éditos anciens 2

11 septembre 2001, Pearl Harbor... et Hiroshima

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L’attaque subie par les centres vitaux des Etats-Unis a fait resurgir des images de la Seconde Guerre mondiale, d’une manière souvent approximative qui confirme l’utilité de la corporation historienne.

Les Etats-Unis, surpris par leur propre vulnérabilité et par l’audace d’un ennemi qu’ils croyaient sinon inoffensif, du moins contrôlable, dénoncent l’infamie et jurent de riposter. Des Japonais peu sympathiques ont jadis fait les frais d’un sentiment similaire, ainsi que Hitler. Qui s’en plaindrait ? Mais l’affaire a broyé aussi des innocents, qu’aucune justification militaire ne permettait de tuer, tels les habitants d’Hiroshima. Témoin l’énorme mensonge du président Truman, si rarement relevé, suivant lequel Hiroshima était une base militaire et le tour des civils viendrait plus tard, si leur gouvernement ne cédait pas.

Dans quelle mesure la traîtrise de Pearl Harbor a-t-elle pesé sur la décision d’Hiroshima ? Le président se serait-il permis d’appuyer sur ce bouton si les Japonais avaient commencé la guerre d’une manière plus classique, par une attaque contre les Philippines à laquelle beaucoup s’attendaient ? Faute de pouvoir répondre de manière décisive, transportons-nous dans le présent et dans le futur proche. L’attaque du Pentagone et du World Trade Center pourrait justifier demain une occupation par des forces écrasantes de l’Afghanistan, en prélude à une traque de ben Laden retransmise par les médias universels.

Notons d’abord que cette comparaison permet de mesurer le changement des temps : en 1941 s’affrontaient de grandes puissances surarmées. Aujourd’hui nous n’avons affaire qu’à deux choses, l’une dérisoire, l’autre écrasante. D’un côté, les Etats-Unis affrontent des marionnettes façonnées par eux qui leur ont échappé, de l’autre c’est tout le problème de la cohabitation entre pays riches et pauvres qui est posé. Une fausse mondialisation s’achève, une vraie cherche à éclore.

Si l’idée que les trois frappes de New-York et Washington marquent le début d’une " troisième guerre mondiale " est sans consistance, en revanche nous sommes bien au début de quelque chose : d’une prise de conscience de la solidarité de destin des bien nourris et des affamés. Deux scénarios sont donc possibles, et toutes leurs combinaisons : soit on jette par dessus bord toute idée de liberté et d’égalité, pour traiter ouvertement les pauvres comme de dangereux esclaves à qui il faut tenir la bride courte, soit on s’attaque enfin au sous-dévelopement et on se donne, sous l’égide de l’ONU et non d’un gouvernement étatique quelconque, des objectifs réalistes en la matière.

Il est plus que probable qu’aucun choix clair ne sera fait prochainement, faute, notamment, d’hommes politiques capables d’ouvrir la voie.

NOTE DU 5 FEVRIER 2010

J’ai réexaminé la question d’Hiroshima lors de la rédaction de mon livre sur le procès de Nuremberg, qui m’a amené notamment à étudier de plus près la personnalité du ministre américain de la Guerre, Henry Stimson. J’en viens à présent à estimer que le largage de la bombe A sur Hiroshima avait hélas une justification militaire : l’état de guerre lui-même, au nom duquel on utilise toujours l’arme disponible la plus puissante (sauf dans le cas où on craint des représailles de même nature).

La formulation ci-dessus était tributaire du préjugé suivant lequel une décision aussi lourde avait été précédée d’un débat. C’est pure légende : les savants calculs de pertes américaines avec et sans la bombe atomique, produits quelques semaines plus tard par le gouvernement américain, ne sont que justifications rétrospectives. Sur le moment, il n’y a eu aucun débat... sinon pour savoir si on allait heurter de plein fouet la fierté nationale japonaise en réduisant en cendres les trésors de Kyoto.



le 9 octobre 2001

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Nouvelles françaises de l’étranger


Les séjours à l’étranger sont pour l’historien une hygiène, même s’ils ont pour but le travail d’archives ou de bibliothèque et si la fréquentation des gens ou des médias passe bien après. Une semaine à Londres, puis Oxford, m’a inspiré quelques réflexions à partir des devantures des librairies.

Si l’inévitable Lothar Machtan qui, soucieux de démontrer que Hitler était homosexuel au moins dans sa jeunesse, prête ce penchant à presque tout son entourage masculin, est le plus mis en avant, on voit aussi en bonne place le Backing Hitler du Canadien Robert Gellately (Oxford University Press). C’est à ma connaissance le premier travail sur la vie interne du IIIème Reich qui rompe clairement avec la démarche fonctionnaliste, en montrant les nazis comme des manipulateurs. Il ne me semble pas qu’il place Hitler suffisamment au centre du processus -il est vrai qu’il étudie la manipulation dans ses effets (la coopération des masses à leur embrigadement) plus que dans ses auteurs. L’éventuelle traduction de cet ouvrage, et son délai, seront un bon test de l’appétit intellectuel de notre pays, gavé de Kershaw.

