François Delpla a écrit:
Il y a cependant dans ton dernier une argumentation qui se tient et sur laquelle
j'invite tout le monde à se pencher.
Pas de réponse à l'invitation de François,je continue donc:
Des archives en grande partie intactes. Il est vrai que, contrairement à une légende tenace, les Allemands n'avaient pas
détruit leurs archives, y compris les plus compromettantes, ce qui permit
aux vainqueurs de découvrir de nombreux documents à charge.
La lutte contre les partisans.Prenons par exemple la lutte à l'Est contre les partisans et contre les saboteurs.
Au printemps 1941, face à l'inquiètante concentration des forces soviétiques
le long de la frontière orientale de l'Allemagne, Hitler décida de déclencher
une guerre préventive contre l'URSS. *
Le premier ordre du Führer.Connaissant les méthodes bolcheviques, il craignait qu'une fois l'invasion
commencée, une intense guérilla ne soit organisée derrière la ligne de front
afin de frapper dans le dos les armées allemandes.**
Voilà pourquoi le 13 mai 1941, en pleins préparatifs, un décret confidentiel
du Führer fut distribué, qui concernait "
l'exercice de la juridiction militaire"dans les futurs territoires soviétiques conquis. ***
La courte introduction précisait que jusqu'à la "
pacification élémentaire"
de ces territoires, la juridiction militaire se restreindrait
"
à ses tâches principales",laissant ainsi les troupes prendre
"
d'elles-mêmes des mesures impitoyables contre toute menace de la population
ennemie"Ces"
mesures impitoyables" étaient les suivantes:
1.La troupe doit liquider les partisans de façon radicale, qu'ils combattent
ou qu'ils soient en fuite.
2. De même, toute attaque de civils ennemis contre les militaires et assimilés
de la Wehrmacht, doit être immédiatement réprimée par l'Armée grâce
à l'emploi de méthodes impitoyables entraînant l'anéantissement des auteurs
de l'agression.
3. Dans les régions où ces mesures ont été négligées ou impossibles à prendre,
les personnes soupçonnées d'actes criminels comparaîtront immédiatement
devant un officier.Cet officier décidera si on doit les fusiller.
Sur l'ordre d'un officier ayant au moins le grade de chef de bataillon,
des mesures collectives énergiques seront prises sans retard contre
les localités d'où proviennent les attaques sournoises et criminelles
contre la Wehrmacht, si les circonstances ne permettent pas une identification
rapide des coupables en particulier.
4. Il est expressément interdit d'interner les suspects pour les faire comparaître
devant les tribunaux, après le rétablissement de ces juridictions.
5. Les Commandants en chef des groupes d'Armées peuvent, d'accord avec
les chefs de la Marine et de l'Aviation, compétents, rétablir la juridiction
militaire pour les civils, dans les zones qui sont suffisamment pacifiées.
Pour les zones soumises à l'administration politique, cet ordre sera donné
par le chef du Haut Commandement de la Wehrmacht.(doc.C-50).
La deuxième partie de l'ordre prévoyait une relative impunité pour les soldats
qui agiraient dans le cadre de la lutte contre les partisans,
"même si l'acte commis (était) en même temps un crime et un délit militaire"(
Id.)
Seules devraient être soumises aux juges les infractions mettant en péril
"
le maintien de la discipline et de la sécurité des troupes",c'est-à-dire:
les infractions importantes provenant d'un manque de contrôle de soi
en matière sexuelle ou d'une disposition qui impliqu(aient) une menace
de perte de contrôle sur les troupes. (
Id.).
En revanche, une moindre sévérité serair demandée pour des faits qui
auraient entraîné
"la destruction sans nécessité de logements,
d'approvisionnements ou de matériel ennemi capturé, aux dépens de nos armées"(
Id.).
Un ordre discutable.On le voit, il n'était pas question de livrer les futurs territoires conquis
à l'arbitraire du vainqueur.
Le viol et le meurtre crapuleux étaient ainsi interdits sous peine de sanctions.
Toutefois, ce décret posait de graves questions vis-à-vis du Droit international
alors en vigueur.
L'
article I.2 prévoyant le recours
exclusif à des cours martiales
établies sur-le-champ par un officier et l
'article I.5 interdisant de faire
des prisonniers (les suspects devant être immédiatement jugés) étaient discutables.
