François DELPLA

Livre d'or

Par The_Lovermind

Je suis un modeste passionné d’histoire et notamment celle qui touche à l’un des conflits les plus sanglants qu’aura connu notre vie [Suite...]

Livre d'or

 
Rss 23 juin 1940 : un tournant encore méconnu
(après un séjour aux archives britanniques, novembre 2001)

Je n’allais pas aux archives pour éclaircir tel ou tel point, mais plutôt pour me plonger dans l’ambiance des états-majors de la seconde guerre mondiale, en vue de mon futur Churchill et Hitler. C’est souvent dans ces cas-là qu’on trouve les perles, et cela n’a pas manqué. J’ai ramené une description par Rudolf Hess de la vie à Berchtesgaden, écrite à sa mère en 1938, et surtout le chaînon manquant dans la série des appels du général de Gaulle, celui du 23 juin 1940. Je rappelle brièvement les acquis précédents, mis en lumière par Crémieux-Brilhac dans La France Libre et par moi-même dans L’appel du 18 juin 1940. Le matin du 23, ayant à prendre position sur l’armistice franco-allemand signé la veille, le cabinet de guerre britannique décide de rompre avec le gouvernement de Pétain et de reconnaître un " comité national " français, à former autour de De Gaulle. On décide que celui-ci parlera à la radio le soir et que son allocution sera suivie par un communiqué du gouvernement de Sa Majesté, soutenant sa démarche. Or le ministre des Affaires étrangères Halifax, qui le matin avait approuvé ces décisions, intervient brusquement en fin de soirée pour tout arrêter. Ni le discours, ni le communiqué ne seront dans les journaux, et on ne parlera plus avant longtemps de comité national. Le lendemain, Halifax se justifie devant le cabinet en disant que les décisions de la veille avaient déclenché une levée de boucliers dans la communauté française de Londres, et personne ne le blâme.

Le texte de De Gaulle, comme on pouvait s’y attendre, dénie au gouvernement de Bordeaux, coupable d’avoir capitulé alors qu’il restait des moyens de combattre, toute espèce de légalité. Il précise que le comité national rendra compte de son action aux représentants du peuple " dès que les circonstances leur permettront de se réunir dans des conditions compatibles avec la liberté, la dignité et la sécurité ", ce qui est par avance un joli pied de nez à l’assemblée vichyssoise du 10 juillet, censée confirmer la légalité du pouvoir de Pétain. Le traitement historique de ce matériel va m’occuper pendant quelques semaines, en vue du numéro hors série d’ Histoire de guerre sur Churchill que je prépare pour le 1er février, avec le concours des meilleurs spécialistes français. On reste rêveur devant le destin du monde si Churchill avait tenu bon. Soit il était suivi par ses ministres, Noguès, commandant en Afrique du Nord et jusque là très hésitant, rejoignait sans doute de Gaulle et le supplantait peut-être, et alors de deux choses l’une : soit l’empire colonial français suivait comme un seul homme, soit (surtout si on suppose que Darlan, maître de la flotte, restait fidèle à Pétain et et conservait son autorité sur ses amiraux) il s’y déroulait des combats fratricides, obligeant peut-être Hitler à s’en mêler, et à coup sûr les Américains, du moins dans les régions considérées comme vitales pour leur sécurité, telles les Antilles ou le Sénégal : la guerre pouvait être abrégée de beaucoup. Soit Churchill était désavoué par ses ministres et enfin renversé par Halifax, qui multipliait les coups de bélier depuis la fin de mai, et dont le désir de négocier avec l’Allemagne était tantôt avoué, tantôt transparent. Dans ce cas, Hitler était à peu près assuré de mourir... dans son lit.

L’histoire est décidément une activité passionnante, quand on ne suppose pas que ce qui est arrivé devait nécessairement arriver.
 
 
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Ecrit par: François Delpla, Le: 06/10/14