Je n’allais pas aux archives pour éclaircir tel ou tel point, mais plutôt pour me plonger dans l’ambiance des états-majors de la seconde guerre mondiale, en vue de mon futur " Churchill et Hitler ". C’est souvent dans ces cas-là qu’on trouve les perles, et cela n’a pas manqué. J’ai ramené une description par Rudolf Hess de la vie à Berchtesgaden, écrite à sa mère en 1938, et surtout le chaînon manquant dans la série des appels du général de Gaulle, celui du 23 juin 1940. Je rappelle brièvement les acquis précédents, mis en lumière par Crémieux-Brilhac dans La France Libre et par moi-même dans L’appel du 18 juin 1940. Le matin du 23, ayant à prendre position sur l’armistice franco-allemand signé la veille, le cabinet de guerre britannique décide de rompre avec le gouvernement de Pétain et de reconnaître un " comité national " français, à former autour de De Gaulle. On décide que celui-ci parlera à la radio le soir et que son allocution sera suivie par un communiqué du gouvernement de Sa Majesté, soutenant sa démarche. Or le ministre des Affaires étrangères Halifax, qui le matin avait approuvé ces décisions, intervient brusquement en fin de soirée pour tout arrêter. Ni le discours, ni le communiqué ne seront dans les journaux, et on ne parlera plus avant longtemps de comité national. Le lendemain, Halifax se justifie devant le cabinet en disant que les décisions de la veille avaient déclenché une levée de boucliers dans la communauté française de Londres, et personne ne le blâme.

Le texte de De Gaulle, comme on pouvait s’y attendre, dénie au gouvernement de Bordeaux, coupable d’avoir capitulé alors qu’il restait des moyens de combattre, toute espèce de légalité. Il précise que le comité national rendra compte de son action aux représentants du peuple " dès que les circonstances leur permettront de se réunir dans des conditions compatibles avec la liberté, la dignité et la sécurité ", ce qui est par avance un joli pied de nez à l’assemblée vichyssoise du 10 juillet, censée confirmer la légalité du pouvoir de Pétain. Le traitement historique de ce matériel va m’occuper pendant quelques semaines, en vue du numéro hors série d’ Histoire de guerre sur Churchill que je prépare pour le 1er février, avec le concours des meilleurs spécialistes français. On reste rêveur devant le destin du monde si Churchill avait tenu bon. Soit il était suivi par ses ministres, Noguès, commandant en Afrique du Nord et jusque là très hésitant, rejoignait sans doute de Gaulle et le supplantait peut-être, et alors de deux choses l’une : soit l’empire colonial français suivait comme un seul homme, soit (surtout si on suppose que Darlan, maître de la flotte, restait fidèle à Pétain et et conservait son autorité sur ses amiraux) il s’y déroulait des combats fratricides, obligeant peut-être Hitler à s’en mêler, et à coup sûr les Américains, du moins dans les régions considérées comme vitales pour leur sécurité, telles les Antilles ou le Sénégal : la guerre pouvait être abrégée de beaucoup. Soit Churchill était désavoué par ses ministres et enfin renversé par Halifax, qui multipliait les coups de bélier depuis la fin de mai, et dont le désir de négocier avec l’Allemagne était tantôt avoué, tantôt transparent. Dans ce cas, Hitler était à peu près assuré de mourir... dans son lit.

L’histoire est décidément une activité passionnante, quand on ne suppose pas que ce qui est arrivé devait nécessairement arriver.



le 6 novembre 2001

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Pearl Harbor : légitime défense
Un boomerang dans la figure de George W. Bush




Il est regrettable que plusieurs pays, par exemple les Etats-Unis et Israël, justifient par l’expression " légitime défense " les actions meurtrières qu’ils s’autorisent actuellement contre des ressortissants d’autres nations. Si nul autre argument ne peut les en convaincre, peut-être celui-ci a-t-il une chance de porter : leurs propres ressortissants ont bien des chances de figurer en grand nombre parmi les victimes de cette rhétorique.

J’en veux pour preuve un article de Michel Vié dans " L’Histoire " de décembre 2001, intitulé " Pearl Harbor : la responsabilité américaine ". Comme la plupart des articles qui fleurissent en ces temps commémoratifs, il ne prend pas en compte la totalité de l’échiquier mondial et réduit l’affaire à une brouille américano-nippone, avec tout de même quelques Anglais, Hollandais ou Vietnamiens dans un coin du tableau. Si l’attaque allemande contre l’URSS (22 juin 1941) est mise à contribution pour évoquer ce qui se passe en juillet, elle est oubliée ensuite et le récit des semaines précédant l’assaut japonais ne comporte pas un mot sur le choc germano-soviétique, parvenu à un point maximal de suspense non loin des tours du Kremlin. Or ces événements, qui obsèdent à juste titre la planète, hantent comme il se doit les décideurs, tant à Washington qu’à Tokyo, et contribuent fort, par contrecoup, au caractère d’abrupte surprise de l’événement hawaïen.

Michel Vié nous la baille belle avec son Japon pacifiste, défensif, à des années-lumière de l’Allemagne, et dont les officiers ne développeraient que des " rhétoriques martiales à usage interne " afin d’obtenir des crédits. Les Etats-Unis, par un enchaînement où les rivalités bureaucratiques et les simples hasards ont leur place, ne l’auraient pas compris. Prenant l’occupation de l’Indochine du sud, en juillet, pour un prélude à d’autres avancées, alors que c’était, dit avec assurance l’auteur, une " fin en soi ", ils auraient apporté, avec leur embargo pétrolier, une " réponse disproportionnée ", qui poussait le Japon à la guerre : ne pas la faire eût exposé ses forces armées à la paralysie par manque de carburant, ce qui aurait signifié " la perte de son indépendance (...) et militairement de son honneur ". Tout cela pour conclure : " On ne peut nier que le Japon était en état de légitime défense ".