Mais surtout, l'
article I.4, qui donnait la possibilité à un officier de fusiller
de simples suspects ou d'ordonner des "
mesures collectives (...) contre les localités" violait les règles communément admises.Peu après la guerre de 1870, ainsi,
le professeur de Droit public Heinrich Geffcken avait clairement déclaré:
"Il faut reconnaître que les commandants allemands ont outrepassé
les nécessités de la guerre, en rendant responsables (...) les communes
où ces infractions furent commises." ****
Dans son art.50, d'ailleurs, la Convention de La Haye du 18 octobre 1907
concernant les "lois et coutumes de la guerre sur terre" précisait nettement:
Aucune peine collective, pécuniaire ou autre,ne pourra être édictée contre
les populations à raison de faits individuels dont elles ne pourraient être
considérées comme solidairement responsables.La tentative de justification d'H.Göring.A Nuremberg, Hermann Göring justifia cet ordre en affirmant qu'il visait
uniquement les coupables.Voici ce que l'on put entendre le 21 mars 1946:
-
Général Rudenko: "Vous pensez qu'un officier a le droit d'établir
sur-le-champ un tribunal ?"
-
Accusé Göring:
"Il est prévu par les us et coutumes de la guerre qu'un officier,
dès qu'il commande une unité, peut établir une cour martiale où et quand
il le juge bon"-
Général Rudenko:
"Mais vous êtes d'accord avec moi qu'il ne s'agissait même pas ici d'un tribunal ?
Il est dit que cet officier décide seul personnellement."-
Accusé Göring:
"Il pouvait prendre une décision seul ou instituer une cour martiale.
Il lui suffisait de s'adjoindre deux personnes et,en quelques minutes,
il pouvait prendre une décision si les faits étaient prouvés".-
Général Rudenko:
" En quelques minutes, dites-vous, et ensuite c'était l'exécution ?"-
Accusé Göring:
"Si je surprends quelqu'un en flagrant délit qui, d'une maison, tire sur mes troupes
dans le dos, la cour martiale peut liquider l'affaire le plus rapidement du monde.
Toutefois,on ne peut agir ainsi s'il n'y a pas de preuves.
Mais il s'agit ici d'une attaque directe et des mesures à prendre."-
Général Rudenko:
"Accusé Göring, cela suffit sur cette question.Je voudrais seulement indiquer
une fois de plus que cette directive fut donnée par le Haut Commandement
de la Wehrmacht le 13 mai 1941 et qu'elle donnait le droit à un officier
de fusiller un homme, sans enquête ni jugement.Je pense que vous ne le niez pas.
Continuons."-
Accusé Göring:
"Mais oui, je le nie absolument.Il n'est dit en aucune façon qu'un officier
a le droit de fusiller quelqu'un directement.Permettez-moi de préciser:
"Dans le cas d'impossibilité de prendre des mesures de ce genre,
les éléments suspects...." et il ne s'agit ici que des "éléments suspects",
"doivent être amenés davant l'officier le plus ancien de l'unité présent
et c'est lui qui prendra une décision".
Autrement dit, il n'est pas indiqué que tout officier peut décider du sort
de n'importe qui ". (
TMI, IX,677-8 .
L'argumentation de l'accusé n'était certes pas dénuée de valeur.
Cependant, lorsque la directive permettait à l'officier de décider du sort
des
"personnes soupçonnées" si les mesures directes de rétorsion
avaient été "
négligées ou impossible à prendre", il est clair qu'il s'agissait
alors de juger après coup, c'est-à-dire une fois l'attaque passée
et les coupables enfuis.Or, un suspect n'est pas nécessairement un coupable
et on se demande comment, sans moyens d'enquête approfondie, l'officier
pouvait prouver la culpabilité du ou des hommes amenés devant lui.
Qu'on le veuille ou non, donc, le texte ouvrait la porte à l'arbitraire que
le Droit international voulait justement bannir.
Sachant en outre que le danger n'était plus imminent
(puisque l'attaque était passée), ces cas auraient justement dû être réservés
aux juridictions militaires dotées de tous les moyens d'enquête.
Voilà pourquoi même s'il n'était pas intrinsèquement criminel, le décret s'écartait
du Droit international.
Les Allemands cachent l'ordre du Führer.Les Allemands devaient d'ailleurs en être conscients car, le 27 juillet 1941,
un ordre signé W.Keitel commanda d'en détruire les copies afin qu'aucune
ne tombe entre des mains ennemies.On lisait:
"En vertu du règlement sur les documents confidentiels, toutes les copies
qui ont été faites du décret du Führer du 13 mai 1941 devront être détruites par:
a) Tous les services jusqu'aux commandements généraux inclus,
b) Les commandements de groupes blindés,
c) Les commandements d'armées et les services de rang égal, s'il y a danger
inévitable que ces documents tombent aux mains de personnes non autorisées.
