François DELPLA

 
Rss Le second livre d'Eric Kerjean
Le premier


Best (Werner), Portraits de nazis, traduit, présenté et annoté par Eric Kerjean et Wiebke Hildebrandt (Perrin, mars 2015)

Ainsi se présente, modestement, ce second opus d'un trentenaire prometteur, après son retentissant et controversé Canaris / Le maître espion de Hitler publié en 2012 par le même éditeur.

Tout commence aux archives fédérales de Coblence, lors des recherches préparatoires à ce dernier livre. Kerjean découvre un trésor : les portraits d'une dizaine de personnalités du Troisième Reich, dont six majeures, rédigés en 1949 dans une prison danoise par l'ancien dirigeant SS Werner Best (1903-1989). Sont retenus pour cette publication ceux de Ribbentrop, Hitler, Göring, Canaris, Himmler et Heydrich. Une introduction assez brève les précède, et un appareil de notes les accompagne.

Best faisait partie du trio de pointe des SS, avec Himmler et Heydrich. A ce titre, il avait joué un rôle fondamental dans la politique d'occupation en Pologne, fondée sur la persécution des Slaves et des Juifs, pendant la première année de la guerre. Puis il avait semblé s'éloigner, et de la direction SS, et de la politique raciale dans ses aspects les plus cruels, par deux missions de la plus haute importance dans des capitales occupées d'Europe de l'Ouest, Paris (été 1940-automne 1942) puis Copenhague.

Incarcéré lors de la libération du Danemark, il avait sauvé sa tête de justesse en obtenant la révision d'une condamnation à mort, et été condamné à cinq ans de prison en 1949 lors du second procès, ce qui lui permit d'être libéré en 1951. Ces pièces sont écrites en vue de ce procès. Il convient donc de les aborder avec beaucoup de méfiance, ce que fait Eric Kerjean au long de l'introduction et des notes.

Cependant, son travail d'éditeur consiste surtout à rendre le texte intelligible, en éclairant les circonstances de sa rédaction et les principales allusions aux événements ou aux personnes. Des mensonges du texte, seuls les plus grossiers sont signalés (particulièrement dans les portraits de Himmler et de Heydrich, dont Best se prétend beaucoup plus distant qu'il n'était). Il s'agit donc d'un inédit mis à la disposition des chercheurs, lesquels devront à l'avenir en déterminer l'apport

-à l'histoire du Troisième Reich par un patient travail d'orpailleurs, en séparant des grains de vérités vécues et inédites d'une masse de clichés et d'inventions;

-à l'histoire des justifications et du recyclage des anciens nazis après 1945, Best s'étant investi, comme par exemple Gudrun Himmler, fille de Heinrich, dans les associations d'aide à ses camarades en difficulté.

Le plaidoyer se déploie suivant deux axes :

-le nazisme est un prophétisme tout à fait sain, qui s'est corrompu au contact des réalités, Hitler étant un excellent prosélyte mais un piètre homme politique;

-des pans entiers de la fonction publique, notamment ceux dans lesquels était impliqué l'auteur, fonctionnaient de manière classique et honnête, sans une once d'illégalité ni, à plus forte raison, de criminalité.

Best semble avoir souffert de sérieux troubles optiques, du moins quand il affirme (p. 82) ne plus jamais avoir vu Hitler sourire après la prise du pouvoir. Le troisième personnage de la SS, maître d'oeuvre quelques mois plus tôt du massacre des "Longs couteaux" dans le sud de l'Allemagne tandis que Himmler et Heydrich officiaient à Berlin, serait-il absenté lors du congrès de Nuremberg suivant, en septembre 1934, et, dans ce cas, n'aurait-il point comblé ses lacunes au moyen du film de Leni Riefenstahl ? Se pourrait-il qu'il ait alors manqué les regards que s'adressent Hitler et Hess à la fin de la dernière journée et qui expriment une joyeuse connivence ? Autre exemple, tout aussi fameux, d'amusement hitlérien : la séance du Reichstag-dont Best est membre- du 28 avril 1939, où Hitler déchaîne à vingt reprises l'hilarité de la salle aux dépens de Roosevelt -en gardant tout son sérieux, vraiment ?
Trêve de balivernes : on est ici dans une caricature à l'usage des tribunaux de la Libération, à une époque où le nazisme apparaissait surtout comme une violence aveugle et systématique, et le portrait de son chef en brute dépourvue d'humour pouvait sembler un moyen de défense crédible et efficace; en revanche, le trait est tellement grossier qu'il peut expliquer que Best n'ait jamais publié ces esquisses, ni écrit de mémoires.

Quant à ses relations personnelles avec Hitler, Himmler et Heydrich, ou encore Ribbbentrop, il utilise un seul et même procédé de dissimulation : la réduction de leurs rapports à un petit nombre de rencontres dans des occasions précises et peu compromettantes. Par exemple lorsqu'il se fait expliquer sa mission en France ou au Danemark. C'est toujours en haut fonctionnaire qu'il parle, jamais en théoricien et en praticien du nazisme dans toute son horreur -ce qu'il était, pourtant. Pour rétablir la vérité sur sa personne, et suggérer que ses rencontres avec les dirigeants du parti et de l'Etat étaient tout sauf anodines, il suffira de citer sa place éminente dans un volume d'articles offert à Himmler à l'occasion de son quarantième anniversaire et du cinquième de son accession à la tête de toutes les polices du Reich, le 17 juin 1941. Il écrit le deuxième, juste après le secrétaire d'Etat Wilhelm Stuckart, sur la politique à mener dans les territoires récemment occupés -autant dire qu'il esquisse une généralisation à partir de son expérience parisienne :

Pour satisfaire aux devoirs changeants et croissants de sa charge
et de sa responsabilité envers son peuple, le futur cadre de l’administration
du grand espace allemand devra s’imposer le plus dur
travail, à côté duquel la « formation » et le « perfectionnement »
d’antan n’étaient qu’enfantillages et bricolages. Il ne sera à la hauteur
de ce destin que s’il est un vrai national-socialiste
qui a toujours
devant les yeux l’image de son Führer : de même que le Führer
est aujourd’hui engagé dans une lutte mondiale pour créer l’ordre
nécessaire au grand espace, conformément à la loi de la vie, de
même tous ceux qui sont en charge d’administrer et de développer
son oeuvre doivent assumer toutes les servitudes de ce devoir et
les convertir, à travers combats et fatigues, en bienfaits pour notre
peuple et pour sa mission historique.

(Festgabe für Heinrich Himmler (Cadeau d’anniversaire pour Heinrich Himmler),
Darmstadt, Wittich, 1941.)

On notera avec intérêt que, s'agissant de Canaris, Best ne laisse aucune place à l'idée qu'il aurait pu intriguer avec l'étranger contre sa patrie et que, à propos du vol de Rudolf Hess, il affirme comme une évidence (p. 90) qu'il était envoyé par Hitler.
 
 
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Ecrit par: François Delpla, Le: 05/04/15


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