Les implications d’une telle formule donnent le vertige. Légitime, l’agression d’une base endormie par la plus puissante armada de l’histoire, en réplique à un embargo ? A ce compte, qu’est-ce qui sera déclaré abusif ? Rappelons l’un des principes de base de la définition juridique : pour être légitime, " la défense doit être proportionnée à l’attaque ". Elle doit aussi se faire dans l’urgence, le comportement de l’adversaire ne laissant pas le temps d’explorer une autre voie que la violence. Ce qui n’est pas non plus précisément le cas d’un embargo pétrolier.

Michel Vié, qui écrit après le 11 septembre, est-il contaminé par les discours de Bush ? Peu importe : celui-ci a incontestablement ouvert une vanne, par où tout et n’importe quoi peut s’engouffrer. Il n’est que temps d’y mettre le holà.

En tant que professeur de lycée, je passe une partie de ma vie à convaincre des adolescents et de jeunes adultes que l’expression a un sens juridique précis et que, dès qu’on l’outrepasse, on tombe dans la barbarie, sans savoir quand et comment on pourra en sortir. Quand Bush ou Sharon justifient leurs massacres de civils entièrement étrangers à ce dont il s’agit, par leurs humeurs ou celles de leurs opinions publiques, on ne frôle pas les sommets de l’intelligence ou de la morale. Mais quand ils invoquent la légitime défense, ils abîment quelque chose de sacré, et si leur point de vue l’emportait c’en serait fait de la lueur d’espoir qui subiste, après un début calamiteux, de voir le XXIème siécle s’avérer moins meurtrier que le précédent.


François Delpla, le 8 décembre 2001


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Hommage à Pierre Bourdieu




Jamais la mort ne m’a paru aussi prédatrice. Nous ravir à 71 ans un cerveau aussi informé et aussi inséré dans le monde c’est nous infliger une perte véritablement incommensurable.

Si les hommages n’ont pas manqué, parfois inattendus (Chirac, Libération,...), il y a tout de même quelques sceptiques qui ont eu le courage de troubler la fête en ne reniant pas leurs anathèmes, et en prolongeant le concert de scepticisme qui, suivant un travers bien français, l’avait accompagné jusqu’au bout, entravant sa réception et sa compréhension dans son propre pays (la même chose était arrivée à Jacques Lacan et à son disciple Jacques-Alain Miller, qui curieusement sortent eux aussi du purgatoire depuis quelques semaines, grâce à un coup de sang et d’audace du second, préférant sans doute être reconnu vivant que mort).

Alexandre Adler, qui avait aimé mon Hitler au point de le préfacer, s’est déchaîné contre Bourdieu samedi dernier lors de l’hebdomadaire " Rumeur du Monde " (12h 45 sur France-Culture). Tout en reconnaissant son envergure, il lui reproche d’être habité par le pessimisme et la " haine de soi ".

Ces reproches prennent racine, sans doute, dans une divergence sur l’actuelle mondialisation. Adler la regarde avec un optimisme saint-simonien, comme un achèvement de la modernisation qui devrait engendrer par lui-même, ou peu s’en faut, des régulations profitables aux hommes. Or Bourdieu, qui s’était gardé de tout engagement politique par méfiance envers le stalinisme et ses séquelles, s’est dressé tout d’un coup, peu après la chute de l’empire soviétique, contre la mondialisation libérale, en refusant qu’on fasse table rase de deux siècles d’acquis du mouvement ouvrier et qu’on remette en cause les libertés syndicales, les garanties peu à peu obtenues quant à la sécurité du travail et à celle de l’emploi, les droits à l’éducation et à la santé, bref qu’on aligne les travailleurs des pays développés sur ceux du Tiers-Monde au lieu de faire l’inverse.

Mais loin de regarder vers le passé, il a voulu se saisir du traité de Maastricht et du passage à l’euro, pour inciter les syndicats de toute l’Europe à se regrouper, et ce, non pour une défense frileuse des acquis, mais pour " construire le formidable édifice collectif digne, pour une fois, du concept galvaudé de projet de société " (Contre-feux 2, préface, janvier 2001). Je ne sais s’il avait raison. Mais s’il avait tort, il n’en est que plus difficile de le taxer de pessimisme !

