n'avait pas été "relâché" mais mis en liberté provisoire par la justice vichyste après des menaces de Lucie contre le procureur. Cette interview au
Point est donc préoccupante. La relative rigueur dont Baynac fait preuve dans son livre n'est-elle que le paravent d'une intention bien arrêtée de poursuivre oralement et médiatiquement les insinuations vergesso-chauvyennes sur une collusion des Aubrac et de l'occupant ?
Connaissant ce qui précède, il va sans dire, je suppose, mais peut-être mieux encore en le disant, que Baynac, pourtant prolixe sur les avatars médiatiques de l'image de Jean Moulin pendant les trente dernières années du 20ème siècle, est muet sur la terrible charge anti-Aubrac de l'an 1997 et plus encore sur ses suites judiciaires. Il cite comme si de rien n'était le livre de Chauvy, ignorant ses condamnations tant européennes que françaises et aussi lourdes que définitives. Il se réfère aussi à la "table ronde" de
Libération, publiée en juillet 1997 (y compris lorsque c'est Daniel Cordier qui parle, par exception aux charges terribles contre Cordier dont le livre est émaillé) en oubliant de dire qu'il s'agissait d'un interrogatoire ignoble, dénoncé comme tel quelques jours plus tard par tous les historiens du CNRS spécialistes de la Résistance.
Comme on dit dans les bulles des BD :
"BEURK!!!!".
Il y a tout de même un épisode involontairement comique... à condition qu'il soit un peu éclairé car le lecteur ordinaire risque de hausser les épaules en se demandant où on veut en venir. P. 854-855, il est question du registre d'écrou de Montluc, la prison où furent hébergés les arrêtés de Caluire puis, beaucoup plus tard, leur bourreau Barbie. Une page mentionne les arrivées de Dugoujon (le médecin qui avait prêté un local pour la réunion) et de Lassagne (l'un des participants) mais le reste est vierge, et semble avoir été effacé puisque la notice concernant Lassagne est inachevée. Que diantre a-t-on voulu dissimuler ? s'est demandé Baynac et il a mené l'enquête, de concert avec Jean-Robert Gorce. Ils ont obtenu l'autorisation de faire expertiser la page. Le laboratoire consulté trouva rapidement le pot-aux roses : on n'avait rien effacé, mais le scribe avait changé d'encre et la seconde était plus vulnérable à la lumière !
C'est sans doute la première fois qu'on voit un Tartarin raconter longuement une expédition dont il est rentré bredouille. Un peu tardivement il est vrai : le rapport d'expertise est daté du 2 décembre 2004. Entretemps, les "suspicion(s) de maquillage, de falsification, de tripatouillage", pour reprendre les propres termes de l'auteur, avaient suivi leur cours sans qu'il y mît le holà.