La validité du décret n'est pas affectée par la destruction des copies.*****
Un deuxième ordre de l'OKW.Quoi qu'il en soit, dès les premières semaines de guerre, les craintes d'Hitler
se révélèrent fondées.A Nuremberg, le procureur général adjoint américain
Telford Taylor reconnut qu'à l'Est:
"les forces allemandes combattirent parmi une population hostile et durent
faire face à des activités étendues de partisans, derrière leurs lignes."(
TMI, IV,471)
Lors d'un entretien avec le maréchal Kvaternik (vice-président de l'Etat croate
indépendant), le 21 juillet 1941, le Führer lança:
"Les Russes ne sont pas des soldats, mais des bêtes.Ils n'ont ps l'ombre
d'un code d'honneur militaire" ******
Telle fut la raison pour laquelle deux jours plus tard, le Haut Commandement
des Forces armées allemandes publia une instruction d'Hitler qui confirmait
le décret du 13 mai.L'article 6 stipulait:
En raison de la vaste étendue des territoires conquis à l'Est,
les forces disponibles chargées d'assurer la sécurité de ces régions
ne pourront assumer cette tâche que si, au lieu de punir toute résistance
par la condamnation des coupables par un tribunal, les forces d'occupation
pratiquent un système de terreur qui, seul, permettra d'écraser toute volonté
de résistance parmi la population.
Ce n'est pas en réclamant de nouveaux éléments de sécurité, mais au contraire
en employant des mesures, en appliquant des mesures draconniennes
correspondantes que les commandants en chef auront la possibilité d'assurer
la sécurité dans leur région. *******
* Sur les dernières concentrations militaires soviétiques,voyez notamment
le rapport de Keitel à Ribbentrop en date du 11 mai 1941, le rapport de Keitel
au Gouvernement du Reich en date du 11 juin 1941, publiés dans
Proclamation du Führer au peuple allemand et note de
Ministère
des Affaires étrangères au Gouvernement soviétique, avec annexes (s.l.n.d)
pp.61 et ss. A Nuremberg, W.Keitel confirma:
"Halder rapportait la présence de 150 divisions soviétiques le long
de la ligne de démarcation.Il y avait aussi ces photographies aériennes
montrant un grand nombre d'aérodromes.Bref, on pouvait constater
un certain degré de préparation de la Russie soviétique qui pouvait ainsi,
d'un moment à l'autre, entreprendre une action militaire."(
TMI, X,550-51).Sur ce sujet, voyez aussi la déposition du général Jodl
à Nuremberg (
TMI, XV,409-12) et Joachim von Ribbentrop
De Londres à Moscou.Mémoires (éd.Grasset,1954),pp.184-6.
On y apprend que la décision finale d'attaquer l'URSS fut prise après les évènements
de Yougoslavie, c'est-à-dire en avril 1941.
**
"L'expérience du Führer lui faisait pressentir qu'une menace immédiate
surgirait des territoires (conquis) de l'Est "(déposition d'H.Göring à Nuremberg:
TMI, IX,677)
*** Voyez le doc.C-50,
TMI, XXXIV,249-55.
**** Voy.A.G.Heffter,
Le Droit international de l'Europe(A.Cotillon et Cie, Paris,1883), p.288,note 7 rédigée par H.Geffcken.
*****(Doc C-51,
TMI XXXIV,p.257.J'ajoute qu'une ordonnance d'Himmler
datée du 12 novembre 1941 interdit les photographies d'exécutions,
sauf si, pour des raisons de service, certaines devaient être prises.
Dans ce cas, tout le matériel photographique devait être envoyé aux archives
(doc.URSS-297,
TMI,VII, 537)
****** Voy.Andréas Hillgruber,
Les entretiens secrets de Hitler(éd.Fayard,1969),p.616
******* Doc.C-52,
TMI,XXXIV,259.Le même document apparaît également
sous la cote PS-459 (voy.
TMI,XX,672-3 et VII,484).
A Nuremberg, le général Jodl justifia cet ordre en affirmant lui aussi qu'il ne visait
que les coupables:
-
Accusé Jodl:
"Il ne s'agit pas d'innocents.Il est dit expressément "qu'il supprimera toute velléité
de résister".Il s'agit de ceux qui résistent, c'est-à-dire des partisans."(
TMI, XV,498).Mais là encore, les mesures collectives qu'un officier pouvait
appliquer allaient fatalement toucher des innocents....