En fait de " haine de soi ", Bourdieu n’a cessé, depuis ses premiers articles sur les paysans de son Béarn natal jusqu’à La domination masculine, de réfléchir sur tous les milieux et toutes les conditions auxquels il appartenait. Comme un éternel enfant il n’avait de cesse de démonter des mécanismes, au sein desquels il était profondément inséré. Dernièrement, le grand savant s’était tourné vers l’étude de l’acte de connaître, entreprenant une réflexion générale sur les sciences. J’extrais de son dernier livre Science de la science et réflexivité (octobre 2001) ces lignes qui devraient " interpeller " tout historien :

" (...) il doit se garder d’oublier aussi que si, comme n’importe quel autre savant, il s’efforce de contribuer à la construction du point de vue sans point de vue qu’est le point de vue de la science, il est, en tant qu’agent social, pris dans l’objet qu’il prend pour objet et qu’à ce titre il a un point de vue qui ne coïncide ni avec le point de vue des autres, ni avec le point de vue en survol et en surplomb de spectateur quasi-divin qu’il peut atteindre s’il accomplit les exigences du champ. "

Les blocages actuels de l’étude du nazisme et de la seconde guerre mondiale, que je rapporte pour l’essentiel au refus de reconnaître Hitler comme un agent aussi habile et conscient que destructeur et inhumain, ont beaucoup à voir avec le refus des praticiens de distinguer en eux-mêmes l’" agent social " et le " spectateur quasi-divin ". On n’ose comprendre les ressorts profonds du nazisme, de peur de le faire aimer : on confond le temps de la connaissance et celui de l’engagement.

Reste à lire Bourdieu, pour faire fleurir tous les champs !


François Delpla, le 31 janvier 2002


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A propos d’une soutenance



Ce titre de docteur obtenu jeudi dernier en Sorbonne n’est pas seulement une enseigne propre à suggérer aux visiteurs de ce site qu’ils n’y perdront pas totalement leur temps. Il représente une étape dans la prise en compte de mon travail, en même temps que les trois heures de débat serré qui y ont préludé donnent une idée du chemin qui reste à parcourir, à la fois pour que les données que j’apporte soient admises... ou rejetées en connaissance de cause, et pour que je les élabore au mieux.

Le mémoire par lequel j’ai présenté mes quatre livres (dont une première mouture, à télécharger ci-contre, donne une idée, et que j’enverrai par mél à ceux qui m’en feront la demande, en attendant sa prochaine édition) a été jugé trop factuel : il ne met pas assez mes résultats en rapport avec les ouvrages des dernières décennies sur les "processus de décision". Dans l’ensemble des travaux, l’opinion publique n’est pas assez présente, ni les mentalités. Il s’agit cependant d’un " véritable travail d’historien ", présentant un certain nombre de qualités : "amour des archives ", " refus des mythes ", " rigueur et finesse dans la confrontation des sources ", "étude simultanée des facteurs de décision dans les divers pays", " mise en valeur des personnages secondaires ", qualités d’écriture. Le fait que je remette en cause le travail des historiens précédents, que je ne sois pas "révérencieux", a été évoqué favorablement. De même on a apprécié que je mette en valeur Churchill et de Gaulle comme des "grands hommes " sans m’abstenir de les critiquer. A Jean-Marie Guillon estimant, sans m’en blâmer, que je réhabilite l’histoire événementielle, Robert Frank a opposé sa devise d’une " histoire non événementielle de l’événement ", sans dire que j’y dérogeais.

Parfois le compliment se déploie à la limite du reproche, au point d’y verser subitement : " écrivain-historien ", j’aurais raison de me "placer dans la tête de l’acteur pour imaginer ses raisons" mais serais affecté d’une tendance répétitive à exagérer le rôle des complots et des manipulations, et au total mon "approche du processus de décision" serait excessivement psychologique. Elle serait également, trop souvent, "monofactorielle". Mon " goût pour le paradoxe " serait cause à la fois d’excellentes trouvailles et de faux pas. On serait " souvent grisé " mais on aurait " parfois la gueule de bois ".

Parmi les principales questions que je traite, seules mes analyses sur le 18 juin ont reçu une adhésion sans mélange. Cette approbation tient peut-être en partie à la simplicité du cas (netteté du mensonge gaullien et de ses motivations politiques), au fait que le processus de remise en question a été entamé par d’autres (cf. Revue historique et archéologique du Maine, 1990) et à la caution d’un spécialiste reconnu, Jean-Louis Crémieux-Brilhac.

Il y a plus de perplexité devant des trouvailles plus solitaires. Par exemple, si la mise en relief du rôle de Halifax en 1940, et de la nécessité où se trouvait Churchill de se débarrasser de lui pour agir, fait l’unanimité (" même si tout n’est pas inédit "), cette adhésion se tempère lorsqu’on aborde l’étude concrète des crises. J’aurais tort de voir dans Mers el-Kébir une simple " canonnade contre Halifax " (Churchill et les Français, p. 542) et mon analyse du Haltbefehl devant Dunkerque (qui doit pourtant beaucoup aux découvertes sur Halifax) reçoit un accueil mitigé, de même que la découverte que Pétain, à Montoire, propose une collaboration militaire pour la reconquête du Tchad. Toutefois, l’unanimité qui s’exprime sur le 18 juin ne se retrouve pas dans la désapprobation, sur aucun des points considérés.

Acceptant les critiques sur les limites de mon travail, j’ai refusé celles qui portaient sur mes analyses et défendu celles-ci avec une certaine véhémence. Il semble qu’on m’en ait su gré.

Je n’ai point fait de réponse générale au reproche de privilégier le complot et, plus généralement, les explications " monocausales ". Je voudrais en esquisser une ici et laisser le lecteur juge, au hasard de ses parcours sur le site. Il se trouve que dans cette période de mars à novembre 1940, il y a dans les milieux dirigeants des puissances en guerre deux comploteurs, qui poursuivent des objectifs précis sans les avouer à beaucoup de monde, Hitler et Halifax : je les prends à de nombreuses reprises en flagrant délit de dissimulation, vis-à-vis de leurs collaborateurs, d’informations essentielles. Quand je parle des autres dirigeants, je montre leurs hésitations, leurs troubles, la part d’impondérable qui oriente leurs actions. Au passage, je déjoue une belle quantité de théories du complot, qu’il s’agisse de celui qui aurait été noué entre Pétain et Weygand fin mai au sujet de l’armistice, ou de celui qui aurait uni Reynaud, Lebrun et Herriot pour ramener le premier nommé au pouvoir en cas d’échec de Pétain à conclure l’armistice.

Quant à mon explication " monofactorielle " sur Mers -el-Kébir, je ne dis pas qu’il n’y ait qu’un facteur, mais qu’il est au commandement... et ce faisant je donne un rôle à l’opinion publique. En forçant ses amiraux à ce tir qui leur répugne, Churchill a en ligne de mire le défaitisme halifaxien et ne prend en compte les autres facteurs qu’en tant qu’ils concourent à rendre ce geste acceptable : personne ne pourra lui reprocher, en temps de guerre, une action qui soustrait des armes à une mainmise possible de l’ennemi et, s’agissant d’une flotte apte à traverser l’Atlantique, le président américain moins que tout autre. Mais s’il ne s’agissait que de sécurité maritime, l’absence d’urgence et l’inconvénient de s’aliéner la France feraient choisir des moyens plus doux et en tout cas plus progressifs.

Le président du jury a dit en conclusion : " Si François Delpla n’existait pas, il faudrait l’inventer". Puisqu’il existe, surtout qu’on ne l’invente pas, mais qu’on le lise, qu’on lui réponde et que chacun polisse ses arguments !

Note du 6 décembre 2006.- Le texte précédent peut évidemment fournir aux contradicteurs internautiques en peine d’arguments une mine... de mines. Surtout s’ils n’indiquent pas le lien qui permettrait de relativiser les critiques au moyen de leur contexte. La chose est arrivée en tout trois fois, à ma connaissance. Honte à eux, et basta. Qu’il me soit permis tout de même d’imaginer, à la lecture de la présente... leur mine.


le 6 décembre 2006


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Le Pen, Jospin et les autres



Un historien se doit de donner son point de vue, même s’il n’est pas spécialiste de la période la plus contemporaine, lorsque son pays est l’objet de l’attention universelle en raison de ses moeurs politiques originales, comme c’est le cas périodiquement de la France, depuis quelques siècles.

Son histoire regorge de couples hauts en couleurs. Après avoir produit en même temps, ou à peu d’intervalle, la monarchie absolue et la philosophie des Lumières, les droits de l’homme et la terreur, la conscription et le code civil, le socialisme et le bonapartisme, la Commune et Boulanger, Maurras et le Front populaire, le pétainisme et le gaullisme, l’OAS et mai 68, allons-nous bientôt associer le repli identitaire matiné de nostalgie fasciste avec une conception rénovée de la démocratie ?

On permettra tout d’abord à l’historien de rappeler quelques faits qui lui semblent trop négligés par les commentateurs :

1) Le Pen, au premier tour de l’élection présidentielle, n’a pas gagné de voix ou, s’il en a gagné, en a perdu tout autant.

2) Le règlement de cette élection est spécial et très discutable : l’ouverture d’un deuxième tour de la compétition aux deux seuls candidats arrivés en tête au premier est une entorse à la démocratie, heureusement très rare. Elle a été voulue par de Gaulle en 1962, sans que l’opposition de l’époque, tout occupée à contester le principe de l’élection du président au suffrage universel direct, accorde une attention suffisante à ses modalités. Sans cette clause, on parlerait à propos de Jospin d’une "performance très médiocre" et non d’une déroute.

3) La catégorie sociale à laquelle j’appartiens, celle des enseignants, traditionnellement acquise au parti socialiste et très hostile au Front national, a boudé plus que de coutume le vote Jospin pour deux raisons principales :

+le fait que les académies de Bordeaux et de Paris, regroupant environ le tiers de la profession, étaient en vacances (en raison de la mort, en mars 1974, du président Pompidou, amenant à fixer l’élection présidentielle à la fin d’avril, avec le risque qu’elle survienne pendant les vacances scolaires de Päques -ce qui ne s’était jusque là produit qu’en 1995). On peut certes, si on est en voyage, voter par procuration, mais la nécessité de faire deux démarches au lieu d’une induit une hausse automatique de l’abstention... et celle des enseignants suffit à rendre compte des 0,6% de voix séparant Jospin de Le Pen.

+le fait que Jospin ait pris comme ministre de l’Education le très grossier Claude Allègre, exprimant dès sa prise de fonction une vive hostilité envers le corps enseignant et la réaffirmant, malgré quelques répits tactiques, jusqu’à ce qu’il soit chassé au bout de trois ans par des grèves et des manifestations d’ampleur croissante. Il est peut-être, dans l’histoire politique de la planète entière, le seul ministre qui ait insulté ses fonctionnaires d’un bout à l’autre de sa charge et cela laisse nécessairement des traces, d’autant plus nuisibles à Jospin qu’Allègre passait et passe encore pour l’un de ses plus proches amis.

On voit que le rappel de ces données, s’il contribue à expliquer le résultat du scrutin, ne tend nullement à excuser sa principale victime. En tolérant un règlement qui gêne l’expression de la diversité des opinions au premier tour et un calendrier défavorable à l’exercice du droit de vote, le parti socialiste a fait une infidélité certaine à la démocratie (la droite qu’on appelait classique, et qu’on dit aujourd’hui républicaine, est responsable au même titre de cet état de choses, mais elle s’est accommodée du suffrage universel sans prétendre, et heureusement, l’avoir inventé). En nommant et en maintenant Allègre, Jospin a sans doute calculé que, les parents d’élèves étant plus nombreux que les enseignants, il était de bonne guerre électorale de faire croire que les échecs du système éducatif étaient dus à ses pédagogues... quitte à récupérer les voix de ceux-ci au second tour.

Le même mépris de l’électorat, qui doit beaucoup sans doute à la formation des énarques et qui est largement commun aux gouvernants des deux bords, s’est révélé dans l’incapacité de Chirac et de Jospin à s’affirmer clairement de droite ou de gauche et dans leur propension à concentrer le débat, ou à le laisser se concentrer, sur des questions certes graves mais secondes, comme les scandales financiers où baigne Chirac, la dissimulation d’un passé militant sectaire et conspirateur de la part de Jospin, et bien sûr l’insécurité, dans la définition très étroite qu’on a donnée de ce mot.

Il semble que l’électorat de Le Pen se soit largement renouvelé, ce qui n’est pas très rassurant pour le second tour. Des études montrent qu’il a progressé chez les jeunes, les ouvriers et les personnes âgées, ce qui veut dire qu’il a perdu des voix chez les actifs des couches moyennes et supérieures. Or, comme ceux-ci n’ont pas, en général, un penchant très prononcé pour Chirac, il est possible que, s’ils s’agacent de tous les soutiens de gauche que récolte le patron du RPR, un bon nombre se remettent à voter Le Pen, ou le fassent pour la première fois. Si la défaite de ce dernier reste probable et si elle est évidemment souhaitable, le résultat du 5 mai pourrait être beaucoup plus serré que les sondages, pour l’instant, ne l’indiquent. Et un score élevé donnerait à Le Pen d’amples moyens pour déstabiliser le prochain gouvernement, quel qu’il soit.

Alors il faut, sans démagogie, mesurer à sa juste valeur la réaction massive des jeunes, en particulier des lycéens, à l’annonce de la présence de Le Pen au deuxième tour, et souhaiter qu’à leur exemple les aînés se mobilisent encore davantage... à condition que tout cela ne soit pas un feu de paille mais, dans la meilleure tradition politique du pays, le début d’un mouvement qui aide l’humanité à s’orienter dans les tribulations qui l’attendent. La dépolitisation des années 1980-90 est à la fois un phénomène français, enraciné dans la fameuse "déception" de 1983, lorsque le gouvernement de Mitterrand a tourné le dos à son programme économique pour reprendre celui de Raymond Barre, désavoué deux ans plus tôt par les électeurs, et un phénomène mondial, contemporain du triomphe apparent du libéralisme. Les jeunes qui clament leur soif de voter, les adultes qui regrettent leurs démissions de naguère sont-ils décidés à combattre frontalement la misère et le sous-développement, où qu’ils soient ? Si leur élan retombe, les partisans de l’exclusion, de quelque drapeau qu’ils s’affublent, ont encore de beaux jours devant eux.

Quant aux modalités de la lutte, je voudrais, en utilisant ici plus précisément ma compétence d’historien, mettre en garde contre les rapprochements simplistes entre le passé et le présent. Unique biographe français de Hitler, et l’un des rares (avec l’Américain John Lukacs) à lui reconnaître un immense talent politique, j’ai pris depuis longtemps l’habitude (dont je fais état ici publiquement pour la première fois), de comparer sa personnalité avec celle de Le Pen. Les traits communs ne manquent pas. Le plus frappant est leur aptitude à se faire oublier, pour surgir en position de force lors des échéances importantes. Il ne me paraît pas impossible que le plus jeune ait passé beaucoup de temps à étudier les actes et les discours de l’aîné. Mais je déconseille vivement à ses adversaires de l’affirmer comme une certitude et d’orner le portrait de Le Pen, au propre ou au figuré, d’une moustache carrée ou d’une croix gammée. Reprochons-lui ce que nous pouvons prouver. Le "point de détail" et le "Durafour-crématoire", à la fin des années 80, montrent qu’à cette époque il avait au moins un penchant pour l’outrage antisémite et la négation des chambres à gaz. De même, son discours de 1996 sur l’inégalité des races peut à bon droit lui être reproché, à condition de le dater. Aujourd’hui il prend grand soin de s’entourer, au moins un peu, de Juifs, anciens déportés de préférence, mais aussi d’Arabes, de Noirs et de handicapés : autant d’entorses à l’éthique nazie que Hitler, si démagogue, opportuniste et manipulateur qu’il fût, ne se serait jamais autorisées, pas plus qu’il ne se serait dit "socialement de gauche" -un mot qu’il ne savait prononcer qu’avec le plus profond dégoût. Alors, acceptons que l’histoire ait avancé, que nos valeurs aient gagné en audience, et critiquons les gens de maintenant dans des termes de maintenant, sous peine de leur donner des auréoles de martyrs et des milliers de bulletins de vote.

Evitons donc l’insulte pure et simple, surtout si elle est méritée, car alors pourquoi se priver d’argumenter ? Toute assimilation au Führer, à moins qu’il ne soit pris la main dans le sac, permet à Le Pen de hurler à l’injustice, mais aussi de plaider qu’on ne trouve rien à redire à ses propositions. Et il est bien vrai que son mot d’ordre central, la "préférence nationale", n’est pas très aisé à contester. Comment nier qu’un gouvernement doive avant tout se préoccuper de ses ressortissants ? Or c’est bien là qu’il faut porter le fer, en prônant un patriotisme ouvert sur l’avenir, en montrant que la communauté nationale se construit en s’enrichissant d’apports extérieurs et que refuser, par exemple, les allocations familiales aux enfants d’immigrés, ce serait travailler nous-mêmes à ce que cette main-d’oeuvre, que notre propre démographie rend utile et sans doute pour longtemps, soit plus exposée à l’échec scolaire et à la délinquance, voire à la prostitution.

La démocratie a partie liée avec la fin des violences, physiques ou verbales, et de toutes les justices qu’on se fait soi-même. En bornant la critique du Front national à ce qu’il est, dit et fait vraiment, nous la rendrons beaucoup plus efficace.

François Delpla, le 30 avril 2002


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Le point sur mon travail





La politique française ayant provisoirement renoncé à nous surprendre, je voudrais profiter de cette fin d’année universitaire pour dresser un bilan de mes recherches, et des débats qu’elles suscitent.

La rédaction de Churchill et Hitler continue et je suis de plus en plus surpris par la fécondité de ce sujet, rencontré par hasard. Je ne mesurais pas à quel point ces deux hommes étaient, à partir de 1935 environ, obsédés l’un de l’autre, et à quel point l’intuition de John Lukacs sur leur Duel pouvait être prolongée vers l’amont et vers l’aval (puisque lui-même situe cet affrontement entre le 10 mai et le 31 juillet 1940). En résumant, aux fins de sanction universitaire, mon travail sur l’année 1940, j’ai pris également conscience que la résistance inattendue de Churchill à ses efforts pour rétablir la paix après l’écrasement de la France, induisait chez le Führer une terrible tentation. Il avait tout calculé pour que survienne, à la fin de mai, un traité par lequel les autres grandes puissances auraient reconnu à l’Allemagne ses conquêtes orientales (aux dépens de la Pologne et de la Tchécoslovaquie) en échange d’une évacuation des terres occupées vers l’ouest. On aurait alors été loin de l’" espace vital " revendiqué dans Mein Kampf, formé d’immenses terres slaves dont l’Ukraine devait être le fleuron. Il n’y aurait pas renoncé, sans doute, mais on le voit mal se lancer immédiatement dans une guerre contre l’URSS. La prudence lui aurait dicté d’attendre un peu, notamment à cause du pacte germano-soviétique, conclu pour dix ans en 1939 : le violer à ce moment eût fait craindre à la France, à l’Italie, à l’Angleterre et aux Etats-Unis que le traité mettant fin à la guerre à l’ouest ne soit lui-même qu’un chiffon de papier.

L’obstination churchillienne serait donc, pour cet homme à la fois rationnel et mystique, un signe du destin. Elle ne doit pas lui sembler bien dangereuse, tant l’écart est alors immense entre les envolées oratoires du premier ministre sur la victoire future et ses moyens de la faire advenir. En revanche, une telle obstination lui permet de dénoncer, peut-être en toute sincérité, un encerclement " juif " de l’Allemagne, en faisant cette observation, au demeurant exacte, que Churchill compte sur le concours de l’Armée rouge. C’est le sens que je donne à la différence entre un mémorandum du général Jodl (son principal conseiller militaire) daté du 30 juin et un exposé de Hitler devant les principaux chefs militaires, le 13 juillet : le premier texte dit qu’il faut observer avec l’URSS un statu quo, c’est-à-dire cultiver de bons rapports, de manière à isoler et à écoeurer l’Angleterre ; d’après le second, il faut envisager de lui faire la guerre. Pendant cette quinzaine, Hitler a donc décidé de profiter de l’entêtement de Churchill pour mobiliser pleinement et prochainement son peuple contre " le Juif ", afin de réaliser dans toute sa cruauté la " guerre de races " censée donner au Reich " de mille ans " ses sanglantes fondations.

J’ai exprimé cette idée dans ma thèse, l’ai développée dans un article d’Histoire de guerre de mai 2002 sur la bataille d’Angleterre et compte l’approfondir dans Churchill et Hitler.

Une autre avancée, présentée dans le hors-série trimestriel d’Histoire de guerre intitulé " Stratèges et stratégie de Napoléon à Schwarzkopf ", porte sur la garantie anglaise à la Pologne (31 mars 1939) : loin de résulter, comme Kershaw l’écrit après bien d’autres, d’une erreur de calcul (Hitler n’ayant, d’après cette version, pas prévu l’indignation anglaise consécutive à son entrée à Prague en violation des accords de Munich), cette garantie a été induite par une série de manœuvres hitlériennes, tant en direction de la Pologne que de l’Angleterre. Ce qu’il devait éviter à tout prix, c’était une garantie anglo-soviétique et il y est fort bien parvenu.

Sur la mise en débat de mes thèses, les progrès sont plus lents. Le présent site me vaut de temps en temps un court message de félicitations, plus rarement l’ouverture d’une discussion et presque jamais un écho de débats sur le 18 juin, Montoire, Hitler, Aubrac, etc., montrant que mon apport a été soit intégré, soit réfuté de manière raisonnée. La soutenance de thèse (cf. édito d’avril) a certes été une étape importante, puisque quatre universitaires de renom se sont frottés à mes analyses et ont estimé qu’elles émanaient d’un " véritable historien " (on lira ci-contre le résumé de leurs appréciations, ainsi que mon exposé introductif).

La revue Histoire de guerre suit son bonhomme de chemin : l’édition mensuelle, à laquelle je collabore environ une fois sur deux, et le supplément trimestriel, désormais intitulé Guerre et histoire, dans la direction duquel je prends une responsabilité croissante. Je ne suis guère invité dans les médias en ce moment, ce qui s’explique en partie par le fait que mon dernier livre date un peu et que je suis en pleine élaboration du prochain. Néanmoins, l’émission L’esprit public de Philippe Meyer, traditionnellement consacrée en juillet à des biographies de dirigeants de la Seconde Guerre mondiale, vient d’enregistrer un débat sur Hitler avec, autour du spirituel animateur, Max Gallo, Jean-Claude Casanova, Edouard Husson et moi-même. Il sera diffusé un dimanche non encore fixé, entre 11 et 12h.

On voit encore parfois paraître, sur des sujets que j’ai abordés, des livres qui ignorent et mes analyses et les documents que j’ai mis au jour. Parmi les plus récents j’en citerai deux, Otto Abetz et les Français de Barbara Lambauer (Fayard, 2001) et De Gaulle d’Eric Roussel.(Gallimard, 2002). N’ayant pas encore une bonne connaissance du second, je me contenterai ici de regretter, pour l’auteur du premier et la qualité de son ouvrage, une présentation fautive de la rencontre de Montoire (pourtant centrale pour son propos) : chronologie flottante des semaines de préparation, attribution à Abetz d’un rôle excessif aux dépens de Hitler et surtout, concernant le texte de la conversation, adhésion à la version éculée de l’interprète Schmidt au détriment du document d’archives (cf . p. 209 : " Pétain ’met en garde contre un traité trop dur pour la France’ ", ce qui est une pure affabulation et jure avec la soumission constante du maréchal envers le Führer).

La Seconde Guerre mondiale et le nazisme restent, malgré les millions de pages écrites, des objets historiques relativement neufs : que cette vérité soit un peu mieux connue, et de passionnants débats vont s’ouvrir.


le 23 juin 2002



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Les fleurs du mal




A peine l’encre du précédent éditorial sur la diffusion de mon travail était-elle sèche (si cette expression est de mise dans notre univers virtuel) que paraissait dans une revue importante un article intéressant dans lequel mon dernier livre était ainsi présenté :

"Les péripéties de ce vol et de la préparation et diffusion du discours du 18 juin sont présentées de façon remarquable dans l’ouvrage de François Delpla L’appel du 18 juin 1940, Paris, Grasset, 2000 "

Je ne donnerai pas ici la référence, pour ne pas mettre en cause publiquement un chercheur compétent et beaucoup moins critiquable que bien d’autres, qui ne citent jamais un de mes livres alors que leur propos souvent devrait les amener à prendre position sur leurs analyses. En revanche, je donnerai cette référence à ceux qui me la demanderont.

L’article, qui porte en partie sur le sujet du livre (les deux premières semaines du mouvement gaulliste) défend l’action du général de Gaulle contre certaines calomnies. Je reproche seulement à ce plaidoyer son classicisme. Des mensonges antigaullistes y sont mis en lumière, mais on cherche en vain la plus petite allusion aux omissions, aux simplifications, aux embellissements et, il faut bien le dire, aux mensonges qui émaillent (fût-ce avec les meilleures justifications possibles), le récit de cette quinzaine dans les mémoires du général, ou dans ceux du premier ministre anglais.

La vérité chemine certes doucement mais à ce train-là nos petits-enfants seront morts avant qu’elle ne touche au but. Par exemple, comme on ne peut plus entièrement passer sous silence les entraves que Halifax mettait à l’action de Churchill, on commence très timidement à admettre que l’horaire et le texte du premier appel radiodiffusé du général n’en sont pas sortis indemnes. Mais on ne dit pas clairement :

1) que de Gaulle a prononcé un texte dont les deux premières phrases sont carrément pétainistes ;

2) que Churchill, le 17 juin, a très mal accueilli l’idée de cet appel et qu’il a été lui-même très difficile à convaincre -certes en raison de l’obstruction de Halifax, mais il n’est pas indifférent de savoir qu’il y avait cédé, ni interdit de se demander s’il avait, ce jour-là, autant conscience que de Gaulle qu’en France métropolitaine la partie était jouée et qu’un appel à désobéir à Pétain, pour être peu conforme aux usages des diplomates, était la seule solution antinazie.

Encore une fois, je préfère cet article à bien d’autres travaux qui ressassent de vieilles théories en ignorant des décennies de découvertes plus récentes. Mais incontestablement, ceux-ci sont plus logiques.


François Delpla, le 27 septembre 2002


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